Une grande appréhension peut habiter le cœur de celui ou celle qui se trouve devant une personne endeuillée : « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire ? » C'est très précisément la question à ne pas se poser !
Tais-toi. Écoute !
Notre mission est de rencontrer la personne pour la rejoindre là où elle se trouve, et cela nécessite de se débarrasser de « ce qu'on aura à dire ». La personne a elle-même des choses difficiles à exprimer, et son désir pourrait probablement se formuler ainsi : « Ne me parle pas. Écoute plutôt ce que j'ai à partager. » Ma mission n'est pas d'apporter une solution mais d'être là, d'écouter, sans forcément ajouter quelque chose – dans un premier temps en tout cas.
Pourquoi ? Parce que la personne endeuillée n'est pas en mesure d'écouter ce qu'on a à lui dire tant qu'elle n'a pas été vraiment écoutée elle-même. Ce que je lui dirai (un témoignage, un conseil, un verset de la Bible…) sera entendu poliment, mais sera sans doute compris comme un déni de la peine. Une manière de dire : « Ce n'est pas si grave. » Or, si la personne a l'impression que c'est ce que l'on pense, sa solitude sera plus grande après qu'avant.
Ne juge pas. Comprends !
Ce que je vais entendre, c'est peut-être de la révolte : « Pourquoi moi ? Ce n'est pas juste ! Pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? »
Ce que je vais voir, c'est peut-être de l'incompréhension, des reproches, des pensées désordonnées, une sorte de marchandage. Il faut laisser la personne s'exprimer sans l'interrompre, sans la juger. Ne pas dire : « Ne pleurez pas ! » Peut-être laisser des temps de silence, sans chercher à les combler tout de suite : « Je ne peux pas comprendre parfaitement ce que tu me dis, mais je l'entends. » Ou bien poser une question qui invite à aller plus loin. Probablement, la personne sera reconnaissante qu'on ait accueilli son trouble ou sa détresse sans donner de leçon.
Ne sois pas pressé. Patiente !
Alors, le moment viendra (mais quand ?) où il sera possible de faire entendre qu'il faut simplement recommencer à avancer, même à pas lents, même sans avoir de but précis. L'important me semble être que la personne ne s'installe pas dans son deuil d'une manière statique, qu'elle comprenne que marcher n'est pas trahir celui ou celle qui l'a quittée, qu'il ne faut pas laisser la mort envahir tout l'espace. Un deuil est appelé pathologique quand le chagrin envahit la personne à tout moment ou de manière durable, paralysante. Mais, en un sens, un deuil n'est jamais totalement achevé. Une feuille froissée ne sera plus jamais intacte.
Et toi dans tout ça ?
Rencontrer une personne en deuil, c'est s'exposer à voir remonter à la surface sa propre souffrance. Ainsi, la première question que l'on doit se poser est celle-ci : « Y suis-je prêt ? Ma propre émotion est-elle suffisamment apaisée ou va-t-elle m'envahir au contact d'une personne qui vit un bouleversement profond ? Ce que je vais voir et entendre lors de cette rencontre va-t-il me ramener à ma propre histoire ? Probablement que oui. Serai-je en mesure d'être là pour cette personne et de l'accompagner vraiment ? »
Accompagner une personne en fin de vie
Je visite une personne malade à demi-allongée sur son lit. Très affaiblie, il lui reste peu de jours à vivre. Sa foi s'est affermie dans une intimité de plus en plus grande avec Dieu. Elle me confie la difficulté qu'ont ses proches à la comprendre. Elle les aime toujours, mais ses sujets de préoccupation n'ont plus grand chose à voir avec les leurs. Ils parlent de manger, de prendre des forces, de rentrer à la maison, mais elle a dépassé cela depuis longtemps. Elle n'en a plus envie. Le temps est passé. Sa perspective est tout autre. Elle est encore là, mais elle est aussi déjà partie, en un sens. Pendant que nous traînions sur le chemin, accaparés par mille distractions, elle a avancé, avancé… et elle n'est plus qu'un point à l'horizon, bientôt invisible à nos yeux. Ainsi, elle est heureuse de ces visites qu'elle reçoit, et elle les redoute en même temps. Elle a fait trop de chemin, et eux en ont trop peu fait.
Quand une personne se sait en fin de vie, son propre deuil a déjà commencé et celui de son entourage aussi. Il est différent et pas forcément plus aisé. Cette différence de niveaux est souvent la cause de profondes incompréhensions, de non-dits, de souffrances. Ses proches peuvent avoir l'impression d'un détachement qu'ils vont attribuer à de la dépression ou même à un manque d'amour.
Une juste distance entre la personne en fin de vie et nous est indispensable : se tenir trop loin peut s'apparenter à une forme de fuite ou d'abandon ; mais se tenir trop près va nuire au cheminement que chacun est appelé à assumer. Être adulte, c'est accepter d'être seul face à certaines situations de l'existence...
Accompagner une personne dans une perspective chrétienne, c'est lui proposer un « équipement spirituel » qui lui permettra d'accepter dans la foi et la communion avec Dieu une inévitable solitude, nourrie de fidélité et d'espérance.
C’est aussi rappeler que celui qui met sa confiance en Jésus-Christ sait que le dernier mot appartient à Celui qui a vaincu la mort.
Devant ma mort
Chacun de nous est confronté à cette découverte du « plus jamais » : à chaque déménagement, à l'occasion de séparations importantes, lors de prises de conscience qui se vivent aux tournants de la vie, à l'occasion de divers renoncements...
À un niveau ou un autre, nous sommes tous en train de vivre un certain processus de deuil, car la vie est en partie faite d'attachements, de séparations, et de nouveaux attachements. Chaque heure, chaque jour, chaque saison qui passent nous exposent à ce « travail ». Certains événements en apparence anodins (un poignet cassé, une parole de dénigrement...) peuvent suffire à interrompre cet élan vital et à nous faire entrer dans une « période de désert ». À combien plus forte raison, la mort.
Ainsi, plus la réalité de la mort aura été anticipée de manière saine, plus le processus de deuil pourra se vivre de manière maîtrisée.
Un moment à vivre dans la paix
La sécurité de la personne confrontée à la mort, comme la sécurité de celui qui l’accompagne, c’est de pouvoir évoquer la présence inégalable du Dieu vivant. Oui, Dieu est présent, en Jésus-Christ, pour tous ceux qui espèrent en lui. Il est présent, plus que la personne qui visite, même plus que la personne visitée.
Quelle paix quand la personne en souffrance peut dire : « Le Seigneur est mon berger. Je ne manquerai de rien. » Et aussi : « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, tu es avec moi. »
Psaumes 23