Aujourd’hui, le pasteur doit faire face à des évolutions, tant dans la société que dans les Églises, qui affectent la manière dont il fonctionne et peut-être même le fond de son ministère. Entre traditions et tendances, et face à de multiples attentes des croyants qui ignorent le plus souvent l’essentiel du ministère pastoral, le pasteur doit trouver son chemin. Ou plutôt son identité.
Dans cet article je propose une réflexion sur l’essentiel du ministère pastoral dans un contexte de multiples changements. Ma réflexion est nourrie des discussions qui ont lieu sur ce thème, notamment en milieu évangélique anglo-saxon. La littérature sur ce sujet ne cesse de croître. Pour en savoir plus sur la situation en France, le comité de l’École Pastorale a mené un sondage auprès des pasteurs baptistes (FEEBF) et évangéliques libres (UEEL). Ce sondage est l’autre point de départ des propos qui suivent.
Bien entendu, quand je parle du « pasteur » au masculin singulier, ce terme comprend hommes et femmes, et à la limite aussi des équipes de responsables qui assument ensemble les fonctions pastorales.
L’objectif d’une belle vocation
Le ministère pastoral est l’une des plus belles vocations qui soient. Quel est son objectif ? Le pasteur d’une communauté de croyants œuvre à faciliter le développement :
(1) d’une vie de disciple stable, chez les personnes qu’il sert et
(2) d’une vie d’Église encourageante et rayonnante.
Si je décris la finalité de son ministère ainsi, je me rends compte de ce que je prends une position dans un débat, puisque bien d’autres définitions sont proposées qui se veulent plus en phase avec la vie des Églises dans une culture dite postmoderne. Plus loin j’y reviendrai.
Pour ma part, j’évite le langage très à la mode actuellement : leadership, management, formuler et transmettre une vision, etc., bien que je reconnaisse que le pasteur conduit, dirige, organise, anime, prend des décisions, propose des activités. Mais tout cela est au fond un service rendu, une aide apportée. Il « sert », il « facilite ». Il entoure de ses soins et de ses prières un développement qui est au fond œuvre divine : la croissance produite par le Saint Esprit dans le cœur des hommes et des femmes.
Ensuite, il y a une double orientation : la vie individuelle des personnes et la vie communautaire de l’Église dont elles font partie. Certains pensent que le ministère doit se concentrer sur la première, mais sur le terrain, en tout cas en France, le pasteur doit également orienter et gérer la vie de l’Église.
Centre théologique, gardien de cohésion
De par sa fonction et sa formation, le pasteur est au cœur de la vie de l’Église - il en est le centre théologique et le gardien de sa cohésion, en tout cas de sa cohésion spirituelle.
Sur le terrain, il en est également le centre opérationnel. Pourtant, je me demande si c’est justifié, étant donné que, bibliquement parlant, il n’est qu’un ancien parmi plusieurs, qui n’exerce qu’un ministère parmi d’autres.
Quoi qu’il en soit, le pasteur est au centre théologique de la communauté. Cela ne fait pas automatiquement de lui le chef, le patron, au sens mondain du terme, bien que nombre de pasteurs se comportent ainsi et que pas mal de fidèles le réclament dans ce rôle - ce qui n’est pas sans rappeler le personnage porté sur le bouclier dans un certain village gaulois d’antan.
Contexte français
En évoquant la dernière image, j’aborde le contexte français. Dans ce contexte-là, le ministère d’un pasteur évangélique ne s’articule pas tout à fait comme celui de ses pairs à l’étranger - comme peuvent le confirmer les ouvriers missionnaires venus implanter ou diriger une Église dans notre beau pays. Exception culturelle française ? Bien que l’on soit tenté de l’affirmer, je suis plutôt enclin à dire que cela tient dans une grande mesure à l’influence du catholicisme romain et à la mentalité latine, des facteurs qui ne sont, par ailleurs, pas spécifiques à la France. Allez en milieu évangélique en Espagne ou en Belgique par exemple, et vous y trouverez une culture d’Église semblable.
