Introduction
Pour introduire le sujet, que je pense présenter assez brièvement, je voudrais lire quelques versets de l'Écriture Sainte dans Tite 2.11-14 :
"La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, a été manifestée. Elle nous enseigne à renoncer à l'impiété, aux désirs de ce monde, et à vivre dans le siècle présent d'une manière sensée, juste et pieuse, en attendant la bienheureuse espérance et la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus. Il s'est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité et de se faire un peuple qui lui appartienne, purifié par lui et zélé pour les œuvres bonnes."
L'Église n'est pas une idée platonicienne. Dans le titre de mon exposé, le mot "Essence" pourrait suggérer de telles idées platoniciennes. Mais, dans le temps qui est le nôtre, le temps entre le Temps, l'Église est une réalité concrète. Elle réalise concrètement les effets de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Sous une forme sociale, en pleine pâte humaine, au milieu des institutions et de toutes les expressions de la vie commune.
L'Église n'intéresse pas, comme telle, la seule théologie. Elle intéresse simultanément la sociologie. (Parmi mes lectures récentes, une m'a vivement stimulé : l'Essai de sociologie de l'Église primitive de Derek Tedball).
Pour mieux nous rappeler cette dimension corporelle, concrète de l'Église, traiter de l'essence de l'Église comme je le fais dans mon cours d'Ecclésiologie. Je ne vais pas adopter une méthode scolastique : je vais plutôt adopter une méthode descriptive guidée par des métaphores. Un autre avantage de cette méthode est d'éviter les vieilles controverses d'ecclésiologie. La collaboration au sein de l'Alliance Évangélique a exigé la relativisation à l'égard de ces vieilles controverses, sans justifier l'indifférence à leur égard. Et je pense plus approprié à notre rassemblement de ne pas revenir sur ces vieux débats.
D'autre part, la méthode que j'adopte a un autre avantage : elle rapproche notre recherche du thème central de ce Congrès, celui du "Renouvellement de l'Église".
Pour mieux m'en tenir, dans une première étape, à la neutralité descriptive, je ne recourrai pas aux métaphores bibliques, car en tant que bibliques, elles ont toujours pour nous une dimension normative. J'en choisirai donc d'autres, non bibliques.
Mais, en même temps, je ne serai pas capable de museler en moi le théologien, – je suis théologien.
Dans un deuxième temps, j'apporterai quand même quelques commentaires sur les variétés ecclésiales observables, sur la légitimité et sur les carences des divers types dont je vais parler.
Ceux qui trouveraient que je n'en dirais pas assez, d'un point de vue théologique, je peux les renvoyer aux travaux récemment publiés sous l'égide de l'Alliance Évangélique Universelle sous la direction, en particulier, du professeur Donald Carson.
Encore une précision préliminaire : j'aurai à l'esprit, exclusivement ou presque, les Églises que je connais, c'est-à-dire les Églises occidentales.
Dans la diversité des physionomies ecclésiales aujourd'hui, on pourrait distinguer beaucoup de nuances : mais en me servant de métaphores hardies, comme je l'ai dis, je vais distinguer seulement sept types principaux.
L'Église en notre vieille Europe ressemble parfois à un musée. C'est le premier modèle. L'architecture de son local, son mobilier, sa décoration, la Bible ouverte sur la table, sont autant de vestiges du temps jadis. Quand au comportement des rares personnes qui lui sont fidèles (et ce sont rarement les adolescents), on dirait le conservatoire des "mœurs disparues".
Ce type d'Église attire cependant des hommes et des femmes : ceux qui sont sensibles au mal du déracinement dans notre civilisation : ceux qui cherchent à revaloriser la mémoire. Mais le grand nombre de concitoyens alentour voit dans l'apparence de cette église la confirmation de ce qu'il pense déjà : le christianisme est un fait culturel périmé !
Le deuxième modèle a plus de vigueur et de rayonnement : c'est celui du théâtre. Il me semble qu'on peut en distinguer deux versions différentes :
* Certaines églises font penser à un théâtre proche de l'opéra. Le principal semble résider dans le déroulement de rites fastueux ou austères, mais parfaitement réglés. L'ambiance est solennelle, la qualité est classique, le goût celui de l'élite. L'émotion religieuse, bien qu'elle soit assez retenue, n'est pas moins profonde pour autant.
*L'autre version ressemble plutôt au show-business moderne. Elle propose aussi du spectacle, mais dans des styles moins traditionnels. L'orgue est électronique. Le phénomène du vedettariat n'est pas inconnu. L'attrait de ce type d'église pour les non-croyants est assez considérable. La foule, la croissance numérique, sont souvent au rendez-vous. En général, une prédication-interpellation percutante figure au programme du spectacle offert.
