Au cours de votre ministère avez-vous rencontré des cas de remariage ou de divorce ?
Oui, il m’est arrivé, comme tout un chacun je suppose, de rencontrer plusieurs cas de remariage et il m’est arrivé aussi d’accompagner une personne vers un divorce. Chaque fois, j’ai constaté qu’il s’agissait de cas particuliers. Dire qu’il s’agit de cas particuliers pourrait paraître une « lapalissade » mais cela permet d’insister sur le fait que l’application d’un même principe pour tous est négatif.
Il me semble que pour aborder ces questions d’éthique il est important de considérer le « point de départ » que nous adoptons. Partons-nous de nos convictions de ce qui est bien pour nous ou bien partons-nous de ce que la personne ou le couple vit au quotidien ?
C’est surtout sur ce point que j’insisterai plutôt que de développer toute une démarche par étapes. Pour cela, je pense que les conseillers conjugaux ou ceux qui travaillent particulièrement à proposer des solutions pour résoudre les cas familiaux ont une plus grande expérience.
J’ai à cœur surtout de parler de ces entrevues avec des couples en situation de remariage ou en conflit et pour lesquels l’Église, la rencontre avec le pasteur, constitue un premier maillon.
Avant de revenir sur votre démarche, comment se présentaient les situations de demandes de remariage ?
En général il s’agissait surtout de personnes extérieures à l’Église qui venaient me demander de célébrer leur mariage. La plupart du temps la date était déjà fixée avec la réservation de salle ! C’est le plus courant. Pour plusieurs de ces couples le remariage ne pose pas de problèmes éthiques et encore moins spirituels. Ils viennent voir le pasteur surtout pour mettre en place la cérémonie comme pour un premier mariage et résoudre rapidement les problèmes pratiques. Parfois, j’ai rencontré des couples ayant une attitude différente. Ils étaient en quête d’une autorisation et un peu dans leurs petits souliers ! Étant dans une situation difficile vis-à-vis de l’église catholique puisque divorcés ; (soit l’un, soit les deux), ils avouaient se tourner vers les protestants pour pouvoir célébrer leur « re-mariage ». Ils étaient bien conscients qu’il s’agissait d’un deuxième mariage. Par contre l’autorisation devait théoriquement aller de soi de leur point de vue. Une personne m’a dit un jour : « je vous appelle parce que j’ai appris que les protestants remariaient les divorcés » !
D’autres cas se sont présentés pour lesquels le couple voulait sceller sa re-union. Il ne s’agissait pas d’officialiser son vécu – histoire d’être « dans les clous » –mais il était bien question de donner à cette union une valeur plus importante. La demande exprimait un sérieux et indiquait la volonté de faire un pas de plus, de sceller une fidélité.
Une fois seulement, j’ai rencontré un couple en réelle demande de bénédiction de la part de Dieu, et presque inquiet pour savoir si leur nouvelle union pouvait être bénie. Il entamait une démarche à l’église. C’est bien rare de rencontrer une telle soif de vérité et d’authenticité.
Vous avez rencontré des cas d’accompagnement vers un divorce. Comment se présentaient les situations ?
Du fait qu’il s’agit de situation conflictuelle au sein d’un couple, la démarche est beaucoup plus compliquée et l’écoute est indispensable. J’ai rencontré plusieurs cas sans nécessairement parler de divorces. Plusieurs fois des personnes séparées depuis longtemps avaient surtout des problèmes d’argent. La fiscalité des pensions de réversion et autres empêchaient de trouver une bonne solution au conflit intérieur au couple ; cela durait parfois depuis des années. Plus qu’une solution spirituelle, morale ou affective, il était principalement question de trouver une solution technique relevant plus d’une compétence juridique que du conseil pastoral. Par contre, deux cas graves se sont présentés à moi. Celui d’une femme dont le mari était infidèle - sa souffrance arrivait à son comble - et celui d’un jeune couple dont l’épouse s’est déclarée homosexuelle.
