Le secret professionnel ne cesse de se restreindre comme peau de chagrin : certaines professions sociales ou médicales sont tenues à une obligation de délation ; en matière de blanchiment d’argent, une déclaration de soupçon est imposée aux banquiers et aux notaires, il est question d’y astreindre les avocats. Le secret professionnel du ministre du culte qui jusqu’à maintenant avait mieux résisté, a été sérieusement ébranlé récemment : d’une part, par la condamnation d’un évêque qui avait refusé de dénoncer des agissements de pédophilie commis par un prêtre de son diocèse et dont il avait eu connaissance ; d’autre part, par l’affirmation solennelle de la Cour de Cassation selon laquelle le secret professionnel ne peut être opposé à la demande de saisie de documents ordonnée par un juge d’instruction, affirmation reprise par le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, actuellement en seconde lecture à l’Assemblée Nationale.
D’aucuns voient dans cette notion un anachronisme inconciliable avec d’autres principes plus fondamentaux, une survivance de temps obscurs. Cela est surprenant à notre époque, qui ne cesse de revendiquer le respect de la vie privée, puisque précisément le secret professionnel est au cœur du droit à l’intimité.
Rappel historique
Notion floue, évidente et mal circonscrite, l’expression elle-même ne remonte pas au-delà du Code Pénal mais le concept est très ancien.
Une ébauche, sous forme de règle morale, d’obligation à la discrétion, se trouve dans les Proverbes (Pr 25.9-10) : « Plaide ta cause contre ton prochain mais ne révèle pas le secret d’un autre, de peur qu’en l’apprenant, il ne t’insulte et que ta médisance ne puisse être rattrapée ».
Le premier texte à viser une telle obligation dans le cadre professionnel est le serment d’Hippocrate vers 400 avant J.C. et dont on ignore comment il a été réellement suivi : « Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que… quoi que je voie ou entende dans la société, pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas ». Sous l’Ancien Droit, les tribunaux imposaient aux médecins, chirurgiens et apothicaires « de ne pas abuser de la confiance qu’on leur a faite et de garder exactement et fidèlement le secret des choses qui sont venues à leur connaissance ».
Le secret professionnel des ministres du culte apparaît dans l’Église chrétienne. Dès le IVème siècle, la pratique de la confession privée est répandue et des peines très sévères sont prévues pour les prêtres qui auraient révélé un secret, ainsi que l’édicte le Canon 21 du IVème Concile de Latran en 1215 : « Celui qui aura découvert le péché qu’il aura connu par la voie de la confession sera, par notre ordonnance, non seulement déposé de la dignité sacerdotale mais encore enfermé dans un monastère d’étroite observance, pour y faire pénitence le reste de ses jours». Au XVIème siècle, le Concile de Trente confirme le principe du secret absolu. Bien que la Réforme rejette la confession comme sacrement, dès 1579, le Synode de Figeac affirme le principe du secret pour les pasteurs, principe qui a été repris par l’article 36 de l’Édit de Nantes en 1598 : « Les ministres de la religion réformée ne pourront être contraints de répondre en justice, en qualité de témoins, pour des choses qui auraient été révélées en leur consistoire…sinon que ce soit pour chose concernant la personne du Roi ou la conservation de l’État ». Les Ordonnances royales suivent les canons de l’Église et punissent sévèrement ceux qui révèlent le secret de la confession à l’exception toutefois de ce qui est relatif aux crimes de lèse-majesté ou complots contre l’État.
Dès le Moyen-Age, le secret professionnel des avocats, qui découle de celui des clercs, la justice ayant alors un caractère religieux, est reconnu.
En 1810, le Code Pénal consacre pour la première fois le secret professionnel en édictant une sanction pénale en cas de violation, reprise par le Nouveau Code Pénal dans son article 226-13 : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende ». La jurisprudence antérieure qui avait étendu cette notion à de nombreuses professions et en particulier, en dépit du caractère laïque de notre société, aux ministres du culte est confirmée.
1 - Notion de secret protégé
Le secret professionnel implique « le devoir de se taire et le droit de garder le silence » y compris devant les autorités judiciaires lors d’une enquête, devant le juge d’instruction ou de refuser de témoigner devant une juridiction.
Les personnes tenues au secret.
Le ministre du culte y est tenu. Depuis 1905, en affirmant le principe de la laïcité, l’État refuse de définir les cultes reconnus et la jurisprudence s’est vue dans l’obligation de cerner de façon plus précise la qualité de « ministre du culte » qui est parfois peu claire dans certaines Églises protestantes : il s’agit de « toute personne établie par la religion considérée pour célébrer des cérémonies et conférer les sacrements admis par cette religion ».
La doctrine considère que certaines personnes associées de près, telles que les conseillers presbytéraux, les titulaires de délégation pastorale et traditionnellement les conjoints de pasteur sont également liés par le secret.
Lorsque le poids de la confidence devient trop lourd, le ministre du culte peut être tenté de la partager avec une tierce personne, voire un groupe. Juridiquement, il n’est pas autorisé à le faire. En fait, il pourrait se libérer en s’assurant de toutes les garanties de discrétion adéquates, notamment avec un collègue lui-même tenu au secret et en veillant à le lui rappeler.
