Dans nos églises établies, le pasteur hérite d'un mode de fonctionnement qui est plus ou moins adapté aux besoins de l'église. Il lui faut bâtir des relations de confiance avec l'église avant de pouvoir lui proposer des modifications. Une nouvelle implantation d'église a un grand avantage : le pionnier n'hérite pas de structures lourdes. Mais elle a aussi un grand inconvénient : ce dernier ne peut pas rejeter la responsabilité des dysfonctionnements sur les autres ! La réflexion suivante est le fruit de mon expérience dans un poste d'évangélisation, mais j'espère que le lecteur y trouvera des principes qu'il pourra appliquer à sa propre situation.
UN MODÈLE BIBLIQUE D'ORGANISATION
L'équipe d'implantation à Romainville (un équipier d'Opération Mobilisation, un médecin et moi-même) était en réaction contre le ministère pastoral unique, et elle avait une volonté sincère de collégialité. Elle aurait voulu croire qu'il y avait un modèle biblique à découvrir et à appliquer. Cela paraissait tout simple : en conformité avec la pratique de l'apôtre Paul, lors de ses voyages missionnaires, il fallait confier la direction de l'église à un "collège d'anciens". Pour cette raison, nous n'avions pas de "pasteur" en titre, et les responsables ont pris le titre d'"anciens". Dans notre schéma de fonctionnement un peu idéaliste, nous étions loin de prévoir les jeux de pouvoir qui peuvent surgir dans la vie de l'église !
Nous aurions préféré fonctionner exclusivement avec ce collège d'anciens, et nous dispenser de conseil d'administration, mais la loi ne rendait pas cela facile. Nous avons mis en place les deux structures, avec les anciens membres de droit du conseil. La question dès lors se posait de l'articulation entre les anciens et le conseil d'administration : qui détenait l'autorité dans l'église ? Avec le recul de quelques années de ministère, j'ai compris qu'au niveau biblique il y a diverses manières d'organiser la vie de l'église, qui correspondent à des époques différentes de la vie de l'église, aux différentes tailles d'église, et aux différentes cultures auxquelles elle doit s'adapter. Quels sont les besoins dans notre situation actuelle ? Après quelques années de fonctionnement avec des "anciens", je crois que la notion n'est plus adaptée à nos églises occidentales du XXIe siècle. Peu à peu, des anciens inamovibles sclérosent la vie de l'église. Aujourd'hui, il faudrait plutôt partager la responsabilité de la vie de l'église entre "permanents" (les employés de l'église), "responsables" (les responsables d'activité), et "délégués" (les représentants des membres). Mais quels que soient le modèle et les appellations qu'on choisit, il faudrait qu'ils aient de la souplesse et qu'ils soient évolutifs, afin de coller au mieux aux besoins !
L’EXERCICE DE L'AUTORITÉ DANS L'ÉGLISE
Selon la loi française, l'autorité appartient dans une association à l'Assemblée Générale. Les plus "spirituels" d'entre nous répondraient que Dieu est notre "souverain", non pas l'A.G. ! Une tension va toujours exister entre notre idéal chrétien et la structure que nous impose la loi, mais celle-ci a le mérite de nous ramener les pieds sur terre, et de nous éviter des dérives sectaires.
Il existe aussi une tension entre un conseil représentatif des diverses vues et sensibilités de la communauté, et un conseil efficace où se trouvent les vrais animateurs de la vie de l'église. Certains conseils sont assez éloignés de l'action et agissent comme un frein pour les vrais animateurs. Lorsque les responsabilités ne sont pas clairement définies, ou qu'elles n'évoluent pas avec l'église, les conflits et les tentatives de prises de pouvoir sont fréquents. Un bon équilibre des pouvoirs, et une bonne entente entre l'assemblée générale, le conseil et les permanents, créera les conditions pour l'épanouissement de l'église.
Je suis frappé par l'immaturité du comportement des chrétiens dans les églises (et j'y ai aussi ma part de responsabilité). Nous ne voyons pas les choses toujours de la même manière que notre pasteur, et des projets qui nous sont chers ne prennent pas la tournure que nous aurions souhaitée. Comment réagissons-nous ? Parfois de façon négative : nous avons envie de bouder dans notre coin ou de changer d'église ! Il n'est pas facile d'accepter des décisions qui paraissent arbitraires ; et même, nous plier à la volonté de la majorité exige de nous une certaine humilité.
