Penser au-delà de l’Église locale pour mieux vivre l’Église grand angle : voilà le programme ambitieux de ce hors-série des Cahiers de l’École pastorale. Le symbole de Nicée-Constantinople le dit dans une jolie formule : « je crois en l’Église une ». Et si, comme l’exprime Jacques Nussbaumer dans le présent volume, on ne croit pas en l’Église comme on croit en Dieu, l’affirmation selon laquelle « l’Église est une » est théologiquement lourde de sens. Christ n’a pas plusieurs corps, mais un seul ; non pas un harem(1), mais une seule épouse, et là, notre fidélité est engagée.
Cette épouse, c’est l’Église de Dieu qu’il s’est acquise par son propre sang. Elle est sa propriété, son grand projet. Ainsi, développer cette compréhension dans le peuple de Dieu et prendre notre part, intentionnellement, au grand rassemblement que Christ opère en vue de son retour n’est pas une option, mais un essentiel de la foi.
Nous le savons, nos milieux évangéliques, majoritairement congrégationalistes, ont trop souvent péché par repli localiste ou tentation associationniste (l’idée que l’Église est une tribu que je choisis, que je compose). Certes, si nos Églises de professants ont dû réagir dans l’histoire à une compréhension trop institutionnelle, multitudiniste ou cléricale de l’Église afin de remettre l’accent sur la nécessité d’une adhésion personnelle et volontaire à la communauté chrétienne, cette emphase porte le risque d’une double tentation. La première serait d’oublier que l’Église est d’abord quelque chose qui se reçoit, une réalité à laquelle, par le baptême du Saint-Esprit, Dieu nous agrège, faisant de nous de facto des êtres ecclésiaux. Le thème du baptême du Saint-Esprit en 1 Corinthiens 12.13 relie ainsi explicitement sotériologie et ecclésiologie, sans nous en laisser le choix :
« En effet, que nous soyons juifs ou grecs, esclaves ou libres, nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps et nous avons tous bu à un seul Esprit. »
Et ce corps, deuxième tentation liée à l’individualisme ecclésiologique qui guette notre tradition ecclésiale, est une donnée globale, et non pas d’abord locale. Si, par le baptême du Saint-Esprit, Christ fait de nous des êtres ecclésiaux, cette identité ecclésiale que nous revêtons doit d’abord s’appréhender à l’échelle de l’Église une. Le « un seul corps » auquel nous sommes ajoutés, chacun pour notre part, est bien l’unique, LE corps du Christ.
En congrégationalisme, cette affirmation théologique amène immédiatement une tension et un certain nombre de questions que nous avons souhaité traiter tout au long de cet ouvrage. En effet, comment penser théologiquement dans les traditions congrégationalistes le rapport entre l’échelon des Églises locales et cette réalité de l’Église une ? Comment penser ecclésiologiquement et concrètement, entre ces deux dimensions, les réalités ecclésiales intermédiaires, que nous appellerons translocales : unions d’Églises, unions d’unions comme le Réseau FEF, le CNEF ou encore la FPF, pastorales locales, etc. Toutes ces réalités sont-elles l’Église, ou autre chose que l’Église ? Si elles sont quelque chose de l’Église, dans quelle mesure le sont-elles autrement qu’une Église locale ne l’est ? Et comment penser leurs rapports d’identité, de collaboration et d’autorité ?
Ces questions portent un double enjeu, que nous approfondirons au fil de ces pages, à la fois dans les contributions du Comité de réflexion théologique de la FEEBF (« La translocalité de l’Église et des ministères en congrégationalisme »), dans les apports stimulants de Jacques Nussbaumer sur l’Église une et son ADN ou dans l’ouverture que nous offre Anne-Cathy Graber par la recension du dernier livre du groupe des Dombes sur la catholicité des Églises.
Le premier de ces enjeux est celui de faire vivre, sans l’écraser, le relief nécessaire au déploiement de l’être et de la mission de l’Église, à chaque échelon, selon ses modalités propres, ceci dans une juste logique de coopération dans un même ensemble. Pour que les unions d’Églises n’étouffent pas ce qui appartient à l’être, à la mission, au mode d’ecclésialité des Églises ; pour que le CNEF, le Réseau FEF ou la FPF, de la même manière, ne se substituent pas à l’échelon des unions, mais les soutiennent selon leur mode d’ecclésialité spécifique, et que chacun soit libéré, sans frein ni peur, dans sa vocation propre, conscient que le Christ est le chef de cet ensemble.
Le deuxième enjeu, fondamental, est celui de mieux penser la légitimité biblique et théologique des ministères qui se déploient à l’échelon translocal. Le piège serait, en effet, selon un certain pragmatisme évangélique, de les établir par souci d’efficacité. Mutualiser parce qu’il le faut, pour faire des économies d’échelle ou pour gérer la pénurie…, plutôt que d’établir ces ministères parce que leur existence et leur déploiement correspondent à une nécessité théologique dans l’économie du royaume, liée au caractère un de l’Église et de sa mission. Au-delà du schéma classique de nos Églises « une Église = un pasteur », comment pouvons-nous recevoir, établir, articuler et financer une diversité de ministères, à l’échelon translocal et local, en vue de la croissance du corps (Ep 4.7-16) ?
Toutes ces questions théologiques et pratiques, nous avons souhaité nous y frotter dans ce volume, et avons tenté d’explorer de nouvelles pistes et d’esquisser des propositions nouvelles. Nous sommes particulièrement conscients que ce hors-série est à recevoir comme un jalon, une invitation à poursuivre le dialogue et la réflexion. Alors, saisissez-vous de ces propositions, nous serons heureux d’accueillir et de nous nourrir de vos retours !
oooooooooooooooooo
Préface
Erwan Cloarec
Articles
La translocalité de l’Église et des ministères en congrégationalisme
Comité de réflexion théologique
L’Église « une » : faire parler notre ADN
Jacques Nussbaumer
Présentation de livres
Groupe des Dombes, « De toutes les nations… »
Anne-Cathy Graber