La croix est aux Romains ce que la guillotine est aux Français : un instrument de mort pour exécuter la peine capitale. Et pourtant c’est elle qui deviendra le symbole universel de la chrétienté, tout comme le croissant l’est pour l’Islam et l’étoile de David pour le Judaïsme. La croix s’est imposée au détriment du symbole bien plus antique qu’est le poisson(1) Symbole du mystère de Pâques, la croix rappelle bien évidemment la mort du Christ mais aussi sa résurrection : elle est vide, comme le tombeau pascal. Mais l’adoption de ce symbole par la chrétienté n’est pas forcément fidèle à la réalité qui fonde le Christianisme.
Objet de supplice
Il ne serait jamais venu à l’esprit des chrétiens des premiers siècles de faire de la croix leur signe distinctif. Si elle a été d’abord l’instrument du supplice du Christ, de nombreux chrétiens sont eux aussi morts crucifiés pendant le temps des persécutions. Difficile dans ce cas d’en faire un symbole de vie et de victoire. Ceci explique aussi pourquoi il nous est impossible de la décrire aujourd’hui avec précision (cf. question 2). Le « poisson » était en temps de persécution un signe de reconnaissance bien plus discret. Il faisait écho à plusieurs récits des Évangiles(2).
Vénération de la croix
Il faut attendre le Vème siècle pour en trouver quelques représentations. La légende rapporte que l’empereur Constantin a eu la vision de la croix comme signe de victoire. Il adoptera ce signe comme étendard. C’est aussi à la même époque que remonte la fête de l’inventio crucis qui célèbre le fait d’avoir « retrouvé » la « vraie » croix du Christ à Jérusalem. La croix fixée dans sa forme latine va devenir objet d’adoration. Cette vénération va être confortée par l’introduction du « signe de la croix » auquel sera conféré une véritable efficacité.
La piété liée à la croix ne concerne pas la mort du Christ (Vendredi Saint), mais sa résurrection (Pâques) : c’est un signe de victoire sur la mort. Elle orne les caveaux comme pour dire l’espérance de la résurrection. C’est au XIIème et XIIIème siècle qu’apparaissent, sous l’impulsion des Franciscains, les crucifix avec le Christ souffrant. À partir de ce moment, l’accent va porter sur la Passion et trouvera son apogée au XVème siècle. Le Retable d'Issenheim en est l’illustration la plus frappante. Au XVIème siècle la Réforme prendra ses distances avec l’adoration de la croix, adoptant d’ailleurs au XVIIème siècle un autre symbole (la croix huguenote). Plusieurs pasteurs ont refusé l’introduction de croix dans les temples quand le protestantisme a été à nouveau autorisé au XIXème siècle. Ils lui préféraient le symbole de la Bible sur les frontons et sur les tables de communion.
Celui qui porte sa croix
Il n’est pas rare de nos jours que la croix soit offerte ou portée comme s’il s’agissait d’un simple gri-gri protégeant du malheur. La loi française qui interdit maintenant son port « ostentatoire » en milieu scolaire rappelle que la croix a un sens bien identifié. Elle est symbole d’une foi qui s’affiche. En son temps Jésus disait aux responsables religieux : « Quel malheur pour vous, maîtres de la loi et Pharisiens, quand vous êtes des hommes faux ! Vous ressemblez à des tombes peintes en blanc. À l’extérieur, elles ont l’air belles. Mais à l’intérieur, elles sont remplies d’os des morts et de toutes sortes de choses pourries. De la même façon, à l’extérieur, devant les gens, vous avez l’air d’obéir à Dieu, mais à l’intérieur, vous êtes pleins de mensonge et de mal »(3).
Porter sa croix, c’est d’abord une démarche intérieure.