Il n'est pas étonnant que nos églises soient agitées de temps en temps par des rivalités ou paralysées par des conflits. Si nous sommes courageux, nous ne les nierons pas. Nous y ferons face, et nous apprendrons à les gérer de façon constructive. Au lieu de nous entredéchirer ou de nous séparer, nous apprendrons à trouver de bons compromis, qui nous permettront de cheminer un peu plus loin ensemble.
LA RESPONSABILITÉ PRINCIPALE DE LA VIE DE L'ÉGLISE
Certains pasteurs travaillent de manière très efficace, et apparemment bénie, en fonctionnant sur le modèle traditionnel du chef d'entreprise, en menant leur équipe à la baguette. Ils justifient cela le plus souvent de manière biblique, en s'identifiant aux apôtres, avec une vocation et une mission données par le Seigneur. Mais est-ce que cela correspond à la volonté du Seigneur pour l'église ?
A l'époque où j'étais pasteur-ouvrier, employé comme ouvrier non-spécialisé dans une pâtisserie industrielle, j'ai vu ce modèle traditionnel en opération. Les ordres venaient de "là-haut", et les employés n'étaient pas censés réfléchir sur ce qu'ils faisaient, mais seulement accomplir une tâche précise, de façon machinale. Dans une église, ce genre de "patron" maintient les membres dans une situation de dépendance et un rôle de simples exécutants. Le chef d'entreprise moderne a un autre style de direction. Il sait rassembler, déléguer, donner des impulsions, et aussi accepter ses torts, et un pasteur de ce genre peut exercer un ministère béni dans l'église à certaines phases de son développement, où il faut une direction forte. La science du management, à condition d'être soumise à la lumière de la Parole de Dieu, peut être instructive.
L'église a besoin de structures claires. C'est une chimère d'imaginer que plusieurs anciens peuvent exercer la responsabilité ensemble et au même degré ! Il me semble important qu'il y ait un responsable principal dans l'église, clairement désigné, à consulter en cas de difficultés, qui a l'autorité de parler au nom de l'église et qui acceptera la responsabilité en cas de problème. Autant que possible, le responsable désigné doit être le responsable effectif ! Attention aux pouvoirs occultes dans l'église ! Attention aux tyrans qui se cachent derrière un masque "spirituel" !
LES DIFFICULTÉS DE LA COLLÉGIALITÉ ET DU TRAVAIL EN ÉQUIPE
Là où le conseil de l'église essaie de tout organiser, de tout régler, de tout décider, l'église va être limitée dans sa croissance et son développement. De plus en plus, les églises mettent en place des commissions pour chaque secteur d'activité : commission évangélisation, commission école du dimanche, commission animation des cultes. On a enfin reconnu que le Conseil de l'église ne va pas pouvoir tout faire ! (Pour ma part, je préfère le terme équipe à celui de commission).
A Romainville, les trois anciens voulaient vivre une authentique collégialité, mais les bonnes intentions ne suffisent pas ! Il faut faire face à tant de besoins et tant d'urgences. Déléguer les tâches et travailler en équipe ne sont pas des gestes naturels pour la plupart d'entre nous. Dans le court terme, c'est beaucoup plus simple et plus rapide de tout faire soi-même ! La collégialité et la délégation prennent du temps précieux, et exigent des efforts dans la communication et dans l'organisation, mais dans le long terme, elles porteront des fruits.
Nombreux sont ceux qui aiment travailler seuls et de manière autonome, sans être obligés de rendre compte de leurs activités. Nous avons vécu une expérience malheureuse de partage des responsabilités au début de la vie de l'église de Romainville : les anciens ont invité quelques personnes de l'assemblée à participer à l'animation des cultes. On imaginait que cela se passerait dans une bonne entente, avec un esprit d'écoute et de confiance mutuelle ! Cette première expérience de travail en équipe a été assez catastrophique, parce que certains de ces animateurs du culte n'avaient pas le souci de servir l'église. Ils se valorisaient par cette tâche et n'acceptaient ni critique ni remise en question de leur manière de faire les choses. Une deuxième expérience fut beaucoup plus positive parce que les équipiers s'engageaient à fonctionner dans une équipe, à participer aux rencontres de l'équipe, à prier ensemble, à réfléchir ensemble sur la théorie de l'animation du culte et à recevoir une formation.
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