Joël Reymond : « Reconnectés à nos racines juives - perspectives sur la dernière réforme » - édité par l’auteur 2016 - 172 pages - CHF 14.--
Après avoir fait des études en lettres et en théologie, l’auteur a été entre autres journaliste au « Christianisme Aujourd’hui ». Depuis plusieurs années, il remplit des mandats de communications pour diverses organisations et accompagne des chrétiens ayant besoin d’un appui pour rédiger un livre.
Précisons tout de suite que ce livre ne cherche pas à atteindre des théologiens ; il a été « conçu pour encourager les chrétiens qui s’intéressent aux racines juives de leur foi » (p. 4 de couverture) et désirent s’y reconnecter. Et dès la page 12, il invite le lecteur mettre en pratique ce retour aux racines juives, à appliquer ce principe juif qui consiste à goûter et éprouver, afin de pouvoir comprendre, ensuite, au fur et à mesure.
A cet effet, il présente – par touches successives et non d’une manière systématique – un certain nombre de valeurs du Judaïsme que, comme chrétien, on est appelé à retrouver par des contacts avec des juifs messianiques qui font le pont entre Israël et l’Église. Si l’Église primitive n’avait pas perdu contact son aile judéo-chrétienne, elle aurait pu garder ces valeurs et se serait épargné bien des errements au cours de son histoire. Parmi ces notions oubliées, citons :
- la direction collégiale de l’Église : elle a été abandonnée pour une autorité monarchique pyramidale d’inspiration païenne ;
- le monisme anthropologique : l’Église a adopté une anthropologie grecque qui sépare la personne entre une entité spirituelle, l’âme, et une entité charnelle, le corps. Il en est résulté une dichotomie entre le savoir et le faire, la théorie et la pratique, la foi et les œuvres ;
- la transmission d’une foi pratique de maître à disciple, remplacée par un enseignement théorique ;
- la place centrale de la famille, comme lieu de transmission de la vie, de la culture et de la foi ;
- le calendrier israélite, notamment le shabbat (jour véritable du repos) et les fêtes juives (Pâque, Shavouot ou Pentecôte et Soukkot ou fête des cabanes). Ces fêtes ont été remplacées par le dimanche (journée dédiée au dieu soleil) et par Pâques et la Pentecôte chrétiennes, des fêtes dont on a oublié l’origine agricole, la signification spirituelle et dont on ne perçoit plus le sens messianique. La notion de « faire mémoire » qui réactualise le passé (Dt 5,2-5) et fait de ces fêtes juives des moments conviviaux et joyeux s’est perdue : les sacrements sont devenus des rites secs.
Le message de Joël Reymond est de dire que l’Église doit retrouver ses racines juives pour rentrer dans le plan de Dieu et accomplir pleinement sa vocation. Israël devrait reconnaître Jésus comme son Messie – il n’y a pas de salut en dehors de lui (Ac 4,12) – mais l’Église de son côté doit se rapprocher d’Israël et retrouver les valeurs dont elle s’est privée en se coupant de ses racines.
Mais quand l’auteur invite à revenir aux racines juives, il a, à mon avis, une théologie ambiguë, car d’un côté, il dit à la page 11 que les chrétiens « ont reçu la totale ... sans avoir à passer par l’observance de la Torah » ; mais d’un autre côté, il invite à revenir au calendrier juif avec notamment le shabbat (pp 85ss) et les fêtes de Pâque, Shavouot et Soukkot, fêtes instituées par Dieu, alors que Pâques et Pentecôte et autres fêtes chrétiennes, ont été instituées par l’Église (p. 97) – dans l’annexe III (p. 154ss), il donne même des suggestions, inspirées de la liturgie juive, pour accueillir le shabbat dans les familles chrétiennes. Il est normal que des chrétiens d’origine juive puissent le faire – ça fait partie de leur patrimoine de membres du peuple d’Israël ; je comprends même que des chrétiens d’origine païenne puissent s’associer à eux, dans la liberté du Christ (1 Co 9,20). La Torah a été donnée par Dieu à Israël, et il s’y trouve des choses excellentes. Si, par exemple, sanctifier un jour particulier comme le shabbat peut m’aider à apprendre à sanctifier tout mon temps pour Dieu ; alléluia ! Mais il faut garder à l’esprit qu’en Christ, nous sommes libres (Gal. 5,1ss), « morts à la loi » (Rm 7,4 ; Gal. 2,19-20) ; nous ne sommes donc plus asservis au calendrier de la loi et avons la liberté de le pratiquer ou pas et de refuser de nous laisser juger pour cela (Gal. 4,9-10 ; Col. 2,16-18 ; Rom 14,5-6).
Un regret encore : que l’auteur, dans un livre qui vise à nous reconnecter à nos racines juives, n’ait pas songé à recourir à l’ancienne littérature rabbinique pour nous faire aimer Israël. Aucune citation du Talmud ou des midrashim ! Pourtant la Torah orale d’Israël est le chaînon incontournable reliant le Christianisme aussi bien que le Judaïsme à la Torah écrite et à l’ensemble du Tanakh (Ancien Testament). À l’image des rabbins, il aurait pu utiliser mille et une histoires juives tirées de la haggada, voire de la littérature hassidique pour illustrer ses propos les rendre facilement accessible à tout un chacun. Par exemple, il invite ses lecteurs à tester le Judaïsme pour comprendre ensuite ! Très bien ! Mais pourquoi n’a-t-il pas dit que cela venait d’Exode 24,7 : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous ferons et nous écouterons ! » ? Les rabbins ont mainte fois disserté sur ce verset. Le Talmud de Babylone dit même que faire avant d’écouter est un « secret des anges » – à cause d’un raisonnement pas analogie (gezera shawa) avec Ps. 103,20. (voir Shabbat 88a ; cf aussi Ketouboth 112a où rabbi Zeira est si pressé de se retrouver en Israël qu’il prend des risques pour traverser un fleuve sur une corde, au lieu d’attendre un bateau ; il se voit reprocher de faire avant d’écouter. À noter que la tradition d’Israël a d’ailleurs mis un bémol à cet empressement aveugle et invite aussi à comprendre (Cf. Pinhas H. Peli, La torah aujourd’hui - DDB 1988, pp 94-98).
