Introduction
Jürgen Moltmann, dans son livre Dieu dans la Création , nous livre un traité écologique de la création (1) . Il s ’agit donc d’un travail de théologie systématique qui cherche à prendre en compte les questions que posent notre culture. Moltmann consacre d’ailleurs un chapitre entier à un état des lieux de la crise écologique (2) . Il se discipline aussi à entrer sans cesse en dialogue avec la science, non seulement à propos du débat sur l’évolution (3) , mais aussi lorsqu’il aborde les notions de temps et d’espace (4) .
Lorsqu’il écrit « Dieu dans la Création », c’est l’Esprit Saint que l’auteur a en vu. Il entend ainsi « développer une doctrine pneumatologique de la création (5) ». Par l’inhabitation de l’Esprit dans le monde, Moltmann affirme une immanence de Dieu dans le créé, sans renier la transcendance : « Dieu est à la fois en lui [dans le monde] et hors de lui (6) », il y a à la fois distinction et identification. La périchorèse divine lui permet de construire cette dialectique : tout comme il y a interpénétration des personnes divines qui pourtant restent distinctes, il y a interpénétration de Dieu et du monde, qui restent pourtant distincts (7) . C’est là ce qu’il nomme le panenthéisme (« tout en Dieu »), une sorte de troisième voie entre le monothéisme et le panthéisme.
L’Esprit, inhabitant le monde, préserve la création (Ps 104.29-30) et rend Dieu participant à sa souffrance (1 Th 5.19 ; Ep 4.30) (8) . « Le Père est la cause créatrice [ sic ] le Fils la cause formatrice et l’Esprit la cause vivifiante de la création» (9) . L’Esprit est le principe holistique : par sa présence en toute créature, il met toutes choses en relation. C’est aussi lui qui crée sans cesse de nouvelles possibilités pour la création (10) . L’univers est donc un système ouvert, dans lequel le passé et le présent ne se dirigent pas irrémédiablement vers un futur , mais dans lequel advient un avenir – avènement de neuf, surgissant d’ailleurs dans le présent (11) .
Pour ces raisons, Moltmann critique la doctrine traditionnelle de la préservation, ou conservation du monde par Dieu. Il préfère parler de création continuée, puisque du nouveau surgit dans l’histoire du créé. Sur la base de son travail, et en évaluant ses arguments, nous essaierons donc de répondre à la question suivante : est-il plus légitime de parler de création continuée ou de conservation pour désigner la providence de Dieu dans le monde ?
La création continuée (12) : de quoi s’agit-il ?
La création continuée que professe Moltmann se situe chronologiquement entre la création originelle et la nouvelle création. La création originelle est une création sans présupposés, ex nihilo (13) , mais la création continuée présuppose la création originelle. Moltmann situe ainsi la question de l’évolution dans le cadre de la création continuée. La nouvelle création quant à elle désigne l’état final, qui accomplit ce qui était en germe dans la condition originelle. La nouvelle création n’est donc pas une restauration de l’état initial, mais un véritable accomplissement (14) . Et la création continuée assure ainsi le lien entre création originelle et nouvelle création. Elle est liée à la création originelle parce qu’elle la présuppose, et elle est liée à la nouvelle création car elle est elle-même nouvelle création, par l’irruption du salut dans l’histoire (15) . En effet, c’est le thème du salut qui guide le théologien de Tübingen sur la voie de la création continuée : dans l’histoire humaine, Dieu ne se contente pas de préserver sa création, mais il crée la liberté, la justice et le salut. Et cette action divine ne se perçoit pas seulement dans l’histoire des hommes, mais aussi dans l’histoire de la nature : « Et tu renouvelles la face de la terre » (Ps 104.30 (16) ). Le salut est alors envisagé comme accomplissement de ce qui était présent dans la création originelle à l’état de promesse, et comme anticipation du plein accomplissement qui adviendra lors de l’avènement de la nouvelle création. La création continuée est donc à la fois « conservation du monde créé et […] préparation de son accomplissement (17) ». Moltmann ne nie donc pas la doctrine de la conservation, mais il invite à affirmer, en parallèle de l’action conservatrice , une action innovatrice de Dieu dans l’histoire humaine.
Un de ses principaux arguments est que le verbe ברא est plus employé dans le cadre de l’histoire du salut que dans le cadre de la création originelle (18) . En réalité, nous comptons 17 versets utilisant le verbe dans le contexte de la création originelle, contre 15 versets dans un contexte d’histoire du salut (19) . Mais malgré cela, l’argument de Moltmann reste légitime : le verbe ברא est utilisé de nombreuses fois en-dehors du contexte de la création originelle. Nous y reviendrons lorsque nous évaluerons la thèse de la création continuée.
Son deuxième argument trouve son fondement dans le Nouveau Testament, qui parle de la rédemption au travers du vocabulaire de la création : « on parle de la “nouvelle création” dans le Christ, de “l’Esprit qui rend vivant” et de la promesse eschatologique : “Voici, je renouvelle tout” (20) ». C’est d’ailleurs l’eschatologie qui permet de lier salut et création, et de lire l’histoire de l’univers au travers d’un schème créationnel (création originelle – création continue – nouvelle création). « L’idée de l’unité divine ne se maintient que dans la représentation d’un processus de création global, structuré et significatif. Ce processus prend son sens à partir de sa fin eschatologique (21) . » Plus précisément, c’est aussi l’eschatologie qui permet de parler de création continuée. Car en réalité, « Dieu ne crée rien de nouveau, [...] la creatio continua ne produit pas de nouvelles contingences, mais conserve la contingence de l’univers une fois créé (22) ». C’est dans le domaine de la libération et du salut que surgit du nouveau. Et ce nouveau est désigné eschatologiquement comme nouvelle création ; Moltmannen vient ainsi à parler de création pour l’action divine dans l’histoire humaine.
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