Le secret protégé
Le professionnel n’est pas tenu de garder le silence sur toute information mais, pour l’homme d’Église, il est plus difficile de circonscrire celle qui doit être protégée : pour un médecin, c’est essentiellement ce qui a trait à l’état de santé du patient ; pour l’avocat, ce qui est lié au droit ; mais pour un prêtre ou un pasteur, c’est l’âme qui rejaillit dans tous les aspects de la vie qui est lieu de confidence.
Dès l’origine, le secret protégé est celui qui est reçu dans le cadre de la confession sacramentelle et la jurisprudence a consacré cette interprétation jusqu’à la Révolution. En particulier, un arrêt du Parlement de Paris du 23 octobre 1580 rappelle qu’un confesseur ne peut être contraint de révéler la confession même en matière criminelle. À la Révolution, bien que la religion réformée soit autorisée et que l’Édit de Nantes ait consacré cette notion, les juges maintiennent cette position qui est alors régressive, soutenant que seuls les prêtres catholiques peuvent bénéficier d’une dispense de témoignage en justice puisque seule la religion catholique connaît le sacrement de la confession. Ce n’est que dans un arrêt du 4 décembre 1891 que la Cour de Cassation, dans une décision de principe, admet que, pour les prêtres catholiques, il n’y a pas lieu de distinguer s’ils avaient connaissance de faits par la voie de la confession ou en dehors de ce sacrement : « cette circonstance ne saurait changer la nature du secret dont ils sont dépositaires si les faits leur ont été confiés dans l’exercice exclusif de leur ministère sacerdotal et à raison de ce ministère ».
Postérieurement, la jurisprudence a eu l’occasion de confirmer cette position quant aux pasteurs, affirmant que le principe du secret s’applique aux prêtres comme aux pasteurs de l’Église Réformée de France (T.Corr.Bordeaux 24/4/1977). Après ces années d’errance, il est fermement établi que le secret professionnel s’applique aux confidences reçues tant dans le cadre de la confession qu’en dehors dès lors qu’« elles s’adressent à l’homme d’Église dans l’exercice de son ministère ».
Ainsi, les paroles reçues par un pasteur mais en sa qualité d’ami ou de parent ne sauraient bénéficier de cette protection même si, en pratique, la distinction n’est pas toujours aisée.
Le seul fait de révéler ce qui doit demeurer caché est répréhensible, même s’il s’agit de faits déjà connus, dépourvus de toute intention de nuire et ne causant aucun préjudice à la personne, voire l’honorant, que cette révélation soit publique ou privée et quel que soit son support. Cette protection s’étend non seulement aux paroles prononcées mais également à tout ce que le ministre du culte a pu « comprendre, déduire, voir, entendre dans le cadre de sa profession ».
2 – Limites au secret protégé
La révélation d’une information protégée par le secret peut se justifier par l’état de nécessité ou au nom d’autres intérêts.
L’état de nécessité
Si, pour le ministre du culte, le seul moyen d’établir son innocence est de révéler certains faits couverts par le secret professionnel, il peut le faire sans pour autant être poursuivi pénalement mais il doit s’en tenir aux strictes nécessités que requiert l’exigence de sa défense.
L’obligation de la Loi
La reconnaissance du secret ne signifie pas pour autant que le professionnel est en droit de contribuer par ses agissements à soustraire aux recherches ou à l’arrestation quelqu’un dont il a connaissance qu’il a commis un crime ou qu’il en a été complice, en lui fournissant « un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens de subsistance ou tout autre moyen ». Il pourrait alors être poursuivi pour recel de criminel. (article 434-6 du Code Pénal).
L’autorisation de la Loi
Afin de protéger les mineurs victimes d’agissements répréhensibles ou les personnes vulnérables, la loi autorise les ministres du culte, ainsi que d’autres professionnels à révéler certains faits à caractère secret, ainsi que l’énonce l’article 226-14 du Code Pénal : « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation …à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ». Il ne s’agit pas d’une obligation comme pour certaines professions médicales ou socio-éducatives mais d’une autorisation. Le ministre du culte est renvoyé à sa propre conscience : s’il garde le silence, il ne sera pas poursuivi pour non-dénonciation de crime ou mauvais traitements sur mineur de quinze ans ou personne vulnérable (articles 434-1 et 434-3 du Code Pénal) et s’il parle, il ne pourrait l’être pour violation du secret professionnel.
En revanche, il demeure qu’il peut être poursuivi pour non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code Pénal) comme tout citoyen, s’il n’intervient pas pour faire cesser un péril imminent, une infraction en train de se produire sous ses yeux. Mais, en l’état actuel de la jurisprudence, cela ne concerne pas les faits incriminés par l’article 226-14.
Sous la pression de la société, l’autorisation de garder le silence prévue à l’article 226-14 n’est-elle pas devenue de fait une obligation de parler ?
...
...