Le monde Évangélique en France connaît ces derniers temps des recompositions. Certaines unions d’Églises fusionnent, des Églises locales se joignent à des unions d’Églises, parmi elles certaines qui étaient demeurées indépendantes pendant des décennies. D’autres Églises quittent leur union. D’autres se veulent encore et toujours indépendantes. Le présent texte est né alors que diverses Églises s’interrogeaient quant à l’opportunité et au bien fondé de leur rattachement à une union d’Églises. Il conserve sans doute encore quelques traces de la présentation orale faite alors à plusieurs reprises.
L’appartenance à une union d’Églises est elle une bonne chose ? Est-ce biblique ? Est-ce une simple commodité ? N’avons-nous pas assez à faire dans notre Église locale ? Une union d’Églises ne risque-t-elle pas de détourner des forces vives des tâches de l’Église locale ?
L’auteur de ces lignes a grandi dans une Église qui était à l’époque indépendante (elle a maintenant rejoint une union d’Églises), avant d’exercer un ministère au sein d’Églises rattachées à une union. Ayant vu la différence, il en retire la conviction qu’une Église locale a beaucoup à gagner à l’appartenance à une union d’Églises et à la participation active à la vie de cette union.
Mais c’est d’abord aux bases bibliques que nous devons réfléchir.
I. Le fondement doctrinal
Nous examinerons donc tout d’abord ici un aspect de l’enseignement du Nouveau Testament sur l’Église. Cet enseignement est essentiellement apporté à l’aide d’images. Nous en considérerons plusieurs, sans vouloir dégager la totalité de l’enseignement des textes sur l’Église, mais simplement quelques aspects ayant trait à notre sujet.
1) Matthieu 16.15-19(1)
Ce premier texte est un texte fondateur. Il reprend une parole de Jésus lui-même. Elle nous montre quelle est la pensée de notre Seigneur, du Seigneur de l’Église.
L’Église fait partie du projet de Jésus-Christ. Elle revêt beaucoup d’importance à ses yeux. Il est d’ailleurs mort pour ce projet. Jésus n’a en effet pas seulement donné sa vie pour des individus : il l’a donnée pour son Église (Ép 5.25). C’est à ce projet qu’il est en train d’œuvrer maintenant : il bâtit son Église. Si Jésus est notre Seigneur, son projet est certainement le nôtre et nous voulons contribuer à sa réalisation...
Un détail mérite ici notre attention. Jésus n’a pas dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mes Églises ». Il a déclaré : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». L’Église que Jésus est en train de bâtir est une. Le projet de Jésus concerne une seule Église, que l’on appelle couramment l’Église universelle, ou que l’on pourrait encore appeler l’Église une.
Qu’en est-il de nous ? Sommes-nous en train de bâtir notre petite Église à nous, dans notre petit coin de France, sans nous préoccuper d’autre chose ? Si c’est le cas, il y a un décalage entre le projet du Seigneur et notre action. Car le Seigneur a quant à lui une vision beaucoup plus large.
Bien sûr, nous ne sommes pas le Seigneur. Nous ne pouvons pas être partout à la fois, ni porter le fardeau de l’Église en tout lieu. Mais la question qui se pose ici est de savoir dans quelle optique nous contribuons à la construction de notre Église locale. Est-ce simplement pour bâtir notre petite Église à nous sans nous préoccuper de ce qui peut se passer ailleurs ? Ou bien, est-ce que nous considérons que la construction de notre Église locale entre dans un projet beaucoup plus vaste, dans lequel elle est appelée à s’insérer ?
La construction de l’Église une passe par l’édification de chaque communauté locale. Mais si chaque communauté locale n’a pas la vision de l’objectif du Seigneur, si nous perdons de vue cette Église que Jésus veut bâtir, alors nous risquons de nous trouver en décalage par rapport à son œuvre actuelle. Comment pouvons-nous prétendre que nous voulons contribuer au projet du Seigneur si notre vision se limite à notre Église locale ? Ou si nous ne cherchons pas à intégrer notre action locale dans le projet plus vaste qu’est l’Église une ? Comment pouvons-nous prétendre contribuer localement au projet global de Jésus-Christ si notre Église locale n’a aucune relation, aucun lien avec d’autres communautés qui participent au même projet ?
Bien d’autres textes mettent en avant ce même projet du Seigneur.
2) Jean 10.14-17
Ici encore, nous voyons que Jésus a donné sa vie pour ce projet qu’est l’Église une. Il a donné sa vie pour ses brebis. Mais ce n’était pas pour que les brebis jouissent de leur salut toutes seules dans leur coin. Jésus voulait rassembler ses brebis en un seul troupeau, en une communauté (v. 16). Ce qui est visé dans ce verset est la réunion en un seul troupeau de Juifs et de non Juifs.
De nos jours se multiplient des communautés messianiques, des Églises ethniques : toutes ces communautés ont-elles conscience d’appartenir à un troupeau unique, inter-racial et inter-ethnique ?
Mais, de manière plus générale, Jésus souligne ici l’unicité de ce troupeau qu’il veut rassembler et cela doit nous faire réfléchir. Notre Église locale fait partie de ce troupeau que Jésus est en train de rassembler dans l’intention qu’il y ait un seul troupeau. Lorsque nous rassemblons dans notre localité, nous ne devons pas perdre cet objectif de vue. Rassemblons-nous seulement pour le compte de notre Église locale ? Avons-nous la vision du troupeau que Jésus est en train de rassembler et dont notre Église locale n’est qu’une partie ?
