Le sujet du ministère pastoral semble être en théologie pratique le grand sujet du moment. La réflexion s’engage sur tous les fronts : dossier récent dans l’hebdomadaire Réforme sur le sujet, thématiques synodales déployées, publications récentes dans la diversité des milieux ecclésiaux (du dernier livre de Jérôme Cottin : Les pasteurs. Origines, intimité, perspectives, au précédent hors-série des Cahiers de l’École pastorale sur le pastorat, en passant par le livre qui nous intéresse dans cette recension). Le sujet est résolument d’actualité tant il apparaît que la question de la crise et de la fuite des ministères préoccupe les Églises, et les institutions de formation avec. Un consensus semble en effet maintenant bien s’établir, dans les différentes Églises, au sujet de la difficulté croissante des conditions d’exercice du ministère pastoral. Crise de l’autorité ; crise d’identité ; complexification des parcours de vie et des missions pastorales, au risque de la dispersion ; consumérisme croissant dans le rapport des membres à l’Église ; injonctions paradoxales entre le refus d’un certain cléricalisme (le pasteur qui fait tout, qui est au centre de tout), et la réalité croissante d’une difficulté en paroisse à s’engager comme avant (du moins sur le long terme). Désir dans le même temps, de la part des nouvelles générations, de ne pas tout sacrifier à la vocation pastorale, de pouvoir évoluer dans leur pratique, et de trouver de nouveaux équilibres de vie, notamment dans le rapport au travail et à la « vie privée ». Et s’entrelacent à la question du sacrifice la question financière et celle du travail du conjoint. Le sujet est donc brûlant, et les défis du ministère pastoral nombreux. Ce livre tombe donc à pic. Qu’y trouvons-nous ?
Précisons d’emblée, ce livre est une collection de treize réflexions en treize chapitres, indépendants les uns les autres. Chaque chapitre traite d’un des défis liés au ministère pastoral. Le lecteur pourra donc tout à fait picorer au gré de ses envies, et revenir sur les thématiques qui peut-être le rejoindront davantage dans sa saison de vie. Trois de ces contributions sont le fait de pasteurs francophones (Étienne Lhermenault, Éric Waechter, Gilles Georgel et Pierre Bariteau partageant un chapitre commun). Les dix autres, traduites de l’anglais, sont parues initialement outre-Atlantique sous le titre Faithful Endurance : The Joy of Shepherding People for a Lifetime. Si le lecteur appréciera l’effort de contextualisation proposé par les auteurs francophones, les contributions anglophones ne décevront pas. Elles sont le fait d’auteurs de renoms à la réflexion stimulante (Tim Keller, Don Carson, Bryan Chapell pour ne citer qu’eux).
Toujours au niveau formel, la présentation est assez créative. Vous trouverez en tête de chaque développement, une lettre (fictive) adressée par un pasteur en exercice en proie à une difficulté, une problématique. Vous le verrez, l’humour ne manque pas dans l’exposé des situations, parfois truculentes. Et chaque auteur de répondre avec l’expérience qui est la sienne, prodiguant çà et là une parole de sagesse, d’encouragement ou d’orientation. Et nous en sommes chacun au bénéfice. Ainsi Tim Keller encourage à veiller sur notre santé spirituelle. Don Carson à se situer face à la tentation de la démission. Bryan Chapell engage une réflexion stimulante sur la manière de prêcher chaque semaine sans (se) lasser (le lecteur ne sera pas surpris de lire là un plaidoyer pour la prédication textuelle suivie !). Le pasteur Dan Doriani prodigue des conseils pour apprendre à affronter et bien gérer la critique ; Tom Ascol à servir une Église que l’on n’aurait pas forcément a priori fréquentée pour soi… Vous lirez également de bonnes pages sur la manière de gérer la trahison dans le ministère (Dave Harvey), de servir une Église qui grandit trop vite pour ses dons (Scott Patty) ou encore de servir en dépit du doute sur son appel (Jeff Robinson). Pour les contributions françaises, Étienne Lhermenault, qu’on a déjà lu avec profit sur le sujet, engage une réflexion autant biblique que touchante sur le vécu dépressif dans le ministère. Éric Waechter propose une réflexion sur la question des finances personnelles dans le ministère (épineuse question entre toutes !). Enfin Gilles Georgel et Pierre Bariteau se partagent un chapitre sur la gestion du sentiment d’échec quand l’Église « stagne ».
Au niveau contextuel, il est utile de préciser qu’au-delà de la diversité culturelle en présence (anglophone et francophone donc), le lecteur constatera qu’une unité de « milieu théologique » parcourt l’ensemble de l’ouvrage. Publié par BLF Éditions en partenariat avec Évangile 21, les contributions sont en effet pour l’essentiel le fait de pasteurs et de théologiens conservateurs. L’évocation de la place du conjoint dans le ministère est en effet assez typée. Mais chacun, à n’en pas douter, qu’il soit issu de ces milieux ou venant d’ailleurs, trouvera un profit certain à la lecture de chacun des treize chapitres qui, ensemble, embrassent la diversité des défis qui marquent aujourd’hui une carrière pastorale. Qu’il soit pasteur ou non d’ailleurs. Ainsi l’exprime Jonathan Ward dans ses lignes de recommandation à l’ouvrage. Nous lui laissons les dernières lignes de cette recension :
« Certes, ce livre s’adresse aux pasteurs et à ceux qui se préparent à l’être, mais les membres d’Églises en tireront aussi profit, car il n’y a pas de berger sans troupeau et certaines brebis mordent le berger. En se gardant d’une vision désincarnée ou triomphaliste, les auteurs sont des hommes de terrain qui ont connu les douleurs du ministère : les critiques, les crises, les doutes quant à l’appel, l’épuisement, la dépression et l’envie d’abandonner. Ils savent de quoi ils parlent, ils nous rejoignent dans nos détresses, et ils partagent de manière simple et concrète ce que veut dire "courir avec persévérance". »