Comment avez-vous agi face aux demandes de remariage ?
Prenant en compte que nous sommes dans une période bien différente du « temps des générations passées » pendant lequel les mariages ne pouvaient être que de « beaux mariages », la réalité des situations diverses ne peut être négligée. Dans les temps anciens d’ailleurs les situations étaient-elles meilleures ? Je ne le crois pas. Je pense que beaucoup de choses se faisaient en secret. Les secrets de famille nous apprennent, parfois longtemps après, que beaucoup de choses restaient cachées. Si aujourd’hui les situations difficiles apparaissent au grand jour on a au moins gagné en authenticité !
Comme j’en parlais au début, c’est le point de départ qui m’intéresse et de ce fait je n’ai jamais eu d’attitude stéréotypée devant ces demandes. Il m’est arrivé de dire à des couples que je ne pouvais pas répondre à leur demande tant il m’apparaissait qu’il n’était question que « d’avoir sa cérémonie ». D’autres fois, et c’était le plus souvent, je trouvais important d’accompagner un couple, parce leur motivation m’interpellait.
Qu’attendez- vous alors lorsqu’un couple qui demande un re-mariage vient vous voir ?
En fait, je ne sais pas toujours qu’il s’agit d’un remariage car les personnes demandent souvent au départ « un mariage » ; elles sont prudentes, peut-être ! Combien n’ont pas dit, et je pense que plusieurs on dû l’entendre tant le climat religieux leur est défavorable : « On a hésité à venir vous voir car on pensait qu’on allait être jugé et que vous diriez non » ?
Je prendrai uniquement le cas d’un re-mariage après un divorce et je ne parlerai pas d’un remariage après veuvage. J’ai remarqué que le couple est assez souvent bien conscient que sa situation n’est pas idéale mais il ose faire un pas ; c’est à cela que je regarde. Dès les premiers entretiens j’attends surtout qu’il y ait de la vérité sur la situation vécue, qu’elle soit bonne ou mauvaise ce n’est pas l’essentiel pour commencer. Il est question de savoir si le couple exprime le désir de vivre en vrai ou de se bercer d’illusions sur lui-même ou sur son passé. Sans nécessairement formuler la question de cette manière, il importe de demander : Pourquoi venez-vous me voir ? Ceci permet de partir de l’aujourd’hui et du vécu. Mon point de départ n’est pas de me positionner par rapport à ce qui aurait dû être ou pire avec ce qui devrait être, surtout si j’ai affaire à un couple de chrétiens. Il m’importe de connaître le couple d’abord et ce qu’il demande à Dieu. Les deux partenaires ne sont pas nécessairement sur la même longueur d’ondes par rapport à cette démarche de vérité et d’authenticité. Il y en a souvent un des deux qui hésite et qui n’ose pas dire les choses. Cela peut prendre du temps et c’est souvent au cours de l’entretien que se révèlent les motivations et les hésitations qui éclairent la situation et orientent la décision.
Pour ces couples, il est bien question d’un remariage et il ne s’agit nullement de donner un blanc seing sur tout ce qui se passe ou s’est passé. Je leur demande comment les choses sont arrivées et maintenant ce qu’ils attendent après avoir entendu la réponse à la question pourquoi venez vous me voir ? Il s’agit de leur demander : « Que visez-vous en ce moment et que demandez-vous à Dieu ? C’est le re-départ et ses conditions qui m’intéressent. C’est le point à travailler avec le couple. Que veut-il vraiment et s’il demande une chose à Dieu ou seulement aux hommes. S’il demande une chose à Dieu, une bénédiction est-elle possible et dans quelle condition ? La sincérité et la reconnaissance vraie du passé sont importantes. Il n’est pas question de statut « divorcé-remarié », mais de reconnaissance de la vérité et d’exprimer une demande sincère à Dieu. J’ai toujours éprouvé de la difficulté à enfermer une personne dans un statut et dire qu’elle puisse être rejetée par Dieu parce qu’elle ne serait pas dans le bon camp ; divorcée et donc condamnée et cela quasi à vie ! Je trouve que cette approche ne rend pas compte de la réalité de ce que le couple vit. Une telle attitude qui se nourrit du jugement et non de la compassion met à l’écart les personnes elles-mêmes au nom du bon principe normatif. Je le vois comme le piège du bien pensant dans le fait qu’en rejetant les personnes en situation difficile, on (d’une manière bien impersonnelle et peu incarnée) n’a pas sauvé les gens mais on s’est épargné un accompagnement.
