Durant le Rassemblement de jeunes leaders (YLG) à Jakarta en 2016(2), j’ai eu de nombreux entretiens avec de jeunes leaders francophones. Tous avaient moins de trente-cinq ans et des rêves et des projets remarquables, prometteurs pour l’avancement du Royaume de Dieu. Mais j’ai aussi été saisi d’un certain découragement en constatant que tous avaient affaire à deux éléments indépassables, une sorte de plafond de verre, qui pouvait ruiner potentiellement les projets et l’appel de ces jeunes. En quoi consiste ce plafond de verre ? Tous, du Québec à l’Afrique, en passant par les Antilles et la Métropole, se heurtent à une double difficulté, à laquelle ils doivent faire face :
- une culture qui légitime le péché,
- un leadership dysfonctionnel.
La culture qui légitime le péché
Un exemple : lui est un jeune leader africain remarquable. Il a un projet dans le domaine de l’éducation, ambitieux et cohérent pour son pays. Il est brillant, solidement enraciné en Christ. Il aime une jeune femme qui vient de terminer trois ans d’études bibliques. Elle aimerait partager le ministère avec lui. Ils rêvent de se marier. Malheureusement, dans sa tribu, il fait partie de la caste noble des forgerons. Or, il est impossible qu’un noble épouse une « forgeronne » ! Pas ça chez nous !
Moi qui croyais qu’il n’y avait plus « ... ni Juif ni non-Juif, ni circoncis ni incirconcis, ni étranger, ni sauvage, ni esclave ni homme libre, [ni nobles, ni forgerons] mais Christ est tout et en tous(3). »
Je pourrais évoquer d’autres exemples. Il est facile de les débusquer chez les autres. Que dire de l’individualisme européen, qui rejette le plus souvent la redevabilité ou la soumission aux autres et élude ainsi certaines injonctions évangéliques ? Que dire de cette forme d’athéisme fonctionnel, fruit du scepticisme ? Je me souviens d’une conversation avec un pasteur aux Antilles qui, très souvent, répondait à mes questions par « Oui ! Mais il faut comprendre la culture antillaise ! » Sans doute cette compréhension est-elle essentielle, mais au bout d’une semaine je n’ai pu m’empêcher de m’exclamer : « Cette justification par l’explication culturelle me fait peur. Je crains qu’elle ne soit une barrière systématiquement placée sur le chemin de la repentance ! »
Parfois, le péché légitime la culture... Lors d’un récent voyage en République centrafricaine, des responsables d’Église ont attiré mon attention sur un obstacle majeur dans leur pays : l’héritage culturel de la « chefferie(4) », qui fausse les relations d’autorité dans l’Église. Certains responsables d’Église ne manquent pas d’utiliser cet élément culturel pour asseoir leur autorité à la manière de « petits chefs », et ainsi ne sont pas désireux de se conformer au modèle de Jésus-Christ. Il peut y avoir deux attitudes face à ce facteur culturel : soit on le remet en question, dans le souci de s’aligner sur la Parole de Dieu, soit on le justifie dans le but de maintenir son pouvoir à tout prix, voire de le renforcer, dans un esprit charnel qui relève du péché. Bien sûr, dans plusieurs pays, j’ai observé que certains luttaient contre cette tendance culturelle. En refusant, par exemple, la course aux titres : pasteur, prophète, révérend, bishop, archi-bishop...
Il ne s’agit pas ici de développer une critique de la culture. Nous voulons être dans l’esprit de la Déclaration de Lausanne :
« Celle-ci [la culture] doit toujours être vérifiée et jugée par l'Écriture. L'homme est une créature de Dieu ; c'est pourquoi certains aspects de sa culture seront empreints de beauté et de bonté. Cependant, il est également une créature déchue ; c'est pourquoi elle est aussi entachée de péché et porte même parfois des traces d'influence démoniaque. L'Évangile ne présuppose nullement la supériorité d'une culture par rapport à une autre, mais il les évalue toutes d'après ses propres critères de vérité et de justice ; il insiste dans chaque culture sur les impératifs absolus de la morale. Les évangélistes du Christ doivent humblement chercher à se libérer de tout ce qui ne leur est pas authentique et personnel, pour devenir serviteurs des autres. Les Églises doivent chercher à transformer la culture et à l’enrichir pour la plus grande gloire de Dieu(5). »
Le deuxième élément qui constitue le plafond de verre, rencontré par les jeunes leaders, est qu’ils sont presque systématiquement confrontés à :
Un leadership dysfonctionnel
J’entends par leadership dysfonctionnel, une direction qui n’est pas assumée à l’image, à l’imitation de Jésus. De nombreux responsables d’Église et d’œuvres chrétiennes n’ont pas pour souci premier d’équiper les autres à développer leurs dons reçus et le ministère confié par Jésus, comme Jésus et Paul en donnent l’exemple. Plusieurs de mes protégés(6) souffrent de la part de leurs responsables d’un criant manque de confiance, d’encouragement, de reconnaissance, d’appui, d’aide, de soutien. Si leur réussite ou leurs compétences sont perçues comme une menace de la part des dirigeants en place, ils peuvent même être mis à l’écart. Bien sûr, la question se pose : ces jeunes ont-ils la bonne attitude ? Un de mes protégés africains, leader dans son pays, m’écrivait : « M. et moi, et plusieurs autres jeunes, aspirons à un réveil ! Nous ne critiquons pas notre dénomination (nous travaillons même à proposer avec respect aux autorités notre flamme et nos suggestions) mais nous sentons que le temps est contre nous et que le Seigneur est proche ! » Symptomatique encore : un de mes protégés, participant à YLG2016, a découvert que la moitié des participants de son Connect group avaient été contraints de quitter leur Église locale, confrontés à des tensions avec leurs responsables.
Ce constat m’a découragé dans un premier temps parce que j’ai réalisé que la jeune génération ne peut rien changer ni de la culture, ni de la direction de l’Église. Une remarque : je suis convaincu que ces deux obstacles, ces deux verrous qui constituent le plafond de verre ne pourraient sauter que par la repentance. En effet, si des éléments de culture s’opposent aux valeurs évangéliques, ils doivent être reconnus comme ...