L’être humain, créé en image de Dieu, est la seule créature terrestre douée de parole. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la Bible mette régulièrement ses lecteurs en garde contre les dangers de la langue (Psaumes 34.14, Proverbes 13.3, Jacques 3.5). Les penseurs non chrétiens ne s’y sont pas trompés, tel Albert Camus dans ce propos resté célèbre :
« Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge. »
(Sur une philosophie de l’expression, 1944).
L’ouvrage collectif Parlons mieux vise justement en grande partie à cela : ne pas ajouter aux malheurs du monde mais, au contraire, enrichir l’Église en aidant ses membres à mieux s’exprimer. Pour ce faire, son maître d’œuvre, Nicolas Fouquet, a demandé à treize théologiens de la génération montante de décrypter treize expressions communes des milieux évangéliques à la lumière de la révélation biblique. Le concept du livre détermine sa structure : chaque auteur traite d’une expression.
En ouvrant le livre, premier constat : Nicolas Fouquet a recruté des auteurs francophones de divers horizons géographiques : du Canada (Dominique Angers) à Madagascar (Timothée Minard) en passant par la Suisse (Robin Reeve). Mais l’horizon théologique est encore plus large, avec des contributeurs venant des Églises de Pentecôte (Luigi Davi), des assemblées de frères (Matthieu Gangloff), mais aussi des Églises Libres (Florence Vancoillie) ou encore de l’Association Baptiste (Lydia Lehmann). Bref, la pluralité est de mise, et l’on ne peut que saluer cette démarche qui reflète la diversité évangélique. Gageons qu’elle permettra à cet ouvrage de trouver des lecteurs dans de nombreux courants.
Deuxième constat : Les expressions choisies frappent fort et juste. Qui n’a jamais entendu un président de culte accueillir les fidèles par un « Bienvenue dans la maison de Dieu » sonore (pp.59-68) ? N’est-il pas courant d’exhorter les jeunes de nos Églises à « accepter Jésus dans leur cœur » lors de messages d’évangélisation (pp.17-25) ? Combien de chrétiens répètent à l’envi que « la foi chrétienne n’est pas une religion mais une relation avec Jésus » (p.91-100) ? Toutes ces expressions sont révélatrices d’une culture évangélique avide de slogans qui se révèlent souvent bien creux, voire dangereux ! Parlons mieux est donc un exercice d’autocritique salutaire à l’époque de Twitter et du prêt-à-penser.
Troisième constat : L’ouvrage ne s’adresse pas à une élite mais se veut compréhensible par tous… Le propos est simple à suivre sans être simpliste, accessible sans niveler par le bas. Comme Étienne Lhermenault dans sa savoureuse préface, le lecteur ne manquera pas de remarquer « le souci de rigueur et de pédagogie qui anime les auteurs » (p.10) Il ne s’agit pas pour eux de prendre le lecteur de haut ou de se contenter de déconstruire la pensée populaire. Au contraire, les contributeurs relèvent d’abord ce qu’il y a de juste dans l’expression avant de nuancer ce qui peut porter à confusion et, enfin, de proposer une formulation plus juste.
Ce faisant, ils mettent en avant les enjeux, souvent existentiels, comme « Je veux rester pur avant le mariage » (p.135-144) qui nous interroge sur la vision de la sexualité que nous véhiculons ; parfois communautaires, comme « Je me suis baptisé » (p.69-78) ou « Dieu seul peut me juger » (p.111-121) qui mettent en avant le profond individualisme qui traverse nos mouvements et la nécessité de remettre l’Église au cœur de notre foi ; et même cosmiques, comme « Lorsqu’on sera au ciel » (p.145-154) qui nous donne à penser sur la façon dont notre eschatologie se répercute dans notre rapport au monde.
Si la plupart des démonstrations se suivent sans difficulté et seraient signées sans réserve par la majorité des penseurs évangéliques, certaines affirmations pourraient éventuellement être remises en question. Par exemple, peut-on vraiment affirmer que « Dieu ne peut pas aimer, agréer, encore moins adopter un pécheur sans que cela ne rentre de plein fouet en conflit avec sa justice » (p.34) ? La doctrine de la simplicité divine nous enseigne pourtant que « Dieu est ce qu’il a » et qu’ainsi il n’y a pas de tensions entre ses attributs. En d’autres termes, Dieu juge avec amour et il aime avec justice.
Toutefois, les quelques tournures de phrases malheureuses ici et là ne gâchent pas le plaisir du lecteur sur l’ensemble. Le pari de Nicolas Fouquet est globalement réussi, il démontre que « la théologie ne se réduit pas à une discipline théorique, réservée à des hautes sphères intellectuelles » (p.15), mais qu’elle est accessible à tous et a des conséquences concrètes dans le quotidien de la vie et de la foi.
Parlons mieux est donc un beau livre qui mérite d’être offert aux pasteurs comme à leurs paroissiens. Pourquoi ne pas l’utiliser comme support pour des discussions de groupes de jeunes ou des rencontres de groupes de maison ? Ce sera l’occasion pour les membres de nos Églises de réfléchir ensemble à la manière dont nos paroles humaines peuvent mieux rendre compte des vérités de la Parole de Dieu pour l’édification de tous.