Malgré ces faiblesses, il faut être reconnaissant à Joël Reymond d’avoir osé écrire un tel livre en notre époque d’antisémitisme latent et d’inviter les chrétiens à retrouver une juste relation avec Israël. Il est impératif que l’Église sache que par le Christ, elle est connectée au tronc d’Israël.
Alain Décoppet
Daniel Arnold, Dieu visite aussi les orgueilleux - Une approche originale du livre de Daniel, Ed. Emmaüs, 2016 - ISBN : 9782940488353 - 432 pages - CHF 28.--
Daniel Arnold a été professeur pendant 33 ans à l’Institut Biblique et Missionnaire Emmaüs. Passionné par la Bible et les textes narratifs, il a écrit de nombreux commentaires bibliques bien connus sur Juges, Élie et Élisée, Jonas, Ruth, Esther, l’Évangile de Marc. En 2014, il a obtenu un doctorat en théologie au South African Theological Seminary (SATS). Sa thèse est publiée sous le titre: “The Book of Daniel: When Structures Enlighten Prophecy. A Study of Parallelisms and Progressions as Means of Communication.’’
Ce commentaire sur Daniel est donc le résultat des recherches menées depuis plusieurs années sur ce sujet. L’auteur consacre près de 120 pages à nous introduire au livre de Daniel : particularités, diversités des approches, structures et message qu’il fait ressortir en intertextualité avec les récits de la tour de Babel, Joseph, les livres d’Ézéchiel et de l’Apocalypse.
Ensuite, il se lance dans une lecture suivie du livre de Daniel. C’est un commentaire plus cursif qu’exégétique : le message de chaque péricope est synthétisé sans trop entrer dans des analyses lexicographiques détaillées. Il ne nous fournit d’ailleurs pas une traduction originale, mais se contente de reprendre le texte de la Bible Segond révisée, dite « À la Colombe ». À ce sujet j’ai été quelque peu frustré de voir que généralement, quand se pose un problème de traduction, il aligne les différentes traductions choisies ou donne l’avis d’un commentateur, sans nous donner une démonstration de sa propre recherche.
Daniel Arnold a repéré plusieurs macrostructures qui traversent le livre de Daniel en se chevauchant parfois. La principale de ces structures me semble être celle déterminée par la langue : les chapitres 1, puis 8-12, sont en hébreu, tandis que les chapitres 2-7 sont en araméen. Cela forme un chiasme (A-B-A’ — Roland Meynet dirait une structure concentrique ). À l’intérieur de la partie araméenne, il a repéré, comme d’ailleurs plusieurs de ses devanciers, une nouvelle structure en chiasme avec les chapitres 4-5 comme partie centrale. Ensuite, pour chaque chapitre, il met en évidence des structures parallèles ou concentriques. Notons que pour cela, il utilise davantage les thèmes de la péricope (ce qui sans être faux est incomplet) que les indices lexicographiques, les inclusions, etc. Mais il ne met pas en valeur ces structures comme dans l’école de la rhétorique biblique pour exposer comment l’auteur sacré développe sa pensée, par exemple en utilisant les lois de Lund ; son interprétation est surtout théologique.
Daniel Arnold défend la thèse suivante : Daniel est un livre prophétique : il révèle que la prise de Jérusalem en 605 av. J.-C. (Dn 1,1ss), marque le début du « temps des nations » (p. 124s). Jérusalem cesse dès lors d’être sous l’autorité d’un roi d’Israël. Dès ce moment-là, Dieu commence à enlever l’opprobre qui était sur les nations depuis le jugement de Babel en commençant à parler araméen, la langue internationale, comprise de tous, à l’époque (p. 137s à propos de Daniel 2). Dieu confirme cela en révélant ses plans pour le monde, par des visions et des miracles, non plus à un membre de son peuple, mais à des rois païens, comme Nabucadnetsar, Belchatsar ou Darius. C’est pour eux un temps de grâce. Les chapitres en hébreu (1 et 8-12) sont centrés sur Jérusalem et Israël, et destinés au peuple de Dieu. Daniel est un exemple de foi par la manière de vivre dans les temps de trouble.
Même si je ne suis pas Daniel Arnold dans tous ses développements, j’ai trouvé son commentaire stimulant et original ; il sort des sentiers battus et présente une argumentation intéressante.
Alain Décoppet
Stanley Hauerwas, William H. Willimon, Étrangers dans la cité , traduit et préfacé par G. Quévreux et G. Riffault, éd. du Cerf, Paris 2016, ISBN 978-2-204-10569-9, 288 p., 19€.
