Dans la sphère du religieux et des spécialistes de la « Parole », la médiation ébranle, agace ou réjouit, mais laisse rarement indifférent.
Il faut désormais accueillir et comprendre la médiation, non comme une parole d’évangile ou une solution clef en main pour gérer des conflits, mais comme un espace de parole et de confrontation à soi-même et aux autres. Alors, quelle est-elle cette médiation miroir de nos vies ?
Je propose à travers ces lignes, une modeste contribution à cette question, ainsi que des pistes de réflexion sur la place de la médiation en Église.
Je n’aborderai pas ici les multiples champs de la médiation ainsi que les métiers de médiateurs de la sphère publique et privée. Il existe de nombreux ouvrages à ce sujet. J’indique une bibliographie en fin d’article.
Je souhaite aborder brièvement son histoire, son concept, ses branches et sa nature. Puis nous regarderons le principe et le processus d’une médiation. Enfin, nous vérifierons dans l’Écriture, l’histoire de l’Église et des enquêtes récentes, l’impact de la médiation dans le champ cultuel.
I. SON HISTOIRE
Aborder la question de la médiation c’est observer une définition en mouvement. Elle se comprend à travers une histoire qui est en évolution régulière selon les acteurs, les situations, les lieux et les cultures.
La médiation a toujours existé de tout temps et dans tous les milieux et sociétés. Les sociétés traditionnelles ont gardé en elles une tradition séculaire de la médiation. L’Église trouve des traces de sa pratique depuis ses origines. Si le mot médiateur, apparaît au XVIIIème siècle, il désigne avant tout la personne qui se met au milieu, du latin « médius », aujourd’hui il s’applique à une personne ou un groupe de personnes qui s’interposent dans un conflit pour faciliter un arrangement.
Depuis toujours, les évêques confiaient traditionnellement aux prêtres une mission de médiation entre leurs paroissiens. À partir de 1740, sous l’impulsion des philosophes des Lumières, on trouve des règlements demandant aux gentilshommes et aux clercs de pacifier les différends et les querelles du royaume. Ainsi, par la parole et la raison, la paix sociale contribue dorénavant au progrès et au bonheur des hommes.
C’est aux USA et au Canada que la médiation va s’imposer dans les années 1970, premièrement dans le secteur de la consommation, puis de la justice et des différends familiaux...
Citons, l’exemple du programme de médiation en Ontario (Canada), réalisé par les Églises Mennonites intitulé Victim Offender Program en matière de justice pénale. Grâce à lui, victimes et agresseurs tentent de se parler. Mais c’est aux USA, (Atlanta), que l’on trouve les premières pratiques de médiation (1974) dans le cadre formel de médiation-conciliation judiciaire.
La médiation prend racine en Europe dans les années 1980. Tous les milieux, y compris religieux connaissent l’expansion de ce phénomène. Ainsi, le code de droit canon promulgué par le pape Jean-Paul II, en 1983 suggère que chaque diocèse, mette en place une institution de résolution des conflits (Canon 1733). Cette réalisation, reflétant la théologie des conflits de l’Église d’après Vatican II, va trouver son application dans le Décret du 24 août 1998 de la Conférence des évêques de France, définissant les « conseils diocésains de médiation ».
C’est dans cette période, que l’actualité mettra en lumière certains médiateurs. Citons l’exemple du pasteur Jacques Steward, Président de la FPF, en 1988. Il sera un des médiateurs dans le conflit de la Nouvelle Calédonie. Sur l’Île d’Ouvéa, il se verra confier par Michel Rocard, Premier Ministre à l’époque, la mission de rétablir la confiance entre les belligérants.
Aujourd’hui, la pratique de la médiation s’impose principalement dans la résolution des conflits familiaux et sociaux et se trouve largement favorisée par les pouvoirs publics, notamment dans le domaine de la justice, où elle est parfois un préalable indispensable à l’introduction d’un procès.
II. SON CONCEPT
Le concept de la médiation, repose sur le principe de créer ou restaurer une relation afin de parvenir à la résolution d’un conflit. Le philosophe Hegel l’analyse comme un concept philosophique permettant de sortir l’individu par le haut lors d’un différend.
Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin y voient un principe théologique illustrant la médiation permanente du Christ dans l’histoire du salut.
À cet égard, l’origine et le sens de la médiation ne semblent pas étrangers à la théologie ou à la piété. Ainsi, le « médiatere » trouve-t-il un prolongement dans le mot « intercedere » celui qui intercède, c’est celui qui : « se met entre deux, parle pour »… Celui qui prie est d’une certaine façon déjà un médiateur.
