On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Le mot fascine autant qu’il fait peur. Mais on oublie de se poser la question essentielle.
De quelle intelligence parle-t-on ?
Tout au long de ma carrière, j’ai côtoyé des personnes qui avaient fait des études brillantes : ingénieurs, doctorants, chercheurs… J’en ai retiré l’impression que le mot « intelligence » est une notion plutôt vague. Ces personnes avaient réussi des tests de performance intellectuelle exigeants.
Pour autant, certaines d’entre elles avaient des réactions infantiles et se comportaient de manière stupide face à des enjeux dérisoires.
Et la sagesse dans tout ça ?
Les performances des machines impressionnent les humains depuis un moment. Au cours du 20e siècle, par exemple, les automatismes industriels et bureautiques se sont développés et ont accru l’efficacité productive de manière considérable.
Ils ont aussi pesé sur le travail humain. Ils ont engendré des chaînes de production où le travail perdait tout intérêt. Puis, ils ont éliminé une partie de l’emploi. Georges Friedmann, qui avait suivi ces évolutions de près, écrivit, vers la fin de sa vie, un livre intitulé : La puissance et la sagesse. Son constat était sans détour. Il parlait d’un déséquilibre entre la puissance acquise par l’homme et ses forces morales.
Que faisons-nous de nos connaissances ?

Depuis le début de notre siècle, nous nous sommes habitués à la puissance des moteurs de recherche. Et les algorithmes de l’intelligence artificielle sont des moteurs de recherche perfectionnés : ils passent en revue les contenus accessibles en ligne, les organisent et en produisent des synthèses. Ils peuvent nous aider à faire des choses plus rapidement. On peut, par exemple, traduire une notice explicative écrite en japonais et en comprendre l’essentiel.
Est-ce que, pour autant, tout cela nous rend nous-mêmes plus intelligents ? Nous pouvons décrypter des langues étrangères, mais nous avons de plus en plus de mal à comprendre quelqu’un d’une autre culture. Nous avons accès à des bases de connaissances immenses, mais qu’en faisons-nous ?
Notre richesse, c’est notre humanité
Ce qui fait le cœur et le sel d’une personne est sa singularité. Ces moteurs de recherche qui synthétisent les opinions moyennes ne nous en disent rien. Nous pouvons voir plus loin que nos prédécesseurs, car, comme cela se disait autrefois, nous sommes des nains montés sur des épaules de géants. Nous profitons de tout ce que les générations précédentes ont accumulé. Encore faut-il que nous mobilisions notre apport propre si nous voulons devenir autre chose, nous-mêmes, que des machines intelligentes.
Qu’est-ce qui, chez l’autre et chez moi, est ce trésor unique et inestimable ? Cela reste la grande question.