Il y a au moins une bonne nouvelle en France dans ces temps de doutes, d’incertitudes et d’espoirs déçus : le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, est revenu sur certaines mesures idéologiques qui nous éloignaient toujours plus de la triade salvatrice : Lire – Écrire – Compter. Quand on manque de ces bases-là, même si on a accumulé tout un tas de savoirs-gadgets, il est inutile d’apprendre d’autres langues si l'on n’est pas capable de parler et d’écrire celle de son propre pays.
Françafricophonie
C’est un fait que la France va mal sur le plan linguistique, et ce n’est pas d’hier que j’ai remarqué que les plus ardents défenseurs de la langue française sont les francophones non-hexagonaux, notamment les Africains noirs. Je me souviens également de micro-trottoirs enregistrés en Tunisie au moment du Printemps arabe : les Tunisiens interrogés parlaient un français impeccable et se réjouissaient de bientôt pouvoir acheter le Canard Enchaîné (d’ailleurs à peu près inégalable sur la qualité du français). Or, sur le territoire français, il n’y a pratiquement pas un « beur », ni même pratiquement pas un Français né de parents français, capable de maîtriser aussi bien notre langue. On pourrait a contrario citer l’auteur algérien Kamel Daoud qui s’est appris le français quasiment tout seul, et qui est un régal à lire et à ouïr.
Un symptôme de ce mal, c’est l’illettrisme qui saccage les bandes-annonces et les sous-titres des chaînes d’info télévisées. Amis de l’orthographe, préférez la radio si vous ne voulez pas être heurtés sans pouvoir réagir.
La liberté par la langue
Plusieurs auteurs ont fait remarquer que moins l’expression passe par le langage, plus elle passe par la violence. Il y a quelque chose de suspect dans l’organisation du mauvais apprentissage du français en France, comme si des forces ou des personnages obscurs voulaient créer des masses impuissantes à penser, à s’exprimer, à se défendre. Lorsque le père Wresinski, fondateur d’ATD-Quart-Monde, installait dans les zones les plus déshéritées une bibliothèque, ou lorsque le Parti Communiste contribuait à la formation des ouvriers, ils faisaient une œuvre révolutionnaire dont l’esprit s’est largement perdu. Faut-il rappeler qu’il y a cinq cents ans, ce sont les fondateurs du protestantisme qui développèrent l’apprentissage de la lecture auprès des garçons et des filles ? Pourquoi le faisaient-ils ? Parce que chacun devait conquérir la liberté d’avoir personnellement accès à la Parole de Dieu, à la Bible. Une autre liberté allait découler de celle-là : la démocratie.
Il faut donc plaider résolument pour que nos enfants bénéficient d’un enseignement méthodique et opiniâtre de la langue française par des instituteurs qui sachent eux-mêmes correctement le français, sans aller (je l’ai vu) ajouter une faute sur un mot qu’une élève avait écrit juste...
Et en Belgique ?
Les francophones de Belgique perdent-ils leur français ? Aucune enquête sur l’analphabétisme en fédération Wallonie-Bruxelles n’a été menée mais, en 2013, les spécialistes estimaient qu’environ 650.000 personnes de plus de 15 ans (sur 4 millions d’habitants) connaissent des difficultés avec le lire-écrire, ce que corroborent beaucoup de professeurs du secondaire (lycée pour les Français).
Quand une association comme Lire et écrire définit l’alphabétisation comme « acquérir des outils pour comprendre le monde et y agir socialement, culturellement, politiquement », il y a de quoi se poser des questions sur l’état de notre société face à l’appauvrissement du langage.