Introduction
Collégialité, autorité, gouvernance et service : chacun de ces mots pris individuellement pourrait constituer un programme entier et faire l’objet de longs développements. Mais l’intérêt, ici, est de les mettre ensemble et d’essayer d’en montrer l’articulation. On pourrait les regrouper en deux binômes : autorité/gouvernance et service/collégialité.
Cet arrangement permet de mettre en valeur une certaine tension entre la dimension relationnelle de l’Église, exprimée par les mots service et collégialité, et sa dimension institutionnelle, reflétée dans les mots autorité et gouvernance.
L’Église comporte en effet un double aspect : elle est à la fois un corps spirituel, constitué par l’Esprit Saint, et un corps social, une réalité humaine qui doit être conduite, dirigée, administrée, gouvernée.
Comment doit-être gouverné un corps qui est à la fois spirituel et social ?
Comment l’autorité s’exerce-t-elle au sein de ce corps ?
Comment les décisions doivent-elles être prises ?
Ces questions, qui tournent autour de l’articulation du double aspect de l’Église, se sont toujours posées et beaucoup de modèles ont été proposés tout au long de l’histoire.
La collégialité : un mot magique ?
Tous les théologiens qui ont réfléchi à la gouvernance de l’Église sont d’accord pour affirmer qu’elle est une christocratie ou une pneumatocratie, c’est-à-dire qu’elle est gouvernée par Christ ou par son Esprit. L’Église est le corps du Christ. C’est lui qui est la tête de son corps, c'est-à-dire le chef. L’Église n’est donc ni une autocratie (système dans lequel le pouvoir est détenu par une seule personne), ni une oligarchie (un groupe de personnes détient l’autorité), ni même une démocratie (le pouvoir appartient au peuple).
Toute la difficulté est alors de savoir quelles sont les structures qui permettent à l’Église de fonctionner au mieux comme une christocratie.
La solution serait-elle que la gouvernance de l’Église doit être collégiale ?
La collégialité serait-elle le mot magique qui permettrait de résoudre toutes ces difficultés ?
Serait-ce le maître mot qui permettrait de se prémunir à la fois contre les dérives autocratiques du pastorat monarchique et clérical et contre la passivité ou le manque d’engagement de certains membres d’Églises ?
Cet accent sur la collégialité serait-il un effet de mode ?
En parlant autant de collégialité, l’Église n’aurait-elle pas simplement pris acte de l’évolution des mentalités et même intégré les modèles de gouvernance d’aujourd’hui ?
En mettant en valeur la notion de collégialité, est-ce un réalisme pragmatique qui nous anime ou plutôt un souci de fidélité à l’Écriture ?
Le mot collégialité est en effet à la mode.
L’égalitarisme contemporain est mal à l’aise avec toute notion de hiérarchie. Les hiérarchies sont récusées dans de nombreux endroits où l’on met en place des modèles participatifs de gouvernance.
On parle de plus en plus dans le monde de l’entreprise de « management participatif » qui passe par la rationalisation, la spécialisation, la concentration et le regroupement des compétences. Par ailleurs, dans les Églises, on parle de plus en plus de collégialité, ou parfois même, de coresponsabilité.
Mettre l’accent sur le leadership
Toutefois, la valorisation de la collégialité n’est pas le seul élément à prendre en compte pour brosser un tableau plus complet de la situation ecclésiale contemporaine.
L’accent est mis aussi sur le leadership. Je cite les toutes premières phrases d’un livre sur le sujet, écrit par le théologien baptiste Paul Beasley-Murray, dans les années 1960 :
Le leadership est une priorité centrale dans les Églises d’aujourd’hui. La prédication est importante, le culte est important, la cure d’âme, l’évangélisation, l’action sociale, toutes ces choses doivent avoir une bonne place dans l’agenda (de l’Église). Mais en premier vient le leadership(1).
L’auteur continue en affirmant que les Églises ont besoin, non pas d’augmenter le nombre de leurs membres, mais celui de leurs leaders.
Plus récemment, un autre auteur évangélique, Michel Evans, a défini le leadership comme « la capacité d’un individu à influencer et à conduire d’autres personnes ou organisations dans le but d’atteindre certains objectifs »(2). Le leader, selon lui, est « un meneur, un dirigeant de terrain, capable de guider, d’influencer et d’inciter à l’action, il sait formuler une vision claire qui motive et enthousiasme son entourage »(3).
