Vous allez souvent en Afrique. Pour quelles raisons ?
J’y vais pour enseigner lors de séminaires de réconciliation. J’ai été formé dans ce but au Rwanda dans l’International School Of Reconciliation (ISOR), fondée après le génocide des Tutsis de 1994. L’école a été créée par Rhiannon Lloyd, une Galloise, ancienne psychiâtre. On y enseigne la guérison des blessures dues aux conflits ethniques. Son objectif : réconcilier les ethnies, peuples, communautés… bref, toutes les composantes des sociétés à travers le monde.
Elle a également un rôle de prévention pour apporter un message de paix et de réconciliation avant qu’un conflit n’éclate.
Quel constat faites-vous sur la situation en Afrique ?
L’Afrique et les Africains ont de très profondes blessures qui datent du début de l’esclavage. S’y sont ajoutés des traumatismes collectifs, passés ou présents. On observe aussi beaucoup de blessures personnelles.
Dans la culture africaine, on ne parle pas. On garde enfouis les traumatismes et on avance tant bien que mal. Toutefois, lorsque l’occasion est donnée aux gens de parler, ils se confient. Je peux vous assurer que cela les transforme et leur redonne l’espoir d’une vie bien meilleure.
En quoi consiste un séminaire ?
Il dure de trois à cinq jours et réunit en général des personnes ou groupes ayant été, ou étant toujours, en conflit les uns avec les autres. Il est bâti à partir de l’image d’une maison qu’il faut reconstruire avec Dieu, après que l’homme l’a détruite. L’atelier se décompose en trois phases (voir ci-dessous). En tant que seul homme blanc, c’est généralement moi qui, le premier, dois demander pardon pour la responsabilité de mon pays et des blancs dans la situation africaine.
Seulement pour les Africains ?
En France, des blessures subsistent entre Allemands et Français, surtout dans l’Est, suite aux deux guerres mondiales. N’oublions pas non plus les blessures héritées de la guerre d’Algérie. Durant la crise de la Catalogne, le nom de Franco est souvent revenu, preuve que les blessures sont encore saignantes. L’arrivée des migrants dans nos contrées montre chaque jour les préjugés qui nous habitent…
Face à cet immense travail, nous ne sommes malheureusement qu’une poignée d’Européens à avoir suivi cette formation pour pouvoir l’enseigner. Et seulement deux à pouvoir former des personnes !
Seulement pour des croyants ?
Les chrétiens doivent montrer l’exemple. Mais comment peuvent-ils le faire s’ils sont eux-mêmes traumatisés ?
On n’imagine pas en France l’horreur rencontrée en certains endroits d’Afrique ! Un seul exemple : lors d’un séminaire, un pasteur du Nord-Kivu (RDC) témoignait que chaque matin, il se levait avec la boule au ventre, ne sachant pas s’il serait encore en vie le soir, lui et les habitants de son village.
D’après votre expérience, la réconciliation est-elle toujours possible ?
Oui, absolument ! Mais la guérison est impérative avant ! Quand vous voyez une personne, dont la famille a été massacrée, tomber dans les bras de l’auteur de la tuerie, vous vous dites que rien n’est impossible à Dieu. On ne ressort jamais indemne de ces ateliers, mais toujours grandi car on voit la main de Dieu.
Programme type d’un atelier
1. Les fondements bibliques (les fondations de la maison)
• Ce que Dieu voulait en nous créant
• Comment naissent et grandissent les préjugés
• La restauration de notre identité
• Le rôle essentiel de l’Église dans cette restauration
• Dieu face à la souffrance
• Dieu en tant que Père
2. Un cheminement vers la guérison (les murs de la maison)
• Le diable et son œuvre, au sein des communautés (pertes collectives)
• Les blessures de nos cœurs (pertes personnelles)
• Comment Dieu répond à nos blessures
• Un temps pour permettre aux personnes de remettre leur souffrance à Jésus devant la croix
3. Un cheminement vers la réconciliation (le toit de la maison)
• Le pardon
• La repentance
• La repentance d’identification où chacun est appelé à demander pardon pour ce que son peuple, sa communauté a fait aux autres groupes
• Un temps où chaque groupe bénit les autres groupes
• Un repas en commun