Voici deux livres qui paraissent en même temps sous la plume de notre ami Sébastien Fath et qui traitent à peu près du même sujet sous des angles différents : la situation des évangéliques aux États-Unis, dans leur diversité, et leur lien avec l’actualité et plus largement le pouvoir politique. On pourrait d’ailleurs parler de trilogie en ajoutant le livre précédent du même auteur : Billy Graham, pape protestant ?
On retrouve dans ces ouvrages la « patte » de Sébastien Fath. Ils sont agréables et faciles à lire pour le grand public et en même temps on sent l’historien mâtiné de sociologue qui sait aborder de façon scientifique ce sujet qui provoque tant de passions. Et contrairement à bien des livres qui paraissent aujourd’hui, il connaît la culture américaine et la réalité des évangéliques dans leur grande variété. Nous pouvons en être reconnaissants au moment où l’actualité du monde et les discours du président des États-Unis poussent les français à considérer les évangéliques comme « la secte qui rêve de conquérir le monde ».
Le premier de ces deux livres est une passionnante étude sur les courants évangéliques et fondamentalistes des États du Sud des États-Unis. On en découvrira à la fois l’enracinement historique et la variété actuelle. Non seulement S. Fath distingue avec justesse et précision le courant évangélique modéré du courant fondamentaliste, mais encore esquisse cinq types différents de fondamentalismes. Les rapports de ces courants avec la ségrégation, puis la déségrégation sont également passionnants. Si le journaliste ou le simple lecteur qui cherchent à comprendre certains aspects à ses yeux exotiques de la réalité américaine doivent lire ce livre, l’évangélique européen y découvrira lui-aussi bien des choses. Car nous sommes là à la source d’un courant qui a influencé largement l’ensemble du « monde évangélique » et que l’on ne connaît la plupart du temps qu’assez partiellement.
Le deuxième ouvrage est, comme l’indique son sous-titre, une étude sur la religion de la Maison-Blanche, c’est à dire sur la place du religieux dans la politique américaine actuelle. Cette question semble passionner et inquiéter nombre de commentateurs français habitués à notre conception de la laïcité. Là encore, il y a beaucoup à apprendre du travail accompli par l’auteur. Il commence par rappeler la situation religieuse des États-Unis, la place que tiennent les divers courants évangéliques et, bien sûr leur implication dans la politique. Il n’est pas étonnant que, sur ces questions, les deux ouvrages se recoupent parfois. Mais la suite est plus radicalement nouvelle. S. Fath va décrire la relation qui existe entre l’actuel locataire de la Maison-Blanche, les équipes au pouvoir et les divers courants de la droite religieuse. On s’aperçoit vite que les choses sont plus complexes que beaucoup, de part et d’autres, ne le souhaiteraient. Il semble ainsi que l’attitude de George W. Bush soit à la fois sincère et politiquement pragmatique aussi éloignée de l’image du roi chrétien rêvé par certains que du pur machiavel soupçonné par d’autres. L’attitude des Églises chrétiennes a été généralement opposée aux projets de la guerre en Irak, et les évangéliques eux-mêmes ont eu des positions variées. Mais l’auteur va plus loin et s’intéresse aussi aux néoconservateurs qui entourent et conseillent le président. Ils représentent une philosophie politique précise et combattante, en fait très éloignée des espérances et des principes de la droite évangélique. La droite chrétienne est-elle manipulatrice ou simplement manipulée comme « allié objectif » - comme on disait autrefois - et un réservoir de voix ? Derrière la religion civile américaine que les européens ont tant de mal à comprendre, verrait-on poindre une religion nouvelle que l’auteur discerne également à travers la production cinématographique américaine et qui ferait de l’Amérique elle-même le nouveau messie destiné à sauver et sans doute à gouverner la planète ?
Il est clair que dans ce livre, Sébastien Fath sort parfois de la neutralité du socio-historien et présente une thèse qui pourra être trouvée discutable. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on s’attaque à un sujet aussi brûlant ?
Il faut lire ces ouvrages pour plusieurs raisons. D’abord ils nous informent sur une question qui nous concerne que nous le voulions ou non. Car c’est aujourd’hui à travers leur vision -généralement faussée - de la situation américaine que beaucoup de nos contemporains jugent les Églises évangéliques dans leur ensemble. Si l’on veut souligner la complexité de la question, encore faut-il être informé et ces deux livres sont, à cet égard, irremplaçables. Mais, comme l’était déjà partiellement le livre précédent sur Billy Graham, ils sont aussi une excellente leçon sur la relation qui existe entre les Églises et la politique. Derrière la situation des États-Unis, c’est un problème plus général qui est posé. Cet examen à la loupe d’un point particulier de l’histoire pose des questions qui vont beaucoup plus loin et qui sont essentielles dès que l’on s’intéresse à la place de la foi et des Églises dans une société.