Par exemple, j’ai bondi lorsqu’un jour une personne m’a dit à propos d’une personne divorcée : « C’est bien, elle est restée fidèle au Seigneur car elle ne s’est jamais remariée ! »
Ce qui m’a fait bondir c’est surtout le jugement moral qu’on porte sur la personne en disant « c’est bien ! » Mais que sait-on de sa souffrance ? De ses blocages ? De sa culpabilité ?... Peu de chose je crois, et une telle pensée ne semble pas montrer qu’on cherche en ce cas à s’y intéresser. C’est ce qui est le plus grave à mes yeux. Peut-être a-t-elle eu envie et eu l’occasion de se re-marier, mais que le regard des autres a provoqué des blocages et qu’elle a fini par rejeter ces occasions. Et là je demande : est-ce bien ?
Le jugement de ceux qui maintiennent mordicus qu’un divorcé ne peut jamais se remarier ne laisse plus de place à la grâce et au re-départ. A-t-on vraiment ce Dieu-là ? Est-ce ce Dieu-là que nous louons chaque dimanche ?
Que préconisez- vous en ce cas ?
Un regard vrai, et un travail de retour. Comme j’y faisais référence un peu avant ; bien sûr il ne s’agit pas d’ignorer le passé lorsqu’il y a un remariage. Tous les cas sont loin d’être semblables et il est parfois des situations où il vaut la peine d’insister sur cette démarche de « retour sur le passé ». Car, la personne (ou même le couple) a pu se re-transformer le passé à sa guise et de ce fait, se trouver toute pure dans l’affaire, plus prête à l’accusation qu’à l’autocritique. Revenir sur la situation passée avant de se re-marier n’est pas destiné à réactiver des douleurs mais à donner au présent des bases saines. J’aborde donc la situation passée d’avant ou pendant le divorce en fonction de ce que la personne peut et désire dire. Ceci permet de faire le point sur les motifs réels de la séparation au lieu de se cacher ou se leurrer, et ainsi traîner des culpabilités ou des jugements qui peuvent venir troubler la situation présente. Il y a peut-être des fautes qu’il faut avouer, qu’il faut dire. Même si cela ne permettra jamais de renouer avec une ancienne relation c’est indispensable pour qu’il y ait véritablement un re-départ. Parfois il est important que la personne vive une guérison possible uniquement en vérité sans se farder, sans tricher.
En ce cas, Dieu peut s’il le veut pardonner et permettre un re-départ. Je pense profondément que c’est possible, mais le re-départ est impossible sur la base du mensonge, qu’il soit envers les autres ou envers soi-même. Il ne s’agit pas de s’occuper de bien ou de mal mais d’être vrai en posant devant Dieu ce qui est juste et en lui demandant de le prendre en main lui-même pour le guérir. Il me semble que nous restons là dans la dynamique réparatrice telle que nous pouvons la lire dans les paroles de Jésus à la Samaritaine ou à la femme adultère. Identifier, reconnaître, sans porter de jugement sont les conditions d’un redémarrage si le couple désire vivre sous le regard de Dieu.