Plus de 25 ans après sa sortie aux États-Unis, les éditions du Cerf mettent à la disposition du public francophone ce best-seller (1 million d’exemplaires en anglais !) de deux théologiens méthodistes, consacré à la place de l’Église dans le monde. Heureuse initiative. La thèse est simple, proche des vues anabaptistes de John Yoder : Le message que l’Église professe, l’éthique qu’elle met en œuvre au nom de l’Évangile sont incompréhensibles pour un monde sécularisé tel que le nôtre. Il ne sert donc à rien d’essayer de rendre l’Évangile crédible en l’adaptant comme tentait de le faire le libéralisme depuis les Lumières jusqu’à Tillich, voire en le traduisant dans des catégories philosophiques (existentiales par exemple, cf. Bultmann) ou idéologiques (marxistes, féministes, etc.). Pour nos deux auteurs, ces approches ont dénaturé l’Évangile en le réduisant à un système philosophique, fût-il celui de Jésus. Il ne s’agit plus de penser l’Évangile et la foi pour notre temps, mais de vivre en notre temps la rupture instaurée, entre le monde ancien et celui qui vient, par la venue, la mort et la résurrection du Christ. La notion de « chrétienté » héritée du Constantinisme, trahison de l’Évangile, a vécu, affirment les auteurs, même dans un pays comme le leur – les États-Unis, où la foi est réduite à un vernis culturel, celui de la religion civile, et se trouve récupérée par l’idéologie dominante. Les chrétiens sont en fait une sorte de colonie du Royaume de Dieu en terre étrangère. Il ne s’agit pas d’œuvrer pour améliorer le monde, le transformer, mais de préparer le Royaume en bâtissant l’Église.
Renvoyant dos à dos l’Église « militante » (axée sur la transformation et le progrès social en ce monde) et l’Église conversionniste (qui se voue à la transformation des individus et des cœurs au risque de négliger la dimension « cosmique » de l’Évangile), nos auteurs optent pour une Église confessante. Face à la prétendue autonomie individuelle, au matérialisme consumériste, à la tyrannie du désir personnel, au libéralisme broyeur des faibles, l’Église, « la stratégie sociale la plus créative que nous ayons à offrir » (p. 147), prémices de l’humanité nouvelle instaurée par le Christ, vit une éthique nouvelle, qui n’a rien de naturel pour l’esprit humain, et dont le Sermon sur la Montagne constitue la charte. Pour être vraiment fidèle à son chef, devenir un peuple nouveau, sans pactiser avec aucun pouvoir, bref, faire œuvre sociale, politique au sens le plus étymologique du terme. « Ce qui fait que l’Église est radicale et toujours nouvelle, ce n’est pas qu’elle incline à gauche sur la question sociale, mais qu’elle connait Jésus, alors que le monde ne le connait pas » (p. 69).
Les derniers chapitres insistent sur la vie « aventureuse » du disciple en ce monde, en particulier de celui qui est engagé dans le ministère pastoral, combat permanent et difficile constamment exposé à la tentation de l’accommodation. La panoplie d’Éphésiens 6 donne à méditer aux auteurs qui insistent sur la nécessité vitale de l’Église comme lieu de soutien mutuel et d’entraînement au combat des disciples du Christ, exilés en ce monde. Combat qui, pour être résolument non-violent, n’en est pas moins acharné.
L’édition française comporte une préface des traducteurs. Elle souligne l’étonnante actualité tout comme la force contestatrice de l’Évangile dans la sphère hyper-libérale, consumériste, individualiste et matérialiste de notre monde globalisé. Suit un avant-propos de W. Willimon qui évoque avec reconnaissance et humour sa collaboration avec St. Hauerwas, et le succès étonnant rencontré par leur livre en 25 années de diffusion. Christophe Desplanque
Daniel Marguerat, Et la prière sauvera le monde, Éd. Cabédita 2016, Collection « Parole en liberté », ISBN : 978-2-88295-764-1 – 96 pages - € 14,50 ou CHF 22.--.
Daniel Marguerat, professeur honoraire de Nouveau Testament de l’Université de Lausanne, est bien connu, tant par ses ouvrages scientifiques que de vulgarisation sur Jésus et les origines du christianisme, notamment un magistral commentaire sur les Actes des Apôtres en 2 volumes. Depuis quelques années, il s’est mis à publier également des ouvrages que je définirais comme plus axés sur la spiritualité, mais qui n’en demeurent pas moins fondés sur la vaste connaissance biblique de l’auteur. C’est à cette catégorie que je rattacherais le riche petit volume susmentionné.
Ce livre m’a fait du bien, car au lieu de nous entrainer vers un marathon de la prière propre à donner des complexes à ceux qui n’ont pas trop de souffle spirituel, l’auteur nous apprend à être devant Dieu. Il donne d’emblée une très belle définition de la prière : « Prier, c’est laisser Dieu advenir en nous et faire en nous son travail de salut. Prier, c’est exister devant Lui et se déclarer accessible à Lui. Devenir peu à peu l’enfant du Père. Je ne serai pas sauvé malgré moi : la prière est ce « oui » à Dieu qui l’autorise à me transformer ». (page 8).
Dans le premier chapitre (« Oser prier »), il invite le lecteur à prier en partant de la Parabole des trois amis de Luc 11 : la prière, c’est avoir les mains vides et demander à Dieu (l’ami qui a) pour l’ami qui n’a pas (notons que si l’on a, il faut partager ; la prière ne saurait être l’alibi à notre égoïsme ou à notre paresse).
Le chapitre suivant (« Quel Dieu nous prions ») rappelle que Dieu n’est pas un tyran qu’il nous faudrait apitoyer, mais un Père qui nous aime, veut notre bien. Nous pouvons aller à lui en nous reconnaissant fragiles et pécheurs.
