Il y a paraît-il 2.084 allusions à la richesse et à l’argent dans la Bible contre 215 à la foi et 208 au salut(1). Cela ne veut pas dire que l’argent est plus important pour la Bible mais il est révélateur de notre personnalité et surtout de la foi. Il n’y a pas en effet de clivage entre le matériel et le spirituel dans la perspective biblique. Les nombreux préceptes relatifs à la richesse tant dans l’AT que dans le NT témoignent d’un domaine particulièrement sensible, une zone test pour notre foi, un lieu de vigilance de tous les instants, un terrain souvent glissant. Aussi est-ce sans hésitation et souvent sans réserve que les auteurs bibliques abordent ce sujet, à commencer par Jésus lui-même.
Il est difficile de ne retenir que les textes où il est question spécifiquement des finances dans l’Église. Cette question est posée dans un contexte différent du nôtre, à la lumière de l’ensemble de la révélation biblique. Elle ne peut donc pas être séparée de la question plus générale des richesses dans la Bible. C’est pourquoi je propose de nous arrêter tout d’abord sur les enjeux et les dérives des richesses pour la Bible ainsi que les solutions bibliques face à ces dérives. Puis nous en viendrons plus directement au thème de l’argent dans l’Église à travers la question du don. Enfin nous terminerons par la question des motivations et du juste rapport face à l’argent.
1- La richesse : ses enjeux, ses dérives, les solutions bibliques
Enjeux et dérives
D’abord il convient d’affirmer que la richesse n’est pas quelque chose de mauvais en soi pour les auteurs bibliques. Plusieurs personnages célèbres de la Bible sont riches sans que cela leur soit reproché : Job, Abraham, Salomon. Ce qui pose problème ce n’est pas d’avoir des richesses, c’est l’usage qu’on en fait ou l’attitude qu’on adopte face à elles. Ce qui importe pour l’Évangile, ce n’est pas la quantité des richesses que nous possédons (le combien) mais la relation que nous entretenons avec elles. La Bible ne se préoccupe pas tant de la question du « combien avons-nous ? » que de la question du « comment gérons-nous ? ». L’évangéliste Marc par exemple nous dit qu’un jour Jésus se tenait dans l’entrée du temple. Là il observait pour voir « comment chacun mettait son offrande dans le tronc » (comment et non pas combien) Mc 12.41. C’est bien le rapport à l’argent qui est ici visé par Jésus plus que la quantité.
Ailleurs, Jésus personnifie l’argent en le nommant « Mamon ». En disant « vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » (Mt 6.24), il fait de l’argent une sorte de « dieu concurrent ». C’est la seule idole qui soit ainsi personnifiée par Jésus. D’emblée, Jésus exclut toute possibilité de partage. L’adoration à Dieu est exclusive, incompatible avec celle à Mamon. L’argent représente une puissance non seulement « concurrente » mais surtout opposée à la démarche de la grâce qui est par définition une œuvre de gratuité.
La Bible dénonce à plusieurs reprises les effets pervers des richesses et des biens matériels sur l’homme. Mamon se conduit en véritable tyran. Jacques Ellul de remarquer que « dans les textes bibliques, l’argent est rarement considéré comme un objet neutre, mais comme un sujet qui agit aussi bien à l’égard de celui qui ne l’a pas (et qui alors le désire ou plutôt est désiré par l’argent) que celui qui le possède et obéit à ses lois »(2). Mamon a ce redoutable pouvoir de prendre de plus en plus de place dans le cœur de l’homme. « Celui qui aime l’argent dit l’ecclésiaste n’est pas rassasié par l’argent » (5.9). Autrement dit celui qui en a en veut toujours plus. Ainsi, « le bonheur d’argent est comme une ligne d’horizon qui s’éloigne au fur et à mesure que l’homme cherche à s’en approcher »(3). C’est précisément cet engrenage infernal lié à l’argent et aux possessions matérielles que dénoncent les prophètes à commencer par Ésaïe : « quel malheur de voir ces gens qui ajoutent une maison à une autre et annexent champ après champ ! À la fin ils ont pris toute la place, il n’y a plus qu’eux dans le pays » (5.8). L’argent met ainsi en lumière cette prétention du cœur humain à prendre toute la place jusqu’à celle de Dieu si c’était possible.
Parmi les dérives liées à cet engrenage de l’argent et des richesses, il y en a donc 3 sur lesquelles la Bible nous interpelle plus particulièrement :
1 - l’idolâtrie en faisant de l’argent ce Mamon qu’on sert à côté (ou à la place) de Dieu. L’apôtre Paul en Colossiens 3.5 dénonce l’avarice comme un acte d’idolâtrie.
2 - l’esclavage. C’est l’histoire du jeune homme riche qui n’est pas prêt à se défaire de ses richesses. En lui demandant de vendre tous ses biens, le Christ met en évidence sa trop grande dépendance vis-à-vis de l’argent qui l’empêche de choisir (il repart tout triste) et le rend finalement esclave.
3 - enfin l’endurcissement du cœur : « ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques uns en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments » 1 Tm 6.9-10. Une fois de plus, c’est l’avarice qui est ici dénoncée.
Solutions
1 - Le premier repère que la Bible pose pour nous aider à prévenir ces dérives, c’est d’affirmer que l’argent et les richesses sont subordonnés à Dieu : « l’or et l’argent du monde entier m’appartiennent » dit Dieu par la bouche du prophète Aggée (2.8 version Français Courant). L’homme n’est donc pas le propriétaire absolu des richesses. Il n’en est que le gérant. Savoir cela change bien des choses dans notre rapport à l’argent. En tant que gérant de richesses qui me sont confiées, j’ai des comptes à rendre. Je ne peux pas en faire ce que je veux et surtout je ne peux pas être possédé par ce qui ne m’appartient pas. Je ne peux pas non plus m’en glorifier : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? dit Paul aux corinthiens, Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu ? » (1 Co 4.7). Cela change aussi dans ma manière de donner. Car le don que je fais au Seigneur est prélevé sur ce qui lui appartient déjà. Il devient avant tout un acte de reconnaissance envers celui qui est le maître et le donateur de tous nos biens. Ainsi je ne donne pas parce que Dieu en a besoin mais parce que j’en ai besoin.
2 - À côté de l’affirmation que Dieu est bien le propriétaire absolu de nos richesses, la pratique du don est le deuxième repère biblique dans le rapport que l’homme est amené à entretenir avec l’argent. « Tel qui fait des largesses devient plus riche, tel qui épargne à l’excès ne fait que s’appauvrir » (Pr 11.24). Pour Jacques Ellul le don est une profanation de l’argent, il le désacralise, il l’empêche de devenir une idole dans notre vie(4). Le don introduit dans le domaine de la concurrence et de la vente la dimension de la gratuité. Ésaïe 55.1 le dit en des termes très clairs : « venez, achetez du vin et du lait sans argent, sans rien payer ». L’achat et la gratuité se mélangent ici jusqu’à se confondre. C’est parce que nous avons reçu gratuitement que nous sommes invités à donner gratuitement. C’est la même exhortation que Jésus donne à ses disciples quand il les envoie dans les villes pour évangéliser : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10.8). C’est dans ce contexte qu’il convient d’aborder le don d’argent dans la Bible.
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