Après ce regard vrai il peut y avoir une nouvelle demande, sincère et authentique, adressée à Dieu. Il se peut parfois que le péché, s’il y en a eu un de commis, ait mis Dieu au pied du mur ; il est fondamental de le reconnaître et de ne plus se justifier... et, si c’est avoué, il peut y avoir recommencement. Par contre si le couple persiste à dire que tout était normal, la lumière nouvelle et même la bénédiction de Dieu ne peuvent pas venir et je mettrai des réserves à célébrer un remariage. Si le travail de retour est bien fait on peut dire que les choses anciennes sont passées et que toutes choses peuvent devenir nouvelles.
Un cas vous vient à la pensée ?
Oui, il s’agissait d’une jeune femme qui avait divorcé dans le passé et qui venait me demander une bénédiction de mariage, en fait un remariage ! C’était impressionnant de voir et d’entendre combien ce couple avait le souhait de vivre désormais avec la présence du Seigneur. Le travail de retour était déjà fait, surtout pour cette jeune femme au lourd passé. Loin de vouloir justifier ses anciennes attitudes elle reconnaissait au contraire ce qu’elle avait dit et ce qu’elle avait fait. La situation passée n’était en rien rattrapable et ce qui restait impressionnant et rare c’était cette détermination à vivre désormais en vérité. Elle m’a parlé de cette conversion survenue après le divorce qui changeait toute sa perspective du couple. Quelle belle occasion pour bien recaler les principes mais je me sentais bien loin d’une théologie qui consiste à dire : « puisque vous vous êtes converti, on oublie le passé et on recommence ». Même si tout tombait bien dans les bonnes cases. Car il y a avait quelque chose de beaucoup plus profond, en forme d’inquiétude ; il n’était pas question de situation mais du regard de Dieu. Ce qu’elle désirait, surtout elle, était que son couple, sa famille vive différemment que ce qu’elle avait connu et dont elle ne niait rien. Son compagnon savait très justement l’accompagner et la comprenait très bien. Si je me permets de retraduire ce cri du cœur, c’est comme si elle disait : « j’ai envie de recommencer tout avec Dieu sans chercher aucune justification de quoi que ce soit, mais est-ce possible» ? Sera-t-il d’accord pour bénir une nouvelle union ? Ou bien la bénédiction restera-t-elle a jamais éloignée ? Et c’était bien dans le oui ou le non pour leur remariage qu’elle allait lire la réponse à son inquiétude. Que dire ? J’avoue combien cette motivation devant Dieu d’un re-départ et cette prière pour que Dieu offre ce nouveau chemin m’empêchait de me placer en destructeur. Il me fallait encourager et prier pour que la grâce du Seigneur passe, et j’ai dit oui, je présiderai à votre mariage. Mais ce n’était pas fini. Là où les choses pouvaient se corser c’est lorsque le couple a parlé de mariage œcuménique. Au vu de leur situation il y avait peu de chance que le collègue prêtre bénisse cette re-union ! Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque le prêtre en question, après m’avoir dit que théoriquement un tel mariage devait recevoir l’autorisation des autorités les plus hautes et peut-être même papales, m’a déclaré qu’il prenait sur lui la responsabilité de cette union car, m’a-t-il dit dans un cas comme celui-là « sa conversion change toute la situation ». Ce n’était plus une affaire de statut mais maintenant le chemin d’une grâce d’un re-départ qui était offert.
Ainsi, comme je le précisais en début de conversation, appliquer des bons principes sans tenir compte des personnes et adopter cette démarche comme point de départ peut véritablement faire passer à côté d’une œuvre de Dieu. Une fois de plus, et cela est bien fréquent dans le ministère, l’écoute réelle du cœur, des situations et la quête du vrai sont primordiales et, je crois, fructueuses.
Dans une autre perspective éthique, quelle a été votre approche lorsque vous avez suivi une personne qui était en marche pour un divorce ?