Ensuite, Daniel Marguerat passe à « L’exaucement ». Il rappelle d’abord, avec Michel Bouttier (p. 58), que ce n’est pas la prière en elle-même qui est puissante, mais le Père à qui nous nous adressons : tout lui est possible. Mais l’exaucement est lié à sa volonté. S’il ne répond à notre demande de la manière attendue, c’est une invitation à découvrir sa volonté dans un autre cheminement, comme Jésus nous en donne l’exemple ; à Gethsémané : « Ta volonté, et non la mienne ». Et de conclure ce développement en rappelant cette formule attribuée à Luther : « Prions... la suite ne nous regarde pas » (p. 69).
Et il termine son livre en parlant de « La prière qui transforme ». À l’école de Sœur Myriam de Reuilly, il rappelle que dans notre face à face avec lui, Dieu peut nous évangéliser , nous transformer par son Esprit qui nous fait entrer dans le Règne qui vient, et nous entraine à prier la prière de Dieu.
L’auteur n’esquive pas les sujets délicats, comme les prières non-exaucées, les psaumes imprécatoires, la question de savoir si les bienfaits de la prière sont une autosuggestion, etc. L’auteur se fait aider en cela par une sympathique petite voix qui lit par-dessus son épaule et lui pose, par-ci, par-là, à point nommé, des questions qui pourraient monter à l’esprit de tout lecteur perspicace. Le livre est bien écrit, très équilibré, fondé sur des exégèses solides, où le lecteur découvrira ou redécouvrira les grands textes bibliques consacrés à la prière.
Alain Décoppet
Jean-Georges HEINTZ, Prophétisme et Alliance – Des archives royales de Mari à la Bible hébraïque, Academic Press Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2015, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis », vol. 271, 23 cm. XXXV+349 pp. -ISBN 978-3-7278-1765-6, 103 €.
Cet ouvrage est dû à la volonté éditoriale d’Othmar Keel de l’Université de Fribourg/CH et de Manfred Weippert de l’Université de Heidelberg (voir son "Vorwort", pp. XIII-XXXV), en hommage à « la continuité de la réflexion et la rectitude de la recherche » de l’auteur des études qui nous sont proposées là. Jean-Georges HEINTZ a été professeur d'Ancien Testament à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg, depuis 1965, et a enseigné l’Épigraphie sémitique à l’École du Louvre à Paris (1969-2000). L’ouvrage est destiné à un public universitaire, d’étudiants et de chercheurs, mais aussi aux lecteurs cultivés et curieux de l’histoire du texte de la Bible. L’auteur examine le vaste univers du prophétisme et de l’alliance tel qu’on peut le rencontrer dans la Bible hébraïque, en le relisant à la lumière de l’étude des archives royales babyloniennes (plus de 16.000 tablettes cunéiformes) qui furent mises au jour à Tell Harîri, l'antique Mari, en Syrie. « Le volume réunit dix neuf études, parues entre 1969 et 2001 qui concernent les origines, les formes et la fonction du prophétisme ainsi que de la littérature prophétique dans l’aire ouest-sémitique, et leurs liens avec la théologie de l’alliance et de la souveraineté divine ». Ces textes sont répertoriés selon trois grandes sections : les études sur le prophétisme, de Mari essentiellement et de l’Ancien Testament, les études thématiques et, enfin, celles des représentations et rituels de l’Alliance.
Les études sur le prophétisme regroupent plusieurs chapitres. Ainsi une étude des 45 tablettes en écriture cunéiforme trouvées à Mari et concernant le phénomène prophétique et l’idéologie de la « guerre sainte ». Ces tablettes y dévoilent une proche parenté des textes prophétiques de Mari avec ceux de l’Ancien Testament, comme en Ez. 17,19-20, avec la mention du filet divin, déjà présent sur la stèle de victoire « dite des Vautours » (Musée du Louvre) dans la cité sumérienne de Lagash (vers 2450 av. J.-C). Le style de cour, où, dans un court texte, l’auteur montre « une antique connexion entre ce “style de cour” propre aux fonctionnaires […] ainsi que les attaches cultuelles de nombre d’intermédiaires divins », susceptible de trouver une correspondance historique en Israël dans le prophétisme de cour et le prophétisme cultuel, voire dans les formulations messianiques.
Les études thématiques proposent plusieurs entrées pour une réflexion approfondie sur une réelle antiquité des livres de l’Ancien Testament, avec des thèmes tels que : « Le feu dévorant », symbole de la souveraineté divine, ou bien : « Ressemblance et représentations divines selon l’A.T. et le monde sémitique ambiant », « Les dieux captifs et voyageurs », etc. « De l’absence de la statue divine au “Dieu qui se cache” (Es. 45, 15) : aux origines d’un thème biblique » est un texte passionnant qui étudie la problématique de « l’instance du pouvoir à structure absente » (U. Eco) – thème que l’on découvre avec l’absence de la statue babylonienne, celle de la déesse Bêlet-ekalim de son temple, et que l’on retrouve au temps de l’Exil, loin de Jérusalem, d’où le prophète Ésaïe oppose de manière allusive et critique la « souveraineté de son Dieu, unique et invisible » à l'inanité des « dieux étrangers, fabriqués de main d’homme » (40,19s. ; 41,1-7 & 21-29 ; 44,6-20 ; etc.).