Fin XIXème siècle, c’est une autre théologie de la médiation qui prend forme. Elle s’exprime dans son soutien au mouvement de la théologie de la libération. Elle se développe notamment en Allemagne au coté de la théologie de la restauration (restaurative Theologie) et de la théologie de la médiation (Vermittlungstheologie). Influencée par Hegel et Schleiermacher, elle élabore une foi rationnelle en complément d’une piété spirituelle. Le Christ y est présenté comme médiateur proche des hommes et de leurs situations quotidiennes.
III. SA NATURE
La médiation revêt trois natures. D’abord une nature conventionnelle – médiation liée aux règles de droit et à la volonté des parties (Art.1134 du Code civil).
Ensuite une nature institutionnelle – médiation encadrée par l’État, notamment par la saisine du médiateur de la République pour des litiges administratifs (Loi de janvier 1989). Notons que depuis 1990, il existe en France des médiateurs dans de nombreux secteurs (poste, EDF, banques, assurance, média, ordres professionnels…).
Enfin, une nature citoyenne, qui revêt un caractère associatif et public (un quartier, un immeuble, des voisins…).
La Directive 2008/52/C.E. du Parlement Européen et du Conseil Européen du 21 mai 2008, encourage le règlement amiable des litiges dans la vie sociale, civile et commerciale. Elle la reconnaît comme l’une des méthodes de résolution des litiges dont dispose la société moderne.
Aujourd’hui, les médiateurs et la médiation sont dans l’air du temps. Pour les uns, ils ne doivent intervenir qu’en cas de conflit, pour d’autres ils sont des passeurs de paroles, des accompagnateurs de crises.
Pourquoi est-il aujourd’hui tant question de médiateurs et de médiation, dans la vie publique et privée ?
Probablement parce qu’elle se fait plus fortement sentir avec la multiplication des difficultés, des conflits, des tensions individuelles et sociales.
On observe, paradoxalement, le développement des moyens de communication et la montée de l’angoisse et de la peur face à l’autre. Le repli identitaire et la prolifération des communautarismes se multiplient.
La médiation, se présente alors comme un outil d’écoute, de compréhension dans la volonté d’établir ou de retisser du lien.
Cependant, le médiateur n’est ni un décideur, ni un sauveur, pas davantage un sage, un magicien du dialogue ou un créateur de paix sociale. Son action repose fondamentalement sur la volonté des parties de sortir d’une crise.
IV. SON PRINCIPE
1. La médiation est un processus vivant
Le principe fondamental de la médiation s’articule autour d’un lieu, d’une situation et de personnes. L’enjeu est de permettre ou de favoriser l’expression des acteurs en conflit pour ouvrir un processus de dialogue. La médiation peut être génératrice de relations nouvelles, ou pas.
Au risque de décevoir, il ne faut pas entendre la médiation comme le moyen de résolution des conflits. Elle est avant tout un processus dans lequel on apprend à se dire les choses, où l’on s’interroge sur ses propres contradictions. Ce processus permet de retrouver sa dignité et le sens des choses. Par moment la médiation, ne sera qu’un outil pour accompagner les acteurs du conflit vers une séparation la moins douloureuse possible. Il arrive que de cette rupture naisse une prise de conscience telle une catharsis sur son histoire.
2. La médiation, un principe de gestion des conflits ?
Depuis la nuit des temps, l’histoire a été faite de succession d’invasions de peuples, chacun cherchant à s’emparer des terres plus riches du voisin. Ainsi, le conflit naît des désirs contradictoires, souvent liés à nos pulsions et à notre soif de puissance.
Dans son ouvrage sur l’esprit de la médiation, Jacqueline Morineau parle du conflit comme d’un sentiment très flou(1). L’angoisse et la peur s’installent tant qu’on n’en a pas identifié la cause. La confrontation avec l’autre révèle alors ses désespoirs, ses propres peurs et échecs. Cela attise le désordre et l’angoisse, produisant souvent des situations anxiogènes, voire infantiles.
La médiation peut-elle accueillir ce désordre ? Certainement, en ce sens qu’elle est la scène sur laquelle peuvent se dérouler le drame ou les psychodrames du groupe et des individus. Elle crée un espace privilégié pour aller du chaos vers une nouvelle ordonnance. C’est en ce sens que certains types de conflits peuvent être positifs. Ils ont le mérite de poser de vraies questions. Car, la médiation offre à l’individu une confrontation avec lui-même. Elle lui suggère de faire œuvre de paix avec lui-même et les autres.
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