De la même manière, le comment la personne en est arrivée là me semble fondamental. Je ne considère pas que le divorce soit une chose absolument mauvaise ou qu’il faut éviter à tout prix, ni qu’il faille le recommander comme extrême limite quand il n’y a plus de solutions. Je suis bien conscient en disant cela qu’on pourrait croire que je suis prêt à accepter des divorces pour un oui ou pour non. Ce n’est pas le cas mais si je m’exprime ainsi, c’est parce que je connais des collègues qui passent d’abord – et par principe – par la phase qui consiste à recoller tout ce qui se décolle avec l’espoir que si ça tient on a gagné ! Peut-être satisfait du résultat apparent, il n’y a plus de questions à se poser ! On a fait un bon travail pastoral et parfois on se demande s’il ne s’agit pas plutôt de sauver une image évangélique du couple plutôt que le couple lui-même. On a peut-être sauvé les meubles mais hélas seulement les meubles !
Je ne peux pas suivre ce chemin du recollage absolu à tout prix comme principe conducteur impératif et obligatoire, ni même cette démarche du recollage d’abord. Ce recollage comme première étape et qui fait dire « on verra et si on ne peut pas faire mieux on ira au divorce ». Sous entendu on passera du bien au moins bien, voire au mal, puisqu’on ne peut pas faire autrement. La méthode ne me semble pas bonne. Il n’y a pas à avoir un a priori de démarche : la très bonne la moins bonne et la mauvaise. Il y a à prendre de la hauteur. Il faut absolument parler des vrais problèmes que le couple vit et avec leurs conséquences quotidiennes et je trouve que la phase quasi obligatoire du « recollage » peut être non seulement extrêmement douloureuse pour le couple mais peut avoir pour seule efficacité d’empirer les situations.
Je cherche plutôt les motivations profondes de la séparation si elle est demandée ou si la personne avec laquelle je parle est en train de vivre une situation désespérante.
Le chemin de la vérité, réalité, me semble la meilleure démarche et à partir de la situation réelle de ce que la personne est en train de vivre à l’heure où on lui parle, pour diagnostiquer ou au moins entendre sa souffrance, sa désespérance voire une lente destruction. Je ne propose pas de recollage mais j’écoute. Et ceci principalement parce que je n’ai pas rencontré en Église de cas de démarche vers divorce « par complaisance » ou par goût, si je peux employer cette expression. Il était toujours question de situation grave et le plus souvent de véritables enfers vécus par les deux conjoints le plus souvent. Très souvent la séparation était déjà effective ou presque, c’est-à-dire que, soit chacun de son côté soit, et c’était le pire, ils faisaient tout pour s’ignorer en vivant sous le même toit.
En général, sauf si c’est une nécessité absolue comme en cas de violences conjugales par exemple, je ne cherche pas à m’immiscer dans le couple pour connaître les dires et l’agir et définir les fautes. Une petite voix me dit que je n’ai jamais tenu la chandelle et cela ne se produira jamais ! Il m’importe en premier lieu la protection de chacun. C'est-à-dire le fait que l’un comme l’autre se trouvent à l’abri du pire, c’est ce qui va orienter mes entretiens et mes conseils ; il importe qui rien ne s’envenime ! En ce cas je cherche, autant que cela soit possible, à proposer que chacun se trouve dans la situation pour pouvoir réfléchir à ce que le couple est en train de vivre.
Quelle démarche menez-vous ?
En fait, je pense que ce qui importe est qu’aucun des deux ne se retrouve seul avec sa peine car les conséquences en seront néfastes. Et par rapport aux décisions à prendre, je refuse de dicter quoi que ce soit ou de me substituer au couple. J’offre une écoute pour les deux lorsque c’est possible.
Tout dépend des cas, bien sûr, mais j’opte pour la franchise et la cohérence avec ce que je dis à l’un et ce que je dis à l’autre. C’est surtout ce que le couple se dit mutuellement qui me sert de base de travail et d’écoute.