La troisième section est composée de cinq « Études sur l’alliance » à partir des documents épistolaires et diplomatiques de Mari, confrontés aux documents figurés de l'époque (voir infra), ainsi : « Genèse 31,43 - 32,1 un récit de pacte bipartite », ou bien « 'Dans la plénitude du cœur' : à propos d’une formule d’alliance à Mari, en Assyrie et dans la Bible », qui présentent toutes la même rigueur d’analyse et de méthodologie.
Ces trois thématiques sont introduites par une passionnante réflexion historique et méthodologique de l'A.T., à partir de la conférence de Fr. Delitzsch, le 13 Janvier 1902 à Berlin, sur le thème « Babel und Bibel », conférence qui a eu un grand écho dans le monde de la recherche biblique occidentale. L’auteur présente de façon très claire l’histoire de l'exégèse biblique confrontée aux découvertes de l'archéologie. Ainsi assiste-t-on alors à la naissance d’un « pan-babylonisme », selon lequel peu de thèmes bibliques échappaient à un principe d’imitation ou de copie par rapport à des documents « originaux » babyloniens - jusqu’à l’émergence de la méthode historico-critique. Sont présentés les courants qui ont traversé cette méthode d’analyse de l’Ancien Testament, ceux recherchant les points d’insertion des récits bibliques dans les origines des tribus, avec un intérêt pour le « pays biblique » au sens strict du terme, ou ceux beaucoup plus ouverts sur les résultats de l’archéologie orientale dans son ensemble, notamment la relation – essentielle – entre « texte et image ». Ce mode d’approche devant pouvoir englober l’étude simultanée de ces « realia » et des textes, le contraire produisant selon l’auteur des « hiatus méthodologiques ». Ce livre parfois d’une lecture serrée, s’avère être un ouvrage indispensable et passionnant ouvrant à une lecture de la Bible dans l’antiquité de son histoire et de son texte (voir également la recension, en langue anglaise, par Daniel Bodi, parue dans : The Catholic Biblical Quarterly, 78/2016, Oct., pp. 796-806).
Patrick Duprez
Thierry Lenoir – L’âme du violon - pour que chante la vie – Éditions Cabédita, Bières 2017, ISBN : 9782882957801 – 72 pages – € 16.-- ou CHF 23.--
L’auteur est pasteur, aumônier d’hôpital, violoniste et écrivain. Il a publié plusieurs ouvrages remarqués chez le même éditeur et ailleurs.
Ce petit livre est fascinant : d’abord il est beau, avec de belles photos de violons, et il en émane une atmosphère pleine de poésie. Ensuite il nous permet de découvrir les perfections invisibles de Dieu (Rm 1,20) par la beauté, dans le sens où la définit Lalande : « La beauté correspond à certaines normes d'équilibre, de plastique, de proportions harmoniques, de perfection en son genre… ». Cette beauté qui est dans l’univers, Thierry Lenoir la trouve surtout dans la musique et particulièrement dans le violon.
Sa rencontre avec un luthier lui a ouvert l’esprit à tout un monde fascinant d’harmonie où les nombres, les proportions justes se combinent avec les vibrations et les sons. « La beauté est ce qui donne à la vérité le caractère d’une grâce » (page 26).
Et Thierry Lenoir de nous faire entrer dans les mystères du violon, de la table d’harmonie, des cordes, de l'archet, et surtout de l’ âme du violon, cette fine baguette d’épicéa, à l’intérieur, dans le vide du violon, qui transmet au fond du violon, les vibrations de la table d’harmonie, et donne à l’instrument toute la plénitude de sa sonorité.
Mais, demandera-t-on peut-être, l’auteur ne tombe-t-il pas dans la théologie naturelle en faisant du beau le chemin vers Dieu ? Pas vraiment : la thématique vient plutôt de la littérature sapientiale. Il amène à découvrir le Christ disséminé dans toute sa création. Le Christ était présent à l’esprit des anciens luthiers et les violons, produits de leur art, en sont une représentation symbolique : les cordes traditionnellement confectionnées en boyaux d’agneaux (pas d’un autre animal) étaient tendues sur le violon comme le Christ fut étendu sur la croix. La colophane composée traditionnellement d’or, d’encens et de myrrhe évoque aussi Jésus, de sa naissance à sa mort ; et je ne parle pas du vernis, dont la base était d'une teinture rouge pour rappeler le sang versé à la croix.
Et puis l’auteur, que son ministère d’aumônier met en contact avec l’âme des gens, fait tout un développement allégorique entre le violon, son âme, et celle des humains. Parfois, l’âme du violon peut être déplacée par la pression qu’elle subit ; le luthier doit alors entreprendre de la repositionner ; c’est un travail minutieux et délicat comme une opération chirurgicale. La table d’harmonie peut avoir été fissurée, mais elle ne sera pas remplacée. Ce sont des accidents qui peuvent arriver et font partie de la vie d’un violon, des cicatrices qui en feront une pièce unique. De même la table d’harmonie gardera des traces des artistes qui auront possédé le violon et auront joué dessus.
Le violon, dans sa confection et dans son vécu, est une allégorie de la création et de la vie de chacun de nous, entre les mains du divin luthier-violoniste !
Alain Décoppet
Christophe Paya, Nicole Deheuvels – Famille et conjugalité – regards chrétiens interdisciplinaires – Éditions Excelsis, La Cause, 2016 - Coll. OR (Ouvrages de Référence) - EAN 9782755002812 – 544 pages – CHF 43,29 ou € 39.--
Nicole Deheuvels est pasteure, conseillère conjugale et familiale, directrice du département Solos/Duos à la Fondation La Cause, formatrice à l’École des Parents et des Éducateurs. Christophe Paya est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie évangélique (Vaux-sur-Seine).
