Nous avons ouvert notre chapitre introductif sur les difficultés posées en France par l’affaire « Baby Loup », et les questions suscitées par elle : quelle place pour le vécu de la foi au travail ? Faut-il, comme plusieurs inclineraient à le penser, « sanctuariser » l’espace du travail en évacuant toute expression religieuse de son sein ? Ou, au nom d’une défense bien comprise des libertés fondamentales, permettre à chacun d’être soi sur son lieu professionnel… Considérant tout de même que nous y sommes présents pour l’essentiel de notre temps ! Autrement dit, à quoi sommes-nous autorisés en matière d’expression religieuse au travail ?
Ce chapitre visera, sur le terrain spécifique du droit français (en espérant que nos lecteurs étrangers trouveront du profit à lire ces quelques lignes), à y voir plus clair quant à nos droits et à nos devoirs fondamentaux sur le sujet.
La même question demeure au final : comment gérer la diversité des croyances et des appartenances lorsque nous sommes appelés à vivre ensemble et, en l’espèce, à travailler sur un même lieu et au service d’une mission commune ? Ou pour dire les choses autrement, comment jouer le « jeu collectif » au boulot sans pour autant renoncer à ses convictions essentielles ? L’affaire n’est pas mince.
Pour répondre à ces questions, il faudra d’abord distinguer entre les différents contextes professionnels. Selon que vous serez salarié du secteur privé ou fonctionnaire de l’État, la donne ne sera pas la même. Dans tous les cas, ce qui est clair, quels que soient le lieu et les modalités d’exercice de votre profession : la Loi protège votre liberté de conscience et vous garantit contre toute discrimination en raison de vos convictions religieuses, philosophiques, politiques(1)... Que ce soit à l’embauche ou dans l’exercice de votre profession. Le droit est pour vous en la matière. Affirmons-le. Mais celui-ci permet dans le même temps un certain nombre de restrictions ou d’aménagements légitimes quant à l’expression de vos convictions. Ces limites demeurent néanmoins strictement encadrées par la Loi. Ainsi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dispose en son article 9(2) que « les limites posées à la liberté de conscience et d’expression doivent être à la fois prévues par la loi, mais encore être jugées nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou encore à la protection des droits et libertés d’autrui ». Autrement dit, l’employeur ne peut pas priver de manière arbitraire un salarié de ses libertés de conscience et d’expression. Il faut que cela soit justifié au regard d’un principe impératif, jugé supérieur (la sécurité, la santé, la liberté d’un tiers…). Et que l’on puisse objectivement et factuellement argumenter dans ce sens.
La laïcité dans le secteur privé
L’observatoire de la laïcité dans son guide 2013 sur l’item de la « gestion du fait religieux dans l’entreprise privée » exprime le défi de la question religieuse au travail en ces termes :
« Dans le cadre de l’entreprise privée, la prise en compte de la manifestation des convictions en matière religieuse par le salarié suppose de trouver un équilibre entre cette liberté, la liberté des autres et la bonne marche de l’entreprise(3) ».
Ainsi, en droit, le principe de la liberté religieuse est prioritaire dans le cadre de l’activité professionnelle. Le salarié n’est pas censé laisser à la porte de son entreprise ses convictions profondes. Il vient et vit avec. Néanmoins le Code du travail permet un certain nombre de restrictions aux libertés des salariés, apportées dans...