Concernant le cas dont j’ai parlé où la jeune dame se déclarait ou en tout cas, pratiquait l’homosexualité, la séparation, voire le divorce, était la bonne solution pour que le couple ne vive pas plus de tensions. Au vu de la situation vécue, proposer le recollage semblait inconvenant ! Les tensions apportaient déjà leur lot de violences, verbales tout au moins. Il n’était pas non plus question de charger la jeune femme et de la rejeter. J’avoue avoir eu quelques peines avec d’autres collègues à se sujet. Car pour moi, la séparation ou le divorce n’étaient pas à considérer par rapport à une situation de péché, mais par rapport à la relation désastreuse que le couple vivait. C’est ce que le couple était en train de vivre au quotidien qui motivait ma démarche et non un jugement d’ordre éthique. Il m’était surtout important de savoir si cette jeune femme recevait elle aussi de l’aide et de l’écoute, ou s’il elle n’avait droit à rien puisqu’elle était bien considérée comme « la mauvaise ». Il m’importait qu’aucun des deux ne soit isolé.
À la lumière de ces cas vécus, voyez-vous une évolution de vos conceptions théologiques ?
Sans verser dans le laxisme qui guette chacun de nous, je dirai que je suis passé d’une conception d’un Dieu qui veut des choses toujours droites à un Dieu qui nous accompagne même lorsque c’est tordu ! Et cela, comme le dit le psalmiste en étant juste en nous-mêmes.
J’aime bien aussi cette parole de l’Ecclésiaste qui dit : « ne sois pas juste à l’excès ». Certes Dieu n’approuve pas le mal mais il peut être plus grand que son propre jugement pourtant toujours légitime ; il choisit la miséricorde aussi. Il peut couvrir le mal. Je serai passé du Dieu au jugement impassible à ce Dieu miséricordieux qui permet un ré-départ alors que rien ne l’autorise en apparence. Le re-départ me plait beaucoup. Ne chante-t-on pas ce cantique « tu peux tout recommencer… » ? Mais, bien sûr, pas de n’importe quelle manière. Il est fondamental de ne pas se mentir à soi-même (pour autant qu’on puisse en être conscient) et d’être comme le disait Kierkegaard « devant Dieu, dans l’attente » en toute authenticité. Je crois que ce que Dieu aime avant tout (pour autant que nous pouvons le percevoir !) ce ne sont pas les situations parfaites mais qu’en toute circonstance il y ait cette étape comme au temps de l’A.T. de consulter l’Éternel en lui disant la situation vraie. Après, et seulement après, il peut y avoir un changement.
Comment vivez-vous ces remontres par rapport à votre conseil d’église ? Qu’attendez-vous de lui ?
En règle générale, sauf s’il y danger, je tiens le conseil au courant dans la discrétion et surtout en vue de la prière pour les personnes concernées. Dans les cas difficiles j’ai souvent apprécié les échanges qui aident à éclaircir les situations. En fait, j’attends surtout du conseil un travail commun d’analyse et certainement pas des paroles de condamnations ou de jugements inutiles et néfastes… je me réjouis que cela n’a jamais été le cas.
Qu’avez-vous appris ?
Pour les cas que je suivais j’ai surtout appris à prendre en compte le plus possible le contexte des personnes et ne pas agir au nom de principes immuables désincarnés. Partir de ce que la personne ou le couple vit me semble essentiel et non les principes de permis et d’interdit qui ne font regarder le vécu des gens que de très loin. Au fur et à mesure de mon expérience, j’ai appris à me pencher sur la vie réellement vécue de ceux à qui je parle, et à la considérer comme point de départ essentiel.
J’ai appris que derrière des situations qui ne sont pas, comme on dit, « normales » il y a bien souvent des personnes qui ont souffert et parfois beaucoup souffert et qui se trouvent dans une situation difficile, moralement parlant. Il me semble que notre rôle est de proposer la guérison et la grâce. Pas de grâce à bon marché certes, mais la grâce tout de même !