C’était en Roumanie dans les années 90. L’enfant se balançait interminablement, tandis que son petit voisin suçait son pouce les yeux dans le vide et qu’un autre se tirait les cheveux… C’était en France, aux fins fonds de l’Auvergne, il y a fort longtemps. Le vieux paysan était devenu rigide comme un bout de bois et ses pieds avaient gonflé au point de devenir énormes.
Dans le premier cas il s’agissait d’enfants placés en orphelinat ; le monde découvrait avec horreur l’intérieur des orphelinats roumains sous la dictature de Ceausescu. Pour ces enfants, les médecins parlaient de dépression anaclitique.
Dans le second cas il s’agissait d’un paysan resté seul au village, comme beaucoup d’autres, après l’exode rural. Dans ce cas, les médecins parlaient de catatonie anxieuse.
Le point commun entre ces deux groupes de personnes : le manque de relation et le sentiment d’abandon.
Un besoin fondamental de relations
Qu’on soit un bébé ou un vieillard, on a besoin de l’attention des autres, d’entendre leurs paroles et de croiser leur regard.
Quand le psychologue Taibi Kahler a été chargé par la NASA de développer une méthode pour favoriser la cohésion des équipes dans les navettes spatiales. Ses travaux lui ont montré quepour diminuer le stress des astronautes, il fallait qu’ils apprennent à nourrir leurs besoins psychologiques et ceux de leurs coéquipiers. Il en a déterminé huit. Parmi ceux-ci, la moitié étaient liés à la relation avec les autres : le besoin de contacts réguliers avec ses semblables, le besoin d’être félicité pour son travail, le besoin d’échanger des opinions, le besoin d’être accepté en tant que personne, autrement dit d’être aimé. Quand ces besoins ne sont pas satisfaits, le stress s’installe dans la navette, dans le bureau ou dans la famille.
L’importance des marques d’attention
L’analyse transactionnelle a développé le concept intéressant de « stroke ». Ce mot anglais a deux sens : caresse et coup. Il est souvent traduit par « signe de reconnaissance ». L’idée est que nous avons besoin de marques d’attention positives, et cela quotidiennement. Du simple « bonjour » au compliment sincère ou à l’entretien amical, nous avons besoin de nous nourrir psychologiquement avec des marques d’attention positives de la part de nos interlocuteurs. Par contre, si nous n’en avons pas assez, ou pas du tout, nous risquons d’en chercher de négatives (d’où le deuxième sens du mot « stroke »).
On en a un exemple avec ces personnes qui râlent toute la journée ou ces couples qui se chipotent sans arrêt… Chercher des signes de reconnaissance négatifs, quand on n’en a pas de positifs, est un moyen d’éviter l’indifférence et le déni de la relation.
Des « gestes » nécessaires à notre équilibre
Le confinement dû à la pandémie de la Covid-19 nous a fait prendre conscience de notre besoin de signes de reconnaissance. Ce petit « bonjour » chez le boulanger, ces poignées de main avec le voisin, les banalités échangées avec le coiffeur, tout cela nous a manqué. Et que dire de ces grands-parents qui ne pouvaient plus embrasser leurs petits-enfants ?
Chaque matin notre « besace à strokes » était vide. Il fallait la remplir pour nous sentir mieux : téléphoner, faire un Skype, faire quelques courses au supermarché, ou applaudir avec ses voisins le personnel médical chaque soir.
Nous avons aussi pensé à toutes ces personnes que nous connaissions et à qui nous n'avions jamais le temps de téléphoner, et nous avons trouvé le temps de le faire. Et nous nous sommes dit en raccrochant, que ce serait quand même bien de se voir, de se faire un apéro ensemble ou un bon repas quand tout serait terminé. On nous parlait du monde d’après, mais nous nous sommes dit que le monde d’avant était quand même agréable : flâner dans un magasin, essayer trois paires de chaussures différentes, manger au resto ou simplement boire une bière ou un Coca-Cola à la terrasse d’un café…
La relation, c’est la vie
On peut tomber malade, voire mourir, du manque de relations comme l’ont montré les travaux du Docteur Spitz sur l’hospitalisme. Ce psychanalyste avait compris, dans la première moitié du 20e siècle, que si les enfants dans les hospices avaient des comportements régressifs, voire se laissaient mourir, ce n’était pas parce que leurs parents étaient dégénérés, mais au contraire parce qu’on les avait privés de leur mère. Le personnel médical s’occupait bien d’un bébé, mais de façon automatique, alors qu’une maman lui fait des bisous et des câlins. Ce changement d’attitude faisait toute la différence entre la santé et la dépression.
Si l’on peut tomber malade du manque d’attention, on peut aussi guérir et renaître, grâce à de nouvelles relations. Ce fut le cas pour beaucoup de ces enfants abandonnés et remis dans un milieu sécure et chaleureux. La vie a repris, la santé est revenue, l’abattement a disparu.
Des relations à plusieurs niveaux
Au Cameroun, on peut venir chez quelqu’un à l’improviste, et même à l’heure du repas pour se faire inviter. Ce serait plus délicat en France.
Au sein d’une même culture, les codes changent en fonction du type de relation entre les personnes ; un copain n’est pas un ami, un voisin n’est pas un membre de la famille, un collègue de travail n’est pas un frère.
Notre relation est différente au sein de notre propre famille, avec nos parents, nos enfants, nos frères et sœurs. Nous ne nous comportons pas de la même manière avec chacun d’entre eux.
Dans tous les cas, nous avons besoin de relations sociales pour vivre. Jean-Paul Sartre disait : « L’enfer, c’est les autres », mais la Bible dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. »