Le leader semble aussi être très recherché dans les Églises. Un leader c’est quelqu’un qui a une vision claire pour l’Église, qui sait la communiquer, enthousiasmer, motiver, rassembler, fédérer autour d’un projet, etc.
On lit souvent que les Églises ont besoin de tels pasteurs, c’est-à-dire de bons leaders.
Beaucoup d’auteurs, notamment du courant de la croissance de l’Église, Peter Wagner par exemple, insistent sur le lien étroit entre un leadership fort et la croissance de l’Église.
Dans nos communautés locales, comme dans les structures nationales et régionales de nos Églises, nous sommes donc devant deux défis : valoriser la collégialité d’une part et valoriser le leadership d’autre part. On pourrait penser que les deux notions sont en tension mais on constate qu’elles ne sont pas présentées comme antinomiques parce qu’il y a eu une évolution de la notion de leadership.
Le modèle du leader « grand patron », même s’il existe dans certaines Églises, semble de moins en moins mis en avant.
Si autrefois le leader était l’homme avec les pleins pouvoirs et l’autorité, celui qui commandait et décidait de tout, aujourd’hui, comme l’écrit Michel Evans :
Le leader est surtout perçu comme un « facilitateur », quelqu’un qui permet aux autres de réaliser leurs ambitions et qui met l’accent sur la dynamique du groupe ; bref, il est une personne ressource qui est davantage préoccupée par le travail en équipe. Le leadership se définit moins aujourd’hui sur la base de l’individu qu’en fonction du groupe(4).
On valorise davantage un modèle de leadership dans lequel les leaders considèrent qu’ils ne doivent pas simplement déléguer des tâches, mais convaincre, catalyser, faciliter le travail des autres. Ils doivent mettre les autres au travail et leur permettre de remplir leur service dans le corps en fonction de leurs dons et talents”(5).
Par ailleurs, une Église peut être dirigée par un pasteur autocrate, tout en montrant un degré important de délégation des tâches et des responsabilités ; les autres sont, dans ce cas précis, ses délégués : ils lui rendent compte de leur gestion. Il les déplace, remplace, etc., ce sont ses exécutants.
On distingue aussi parfois le leader et le manager (ou gestionnaire) : le leader c’est le visionnaire ; il nourrit la vision et la met en œuvre ; le manager, en revanche, c’est le gestionnaire, l’administrateur : il gère et consolide l’existant.
Alors, on répartit ainsi les tâches : au pasteur ce rôle de leader et aux membres du conseil celui de managers/administrateurs.
On parle aussi parfois d’équipe de leaders. On met l’accent sur le travail en équipe, sur la collaboration au sein d’une équipe de leaders. Le pasteur partage alors le leadership, il est le « leader des leaders ».
La réflexion sur le leadership ecclésial s’est donc développée sous l’influence des techniques modernes de management, mais sans remettre fondamentalement en cause le ministère pastoral ni la collégialité. Cela permet d’intégrer le pasteur au sein d’une équipe (équipe de ministères, ou conseil d’Église).
Cette façon de répartir les tâches essaie d’éviter certaines tensions en précisant la place de chacun.
On pourrait néanmoins se demander si cette manière de considérer le pasteur comme un leader, n’a pas tendance à quelque peu sous-estimer l’importance de ce qu’on appelle traditionnellement « le soin pastoral ». Jacques Blandenier a raison d’insister sur l’équilibre qu’il faut trouver entre ces deux aspects :
Si l’Église a besoin de leaders qui marchent devant, qui fixent un cap, des objectifs, qui entraînent le troupeau avec élan, énergie, enthousiasme, elle a aussi besoin de personnes qui marchent derrière et qui portent les brebis plus fragiles, qui pansent les blessures, qui vont chercher celles qui s’égarent, selon Ézéchiel 34(6).
Quoi qu’il en soit, on constate que, même dans les discours qui insistent sur l’importance du leadership, on fait place d’une manière ou d’une autre à la collégialité.
Collégialité dans la littérature théologique
Revenons donc à la notion de collégialité. ...