L’ouvrage que nous examinons aujourd’hui est une sorte de dictionnaire sur la famille et la conjugalité. Après avoir posé les bases théologiques du sujet, il aborde une cinquantaine de thèmes actuels tout en maintenant le lien avec l’enseignement biblique. Conseillers conjugaux, thérapeutes, formateurs, enseignants, psychologues et psychanalystes, pasteurs, formateur en médias et communication, juristes, animatrice jeunesse, chercheurs, au total, pas moins de 42 auteurs de professions diverses pour étayer et analyser les thèmes de cet ouvrage.
La thèse centrale de cet ouvrage pourrait se résumer ainsi : l’union Homme-Femme et la constitution d’une famille qui en découle est indissociable de la vision biblique Christ-Église. Paul parle même du mystère de cette comparaison (Ép 5,32). Toute réflexion sur la famille et la conjugalité prend en compte notre nouvelle nature en Christ et ses plans pour nous, selon Ep 2,10.
Notre analyse se décomposera en trois parties :
1. Historique biblique
Les auteurs nous font découvrir que, dans l’Ancien Testament, la Bible nous parle de la famille, mais que cette dernière ne possède pas sa forme définitive telle que désirée par Dieu : polygamie, esclavage et patriarcat... L’épouse, malgré des avantages prévus par les rites de l’époque, quitte sa famille pour être tout de même assujettie à son mari. Or, la vision de Dieu pour le couple est quasi l’inverse. En effet, dès la Genèse, « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair » (Ge 2,24). « Le couple est une réalité qui ne se réduit pas au cadre socioéconomique dans lequel il s’inscrit. C’est un lien autrement plus fort et plus profond qui unit les deux êtres qui le composent au point de n’en former plus qu’un » (p. 18).
Le livre des Proverbes fait étonnamment abstraction de la culture de l’époque et constitue un écrit remarquablement moderne. Il initie non plus seulement l’apparition de la valeur féminine sous la forme de témoignages anecdotiques, mais, au travers d’une reconnaissance officielle de la femme en qualité d’être unique, il valide sa valeur indispensable au sein de la famille.
Dans le Nouveau Testament, les 3 x 14 générations de la généalogie de Jésus (Mt 1,1-17) laissent percevoir la fragilité de la famille : il y a certes perpétuation des générations, mais le lien ne tient qu’à un fil en raison de situations familiales loin d’être claires et cohérentes. C’est peut-être justement au travers de ces faiblesses familiales, tout humaines, que l’Esprit trouve l’espace pour intervenir et conduire les plans de Dieu. Ces faiblesses démontrent également que le destin de l’enfant n’est pas entre les mains de ses parents. L’exemple de Jésus est remarquable : dès qu'il a 12 ans, ses parents sont dépassés par les événements, mais, par la foi, ils font confiance à Dieu, afin de mener à bien les projets divins. Au début de son ministère, Jésus fait découvrir une nouvelle dimension à la famille. La cellule traditionnelle va changer de statut, pour être relativisée par le Royaume. J’en veux pour preuve cette parole : « Qui est ma mère ? » (Mt 12,48) ; et Jésus de s’adresser à Dieu comme à un père et d’enseigner à ses disciples à en faire autant. Le Royaume qu’il annonce fait de tous ses adhérents, après qu’ils aient passé par une « nouvelle naissance », des membres de la famille céleste, des enfants de Dieu. Les anciens liens et positionnements sociaux sont caducs. Jésus offre à la femme et aux enfants un statut nouveau, en contradiction avec les mœurs de l’époque.
Pour terminer ce panorama historique de la Bible, les auteurs abordent la famille telle qu’elle apparaît dans les Épîtres : « la famille reste un lieu où la foi est appelée à se concrétiser et à s’affermir » (p. 32). Paul en particulier va développer des exemples pratiques de sa compréhension de la volonté divine, telle que transmise par Jésus. Dans le mariage, le mari et la femme sont placés fondamentalement sur pied d’égalité, tout en exerçant des responsabilités et obligations particulières dans le cadre d’une structure d’autorité voulue de Dieu. Dans son ministère et ses épîtres, Paul se trouve confronté à tous les aspects de la vie conjugale : mixité des couples, célibat, divorce, veuvage, infidélité, etc. Il répond aux questions ou constate des pratiques qu’il remet en cause. Des paroles difficiles (soumission de la femme à son mari) sont immédiatement placées dans un contexte spirituel (Christ et Église) et interdisent toute notion de subordination ou de servilité. D’autres paroles (femmes devant se couvrir la tête lors du culte) doivent être adaptées aujourd’hui, car le contexte socioculturel est différent. En effet, à l’époque de Paul, une femme qui se découvrait la tête en public, laissait entendre par là qu’elle était ouverte aux propositions des hommes en matière de séduction.
Les enfants ne sont pas en reste. Ils sont aimés de Jésus et protégés par les apôtres qui exhortent les parents à ne pas les irriter, mais à les « élever dans l’instruction et l’exhortation du Seigneur ». Les privilèges et pouvoirs parfois abusifs des parents sont sèchement remis en question. En conclusion, les apôtres ont utilisé la famille élargie comme terrain d’évangélisation et d’enseignement, renversant comme Jésus, des habitudes, « non pour abolir mais pour accomplir ».