Dans l’Hexagone, les activités multiples du pasteur se résument, grosso modo, en quatre catégories : la Parole (prédication, enseignement, évangélisation), l’animation (rôle liturgique dans les réunions et les rites de passage), le suivi pastoral (soutien et conseil spirituels) et la gestion de l’Église (représentation, administration, organisation).
Ne faudrait-il ajouter une cinquième catégorie, celle de la spiritualité ? En fait, pour important que soit le maintien d’une vie spirituelle saine et vibrante, il n’est pas uniquement lié au ministère pastoral. Tous les croyants, quel que soit leur service dans l’œuvre du Seigneur, ont besoin de prendre du temps pour se ressourcer auprès du Seigneur et de puiser dans sa Parole. La spiritualité du pasteur relève plutôt de sa vie de disciple que de son ministère.
Le propre du ministère
Si le quadrant reflète la réalité sur le terrain, il ne représente pas pour autant l’essentiel ou l’idéal du ministère pastoral en tant que tel. Fondé sur le double service d’« enseignant berger » (Ép 4.11) et les directives que Paul a données à Timothée, ce ministère se concentre sur la communication de la Parole et l’accompagnement spirituel des fidèles dans la communauté, le côté gauche du schéma.
Mais, force est de constater que les tâches côté droit prennent autant d’énergie et de temps, sinon davantage encore. Selon les sondages, les pasteurs ne les considèrent pas prioritaires mais constatent qu’elles représentent une partie majeure de leur travail. Il n’est pas rare que la seule administration prenne 30 à 35 pour cent du temps disponible.
Une telle répartition est vécue par nombre de pasteurs comme une incohérence. En général, un pasteur se sent appelé au ministère de la Parole et à celui du berger, mettant l’accent soit sur l’un soit sur l’autre. Il aura alors envie de bien connaître la Parole, de transmettre le message et d’être à l’écoute des gens. Sinon, il doit s’interroger sur son ministère et chercher peut-être un autre métier.
Or, selon le sondage, la grande majorité des pasteurs s’épanouissent dans le propre de leur ministère, à savoir la prédication, l’enseignement, les visites, etc. Tout pasteur n’est pas par définition apte au rôle liturgique qui lui incombe, mais le sondage ne fait pas état de problèmes dans ce domaine. Apparemment l’animation des réunions leur va et leur plaît. Par ailleurs, ce rôle se réduit de plus en plus, dans la mesure où des fidèles dans l’Église sont impliqués dans la présidence, l’animation de louange et les sacrements.
Gestion d’Église, joie ou peine ?
En plus, tout pasteur n’est pas forcément apte à gérer une quantité de dossiers et à planifier des tas de choses - pour ne pas parler de la conciergerie ou des travaux pratiques dont plusieurs d’entre eux sont chargés. Et pourtant, l’Église s’attend à ce que le pasteur le fasse, d’autant plus qu’il est disponible en semaine.
Certains sont capables dans tels domaines et aiment bien ces genres d’activités. Tant mieux pour leur satisfaction professionnelle et pour la vie de l’Église.
D’autres le font plutôt par sens de responsabilité, du style : « Il faut que quelqu’un répare la gouttière. Puisque personne d’autre n’est disponible, je m’en occupe »
Un facteur souvent passé sous silence est l’utilité de son emploi du temps. En semaine il n’y a presque pas d’activités et dans une petite communauté on a vite fait le tour. Pasteur à plein temps, il veut se rendre utile. Donc pourquoi ne pas entreprendre des tâches administratives, voire de bricolage, même s’il n’est pas particulièrement doué pour cela ?
Pourtant, une minorité des pasteurs interrogés disent avoir le sentiment d’être trop pris par des tâches secondaires que d’autres membres de l’Église seraient beaucoup mieux en mesure d’assumer. Ils se plaignent d’être « le serviable et corvéable à merci », comme s’est exprimé l’un d’entre eux.
Pas besoin d’être fin psychologue pour en deviner le résultat : fatigue, stress et parfois épuisement.
...
...