Assez proche du deuxième type, mais assez différente, l'église happening. "Happening" orchestré ou orchestral si vous voulez. (happening qui ressemble à un orchestre). L'ambiance chaude compte beaucoup. Elle est moins produite par la maîtrise d'organisateurs compétents, artistes ou techniciens comme dans le show-business, mais plutôt, dans ce troisième type, par la participation de beaucoup dans un imprévu subtilement contrôlé. La distinction entre les vedettes et le public s'estompe. L'important est qu'il se produise quelque chose. On a parlé de "sérendipité sacrée". Quand j'ai trouvé ce mot la première fois dans un livre, je ne l'ai pas compris. Je n'ai rien trouvé dans le dictionnaire, mais j'ai demandé à un ami anglais : le mot vient du conte, bien connu en Angleterre, du prince de Serendip. Pour ce prince de Serendip, les choses tournaient toujours autrement qu'on l'avait prévu. Dans l'église "happening", il y a une atmosphère de "sérendipité". On ne sait pas ce qui va arriver, mais on attend, on attend ! Les chants et la musique y jouent un rôle important sur un mode spontané et répétitif. La parole a beaucoup de place, mais dite de façon très diverses par des participants différents. L'accent porte sur la communication surnaturelle directe. D'autres dons permettant l'événement s'y associent. On considère le foisonnement comme une manifestation de la vie.
Quatrième type : l'église restaurant. Ou on peut élargir : "entreprise de services : restaurant et plus largement". Elle se compare aussi à l'église "théâtre" dans sa version show-business. Le point commun, c'est la place de l'organisation. La place du management, même du "merchandising", des techniques modernes, et de l'offre au public d'un produit susceptible de l'intéresser. Seulement l'offre, à la différence du théâtre, ne concerne plus tellement la dimension du spectacle. L'église de ce quatrième modèle propose une variété de "nourritures" : nourritures spirituelles, sociales, psychologiques, enseignements, activités de groupes (jeunes, femmes, hommes, anciens, conseils personnels, conseils conjugaux, etc.). Il arrive que ce type évolue vers le modèle d'un "centre de secours social". Cette église met à disposition des spécialistes, sous la direction d'un pasteur qui doit savoir gérer une entreprise complexe.
Cinquième type : l'église université. Elle se concentre d'avantage sur un service qu'elle remplit excellemment : celui de l'enseignement de la Parole. Elle se situe dans le sillage de la Réforme Magistérielle (des grands réformateurs). Elle met au centre l'enseignement de la vérité scripturaire par le moyen de sermons didactiques. L'auditoire que forme les membres de cette église peut être nombreux de nos jours encore. Pourvu que l'enseignant possède un don remarquable et sache communiquer le message de façon à éduquer, de même qu'à nourrir : le genre de don qu'illustrerait notre frère John Stott.
Le sixième modèle est celui du cocon affectif : y prédomine l'accueil mutuel, les liens chaleureux. Tantôt on va dans l'imbrication de liens très divers, comme dans une famille, tantôt il y a plus de sélectivité (moins de différences entre les membres) et c'est l'image d'un "club amical" qui convient mieux. Parfois, quand une large part est faite aux soins des victimes, des gens meurtris, paumés, on pense alors à une église "clinique". Le sentiment d'appartenance est de toute façon très fort. Et le double mot-d'ordre est, en anglais "sharing and caring". Chacun se rend vulnérable à l'autre, et s'intéresse à lui.
Vient enfin, septième et dernier modèle dans ma liste, l'église base de commando. Ce type, assez répandu, met l'accent sur l'action que les membres doivent démontrer, déployer au dehors. Tous les membres sont des militants. L'église est d'abord le lieu de leur formation, de leur entraînement et ensuite le lieu de leur réapprovisionnement en vivres et en munitions. L'église existe pour la mission dans le monde, et elle se le répète sans se lasser. Le plus souvent, la mission qui mobilise les commandos du Seigneur, c'est la mission d'évangéliser. Et je souligne que l'enthousiasme sociopolitique produit des types d'églises assez semblables.
Je suis sans doute tombé dans la caricature. Mais la caricature est bien utile pour piquer l'attention et pour faire ressortir les modèles. J'y ai recouru sans intention de disqualifier aucun des modèles en cause. En réalité, j'estime qu'ils peuvent tous faire valoir des arguments scripturaires en leur faveur (tous !).
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