2. Du temps de la Bible à aujourd’hui
Fort du point de vue biblique présenté ci-dessus, les auteurs abordent ensuite l’évolution de « la famille et de la conjugalité » au cours des deux millénaires du Christianisme en se focalisant principalement sur la situation européenne, voire française.
A l’époque du Nouveau Testament, le rôle premier du mariage est de donner un cadre à la procréation, sans qu’il ne soit marqué par une cérémonie religieuse – du moins celle-ci n’est pas documentée historiquement. Il faut attendre saint Augustin pour voir apparaître un contrat conjugal lié à un sacrement, alors que hors Église, le mariage est toujours un objet de transactions familiales ou politiques. Napoléon va subordonner le mariage religieux au mariage civil : désormais, les époux devront être préalablement munis d’un acte écrit officiel, pour pouvoir célébrer un mariage religieux.
Le XX e siècle sera le théâtre de bouleversements radicaux qui vont fortement changer la conception de la famille : guerres mondiales (avec absence des pères), remise en question du rôle et de la place de l’Église (Vatican II) et de la société (de mai 68 à aujourd’hui).
Les auteurs vont aborder cette évolution sous différents aspects : droit de la famille, mariage comme projet de vie, rapports femmes-hommes, principalement ces cent dernières années et sous des angles les plus divers (célibat, homosexualité, féminisme, adoption, interculturalité).
3. Avis personnel sur l’ouvrage
Ce dictionnaire de plus de 500 pages se lit facilement, car les sujets sont suffisamment bien classés pour s’y retrouver : bibliographie importante, index alphabétique par sujet. Si je conseille la lecture préalable de la partie historique biblique, l’ouvrage permet l’étude d’un thème sans connaître le chapitre précédent. Il nous interpelle par le biais de 19 défis actuels : des écrans à l’argent, de la fidélité à l’accompagnement spirituel des adolescents, l’intergénérationnel, la communication, les relations avec l’école.
Bien qu’applicable à la plupart des pays occidentaux – il reçoit de son ancrage biblique une dimension universelle – l’ouvrage prend principalement appui sur la société française, ce qui est regrettable. L’apport anthropologique d’une vie familiale africaine, asiatique ou sud-américaine, même non chrétienne, aurait pu également stimuler des recherches d’harmonie au sein de la vie familiale ou conjugale occidentales.
Raymond Henchoz
Jean Zumstein, La mémoire revisitée, études johanniques - Coll. « Le Monde de la Bible » N° 71 - Labor et Fides, Genève 2017 - ISBN 978-2-8309-1608-9 – 550 pages – € 32.-- ou CHF 39.--
Il n’est guère nécessaire de présenter Jean Zumstein, professeur émérite de Nouveau Testament de l’Université de Zurich et spécialiste bien connu du quatrième Évangile dont il a notamment publié un remarquable commentaire en deux volumes (Labor et Fides, 2007 et 2014 - voir recension dans Hokhma N° 106). L’ouvrage que nous présentons ici contient un choix d’articles à portée scientifique que l’auteur a consacrés à cette question depuis les années 1990 ; il vise donc un public universitaire et lui permet de préciser les options qu’il a prises et la méthodologie suivie pour la préparation de son commentaire.
Ce livre s'articule en trois grandes parties :
1. Histoire et herméneutique (5 chapitres - 130 pages) fait l’histoire de l’Évangile de Jean et de sa réception dans l’Église. Zumstein voit la production de cet Évangile comme l’œuvre d’une école groupée autour du « disciple bien aimé » qui a mis en forme des traditions sur Jésus. Un premier texte aurait ensuite été repris (un peu comme le Siracide grec a repris l’œuvre de son grand-père Jésus ben Sirach) avec des adjonctions qui infléchissent le sens de l’œuvre et lui permettent de mieux répondre à la problématique d’une nouvelle situation. Mais une partie de l’Église l’ayant interprété dans une perspective docète, « Jean » aurait été obligé de donner une clé d’interprétation de son Évangile en écrivant sa première Épitre. Mais cela n’aura pas suffi. L’Évangile fut bientôt récupéré par des gnostiques et de ce fait suspecté par la Grande Église. Indice de cette réserve : Jean n’est pas cité de façon indiscutable par les écrivains ecclésiastiques avant la fin du II e siècle (p. 32-33). Il faudra, pour cela, attendre Théophile d’Antioche, Irénée et le Canon du Muratori. Faut-il en conclure, comme le pense Jean Zumstein, que le quatrième Évangile ait dû attendre une époque aussi tardive pour être reçu dans la Grande Église ? Cette hypothèse « minimaliste » a certes pour elle le mérite de la rigueur, mais il faut tout de même constater qu’Ignace d’Antioche (début du II e siècle) fait de nombreuses allusions à l’Évangile de Jean (1) , comme d’ailleurs à d’autres auteurs du Nouveau Testament.
Le processus de rédaction de Jean, par phases successives, tel que le conçoit Jean Zumstein, a bien sûr laissé des traces que l’exégète doit identifier ; il considérera ces adjonctions comme des indices de relectures qui l’aideront à interpréter le texte biblique. Par exemple du fait qu’à la fin de Jean 14, Jésus parte avec ses disciples et que la suite du récit les fassent se retrouver de l ’autre côté du Cédron, au chapitre 18, l’amène à penser qu’on a, dès le chapitre 15, une adjonction témoin d’une relecture. Cela donne des résultats différents, mais pas forcément contradictoires, avec ceux obtenus en suivant l’approche de la rhétorique sémitique, telle que je la pratique : Selon cette méthode synchronique, Jean 15 prend une position centrale dans l’ensemble des chapitres 13-17 et permet d’interpréter les parties extrêmes l’une par l’autre (Yves Simoëns, La gloire d’aimer, Rome 1981 est un bon exemple de ce type d’approche).