3) Éphésiens 2.11-22
On retrouve le même message chez Paul, dans ce texte qui accumule les images soulignant l’unicité de l’Église. Ici encore, on voit que Jésus est mort pour rassembler Juifs et non Juifs en une seule Église (v. 14). Il voulait créer une seule humanité (v. 15), unir les Juifs et les non Juifs en un seul corps (v. 16). L’ensemble des croyants forme un peuple, le peuple de Dieu (v. 19), une famille, la famille de Dieu (v. 19 ; Dieu est présenté comme le Père au v. 18). Les croyants forment encore un temple (v. 21), une construction (v. 22).
Cette construction repose sur des pierres de fondement, des pierres importantes pour l’édification d’un bâtiment. Elles représentent les apôtres. Ceux-ci jouent ce rôle en tant que prophètes(2). C’est en effet par leur parole, par leur enseignement, que les apôtres sont le fondement de l’Église. Il s’agit ici des douze et de Paul. L’apôtre mentionne encore la pierre angulaire, Jésus-Christ. Cette pierre est non seulement une pierre de fondation, mais, disposée dans un angle, elle lie entre eux deux murs de l’édifice. Peut-être est-ce cela que Paul a en tête lorsqu’il évoque la coordination de l’édifice : En lui toute la construction s’élève, bien coordonnée, afin d’être un temple saint dans le Seigneur (v. 21). Jésus, la pierre d’angle, unit les deux murs perpendiculaires, le mur juif et le mur d’origine païenne. Paul n’est pas aussi explicite sur ce point, mais cela est possible.
Quoi qu’il en soit, ce texte souligne très fortement l’unicité de l’Église. Paul veut affirmer l’unité entre les chrétiens d’origine juive et les chrétiens d’origine païenne. C’est d’abord dans ce sens qu’il présente l’Église comme étant une. Mais cet enseignement a d’autres implications qui ont trait à notre sujet : notre Église locale appartient à l’Église, elle n’a de sens et de raison d’être que par rapport au projet global qu’est l’Église.
En 1 Pierre 2.1-10 de même, il est question d’un temple, d’un peuple de Dieu.
4) 1 Corinthiens 12.12-31
Ce texte compare l’Église à un corps. Un corps possède plusieurs organes différents, jouant des rôles différents. Chaque organe y a sa place, sa fonction, chacun est important pour le bien-être et le bon fonctionnement du corps.
Paul utilise cette image à cause de problèmes locaux au sein de l’Église de Corinthe : des rivalités, un esprit de clans, la montée en épingle de certaines manifestations, comme le parler en langues, et la dépréciation d’autres activités ou ministères. Il veut stimuler les membres de cette communauté chrétienne locale à régler ces problèmes. Pour ce faire, il apporte un enseignement sur l’Église. De quelle Église s’agit-il ? Quelle est l’Église qu’il compare à un corps ? On a tendance à considérer qu’il s’agit de l’Église locale, puisque Paul traite de problèmes locaux. Mais quatre éléments du texte indiquent qu’il en est autrement.
1. Dans le Nouveau Testament, chaque fois que l’image du corps est utilisée, il n’est question que d’un seul corps. Il n’est jamais question des corps de Christ, ou des corps appartenant à Christ, des corps qui seraient les Églises locales. Il est toujours question du corps de Christ. Dans notre texte, Paul souligne d’ailleurs que ceux qui sont unis à Christ constituent un seul corps (v. 12-13).
2. Qu’est-ce qui unit les membres du corps en un seul corps ? C’est le baptême dans (ou par) l’Esprit (v. 13). Or les chrétiens de Corinthe ne sont pas les seuls a avoir été baptisés dans l’Esprit. Si c’est le baptême dans l’Esprit qui unit les chrétiens de Corinthe entre eux, alors les chrétiens de Corinthe sont aussi unis aux chrétiens d’Éphèse, de Jérusalem, de Rome, qui ont aussi été baptisés dans l’Esprit.
3. Paul écrit : « Nous avons tous été baptisés en un seul et même Esprit pour former un seul corps » (v. 13). Il s’inclut donc dans le corps dont il parle. Or Paul ne se trouve pas à Corinthe au moment où il écrit, et il n’est pas membre de l’Église de Corinthe. Dans sa pensée, le corps ne se réduit pas à l’Église de Corinthe.
4. Parmi les ministères mentionnés, les fonctions des organes du corps, Paul mentionne en premier lieu les apôtres (v. 28). Or, à ce que l’on sache, il n’y a pas d’apôtre à Corinthe au moment où Paul écrit(3).
Pour ces quatre raisons, on doit penser que l’Église dont Paul parle dans tout le passage et qu’il compare à un corps est l’Église une, l’Église universelle.
Il y a ici quelque chose de remarquable. Pour aborder des problèmes concrets de la communauté locale de Corinthe, Paul entame une réflexion sur l’Église universelle. C’est sur sa conception de l’Église une que l’apôtre fonde les exhortations qu’il adresse à la communauté locale. En fait, lorsqu’on considère le Nouveau Testament, on s’aperçoit que tous les textes qui donnent un enseignement ecclésiologique, un enseignement sur la nature ou les caractéristiques de l’Église, parlent de l’Église une. Cela ne veut pas dire que l’Église locale n’existe pas. Elle est bien présente dans le Nouveau Testament, mais simplement comme un fait, un fait voulu par Dieu. Par contre, dès qu’un auteur du Nouveau Testament élabore une ecclésiologie, c’est toujours de l’Église une qu’il est question. De même, lorsque Paul veut présenter une théologie de l’Église pour résoudre des problèmes locaux à Corinthe, le fondement de ses exhortations est une théologie de l’Église universelle.
On peut en conclure que, dans la pensée du Nouveau Testament, c’est l’Église une qui est la réalité fondamentale. L’Église locale ne se définit et n’a de raison d’être que par rapport à l’Église universelle : elle apparaît comme une manifestation locale de l’Église une.
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