C’est un boîtier nomade qui nous accompagne partout. Sans lui, nous nous sentons l’ombre de nous-mêmes, démunis, privés de contacts et donc de vie. Sans lui, nous avons la sensation affolante d’être comme l’astronaute qui a rompu le lien avec le vaisseau spatial : nous voguons seuls dans l’effroyable vide abyssal. Deux auteurs poussent à l’extrême cette addiction récente et implacable aux smartphones.
« Secouez la neige »
Alain Rémond, journaliste à La Croix (1) nous offre une satire pour illustrer le fait que le numérique et son utilisation peuvent être vécus « comme tiers séparateurs » (2).
Un exemple parmi d’autres : Jérôme et Brigitte vivent le parfait amour depuis six ans. Mais lorsque Brigitte aperçoit un sms d’amour d’une certaine Sophie sur le portable de Jérôme, tout bascule alors qu’il prétend ne pas la connaître. Brigitte le quitte sans écouter ses explications et Jérôme, incrédule, ne cesse de se demander comment une telle absurdité a pu mettre fin à leur relation.
D’autres exemples ? Le repas familial les yeux rivés sur le téléphone, Facebook dans le train sans plus parler à personne, une dernière partie en ligne au lieu d’aller se coucher en même temps que son conjoint…
« Scarlett et Novak »
Alain Damasio (3), auteur de science-fiction, nous offre un roman pour ados. Mais c’est en réalité un petit conte philosophique, court, efficace et très dérangeant. Le poème en fin d’ouvrage est très juste :
« Tu surfes sur les sites
L’iris éteint, rétine absente.
T’as 50 fenêtres ouvertes mais ton cœur se referme.
Une vie passée à caresser une vitre
gavé d’images qui ne te prendront jamais dans leurs bras...
T’as tous les sons du monde dans ton casque.
Mais t’entends pas ta fille quand elle te dit “papa…”
Au fond tu vis dans 10 cm sur 5... »
On a du mal aussi à croire à la subite conversion de Novak au monde sensible. L’auteur est sans doute piégé par son format zapping. En réalité, ouvrir les yeux ne suffit pas pour avoir la volonté de changer. Se transformer durablement peut prendre du temps. Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut accepter de se faire aider.
En question
Il faut le reconnaître : ces deux auteurs n’instruisent le dossier qu’à charge. Pour être plus juste, il faudrait sans doute chercher à savoir si les smartphones rendent les humains de moins en moins intelligents, ou si ceux-ci arrivent à développer en compensation d’autres formes d’intelligence ou de compétences.