Relevons, dans cette première partie, le chapitre 3, que j’ai trouvé particulièrement intéressant, consacré à la méthodologie. Jean Zumstein commence par poser honnêtement, avec Rudolf Bultmann, qu’ « il n’existe pas d’exégèse sans présupposés » (p.63). Il proteste ensuite de son honnêteté intellectuelle et de son indépendance farouche face à toute institution. On ne peut que souscrire à ces affirmations, sauf peut-être, quand il revendique une autonomie de la raison... se veut-il autonome par rapport à Dieu ? Je me suis réjoui de voir (p. 73) qu’il considère que le texte doit être interprété selon l’ordre canonique et non plus selon une reconstruction historique jugée anachronique par rapport à la logique johannique.
Le cinquième chapitre de cette première partie, intitulé « Et nous savons que son témoignage est vrai », m’a en revanche laissé parfois dubitatif : tout à fait d’accord avec Jean Zumstein lorsqu’il assimile le genre littéraire évangile à une vita ou βιος, ( vie – comme dans les « Vies parallèles » , de Plutarque) ; par contre, peut-on le suivre quand, reprenant l’idée de A. Reinhartz, il écrit : « Chez Jean, nous n’avons pas affaire à une seule vita , mais à deux histoires qui sont intriquées l’une dans l’autres : l’histoire du Logos préexistant qui s’incarne, et l’histoire de Jésus de Nazareth. Ou, en d’autres termes, la vita de l’homme de Nazareth fusionne avec celle du Logos incarné ; elle est placée dans une perspective mythologique » (p. 85) ? Cette juxtaposition, si je comprends bien, du divin et de l’humain en la personne de Jésus fils de Joseph me semble aller à l’encontre du o λoγος σaρξ eγeνετο (« la Parole devint chair » - Jn 1.14). Cette vision des choses affecte le sens qu’il donne à la notion de témoignage vrai que Jean porte à la personne de Jésus : « La notion johannique de témoignage ne relève pas de l’historiographie. Le témoignage ne s’avère pas être vrai du fait de sa prétendue fidélité aux faits. Il est orienté christologiquement. Le témoignage... « vise à révéler la véritable identité du Jésus johannique. En d’autres termes, la vérité du témoignage n’est pas fondée dans la restitution exacte des événements advenus, mais elle se donne à connaître dans l’interprétation croyante de la personne du révélateur » (p. 100).
La deuxième partie est de loin la plus longue : plus de 270 pages (pp 131 à 405), 13 chapitres. Elle démontre et illustre, par des exemples concrets, comment l’auteur a mis en œuvre la méthode et les options présentées dans la première partie. Sont ainsi analysés le Prologue, le récit de la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle né, le discours du Bon berger. Mais près des deux-tiers de cette partie sont consacrés à l’étude du dernier discours de Jésus (Jn 13-17) et du récit de la passion. Ce parcours de textes est très bien documenté ; l’auteur maîtrise très bien son sujet. La dernière partie (une centaine de pages) offre un parcours thématique dans l’Évangile : le péché, la connaissance, la haine, etc.
Il y aurait beaucoup à écrire sur cet ouvrage. Disons d’abord qu’il est de bonne qualité et aborde avec précision et de manière approfondie l'évangile de Jean. Je l’ai trouvé très stimulant, remettant en question mes idées sur cet évangile, me poussant à les repenser. Les questions qu’il pose sont très pertinentes : il est très précieux d’avoir quelqu’un qui nous aide à formuler les bonnes questions, même si ses réponses diffèrent des nôtres. Je suis ressorti de cette lecture enrichi d’une quantité de matière utile pour approfondir l’étude de l’évangile de Jean. Et puis, Jean Zumstein sait bien écouter le texte de Jean qu’il a étudié dans tous les sens. Recevoir ce qu’il a entendu et restitue m’aide à mieux percevoir les richesses de cet é vangile.
Jean Zumstein, L’apprentissage de la foi - à la découverte de l’Évangile de Jean et de ses lecteurs - Ed. Labor et Fides, 2015, coll. « Essais bibliques » - ISBN : 9782830915839 - 110 pages - € 15.-- ou CHF 19.--
Jean Zumstein, Le visage et la tendresse de Dieu - Jésus sous le regard de Jean l’évangéliste - Éd. Cabédita, 2014, collection « Parole en liberté » - ISBN 9782882957184 - 96 Pages - € 14.50 ou CHF 22.--.
Ces deux ouvrages reprennent les thèses de Jean Zumstein, mais présentées pour un large public.
L’apprentissage de la foi est la reprise revue et augmentée d’un ouvrage paru aux Éditions du Moulin en 1993. C’est une bonne introduction à l’Évangile de Jean où sont expliquées les différences entre Jean et les synoptiques, les particularités de Jean, l’utilisation de l’ironie, du malentendu. Il présente l’histoire de la communauté johannique, le processus de composition de l’Évangile et sa théologie.
Le visage et la tendresse de Dieu fait une lecture suivie de tout l’Évangile de Jean. Là Jean Zumstein fait œuvre de pasteur en expliquant et éclairant le texte biblique. Ce livre rendra service à tous ceux qui auront à présenter cet évangile dans une prédication ou une étude biblique.
Alain Décoppet