Mars 2013. En France, une affaire défraie la chronique et passionne l’opinion publique. Les médias et les politiques s’en donnent à cœur joie. Tout le monde y va de sa réponse et de son indignation… Mais quelle est la question au juste ? Elle est celle de savoir si une crèche privée, arguant du principe de laïcité, est en droit de licencier une de ses éducatrices, de confession musulmane, en raison de son refus d’enlever son voile au travail. L’affaire « Baby Loup » est lancée.
Alors que la Cour de cassation annule le licenciement, jugé discriminatoire, précisant au passage que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. [Ce principe] ne peut dès lors être invoqué pour priver [les salariés] de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail », les partisans d’une laïcité musclée montent au créneau. Que n’a-t-on pas commis un crime de lèse-laïcité en permettant à une simple croyante de vivre sa religion dans l’espace de la vie sociale ?!... Manuel Valls, ministre de la République, marque le coup en décorant la directrice de la crèche en question.
Droit dans ses bottes républicaines, il déclarera, solennel : « Chère Madame, la justice vous déboute, mais moi, ministre, je vous récompense et vous félicite… ». Joyeuse confusion. Triste réalité.
Depuis, la question de la laïcité ne cesse d’alimenter l’actualité, de plus en plus chaude en la matière. La crispation est palpable. Port des signes religieux, prières dans la rue, questions de la célébration des fêtes religieuses et des menus dans les cantines, crèches de Noël, polémique autour de la question du genre, charte de la laïcité à l’école pour bien « cadrer les choses », éviction des religieux du Comité Consultatif National d’Éthique… La tendance générale est à l’évacuation du religieux de l’espace visible. Pudeur prudente, par motif de laïcité. La religion hors du champ social ou cachez ce saint que je ne saurais voir…
Michel Onfray dans son brûlot contre la religion exprime ainsi l’air du temps :
« La laïcité se bat pour permettre à chacun de penser ce qu’il veut, de croire à son dieu, pourvu qu’il n’en fasse pas état publiquement(1) ».
Pour autant, la laïcité, est-ce cela ? Est-elle cette injonction à la discrétion religieuse ? Ou la foi en mode « rase-mottes », comme un vestige honteux d’un passé que l’on ne pourrait se permettre que dans l’intimité. Ou alors, dans l’entre-soi, entre initiés. Précautionneusement protégés du regard de la modernité par les quatre murs d’une église ou encore d’une mosquée.
Que votre foi demeure cachée, alors elle sera bien vue… Pourrait être le credo de cette nouvelle laïcité, dévoyée. Comme un appel à la conformité, à une vie lissée. Culture de la peur de l’autre et invitation au déguisement de soi.
Mais qu’il est loin, précisément, l’esprit de la laïcité des origines, celle de 1905. Celle de ces hommes et de ces femmes qui se sont battus, sur un chemin d’apaisement, pour l’expression de nos libertés essentielles. Liberté de croire, ou de ne pas croire. Liberté de le dire dans tous les cas et de vivre en conséquence. Être soi simplement, sans crainte du regard social ou du contrôle de la police de la pensée et des mœurs. Un combat mené « pour ne pas laisser diviser celles et ceux qui luttent, celles et ceux qui espèrent, celles et ceux qui ont le même intérêt à voir changer les choses(2) ». À la suite des événements des 7 et 8 janvier 2015, il y a là un chantier urgent à travailler, celui de refonder notre pacte social autour des libertés de chacun. Dans le respect dû à chacun.
C’est à la réappropriation courageuse de cet espace de liberté, condition d’un vivre ensemble authentique et pacifié, à la redécouverte d’une laïcité bien comprise et bien vécue, que nous aimerions vous convier dans les pages qui suivent.
Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 10 décembre 1948)
Article 18 : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplisse- ment des rites.
Article 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.