Quand on m’a sollicité pour participer à une session de l’École Pastorale j’ai demandé quelques précisions avant d’accepter. N’ayant jamais eu l’occasion d’assister à une session je ne savais pas comment cela se passait. L'invitation comprenait une intervention à «la soirée ‘Carte blanche’»! Ma première question était: «Blanche pour qui? Les auditeurs ou l’orateur?» Voici la réponse que j’ai reçue:
«Elle est blanche pour l’orateur… et elle lui donne l’occasion de témoigner de son expérience, de nous dire comment il s’y prendrait s’il devait recommencer, de nous confier ses craintes et ses espoirs d’avenir du ministère, de nous suggérer quelques pistes de réflexion ou d’action, de nous proposer quelques priorités, etc. C’est une intervention beaucoup plus personnelle que toutes les autres!»
Cette intervention est donc censée être personnelle, davantage un témoignage qu’un cours. Cela m’arrange bien parce je serais incapable de faire un cours. Je suis toujours impressionné par ceux qui écrivent des livres: pour écrire un livre il faut savoir des choses, avoir un savoir-faire ou une connaissance qu’il vaut la peine de transmettre aux autres. Or, au fil des années dans le ministère pastoral, je me rendais compte que plus j’avançais moins je savais faire. Ou plutôt, plus j’avançais plus je prenais conscience que je ne savais pas faire. On ne maîtrisera jamais le métier de pasteur comme on peut, peut-être maîtriser d’autres disciplines. Le livre «Comment être pasteur pour les nuls» ou «Transformer votre ministère en cinq leçons», ce n’est pas moi qui vais l’écrire! Je devais prêcher il y a quelques jours dans l’Église dont je suis membre depuis que je suis à la retraite. J’ai préparé mon message, j’ai prêché, mais c’était un de ces dimanches «sans»! Je me suis dit que j’aurais mieux fait de me taire. Tout cela pour dire que je ne vais pas faire un cours. J’apporte simplement le témoignage d’un jeune retraité dans l’espoir que cela vous encourage à poursuivre la route.
Je suis né en Angleterre. Je me suis «converti» – le mot n’est peut-être pas très heureux mais il y avait une réelle décision dans ma vie – lors d’une campagne d’évangélisation avec Billy Graham, c’était, je pense, en 1954 à l’âge de 10 ans. Lorsque j’avais 12 ans mes parents sont partis au Kenya comme missionnaires. C’est donc au Kenya que j’ai passé mon adolescence. Je suis rentré en Angleterre pour aller à la fac où j’ai étudié les mathématiques. J’étais membre actif des Groupes Bibliques Universitaires de ma fac et, en la quittant, les GBU m’ont sollicité pour travailler comme «secrétaire itinérant» au nord de l’Angleterre. C’était ma première expérience d’un travail qui rejoint certains aspects du ministère pastoral. Je me suis vite rendu compte que je n’étais pas équipé pour la tâche qui m’était confiée! Je n’avais aucune formation théologique et très peu d’expérience quel que soit le domaine! Il a fallu travailler, apprendre… et rester très humble. Ces années, souvent difficiles, ont été formatrices. J’ai eu le privilège de travailler avec les conférenciers, des hommes de Dieu remarquables, lors d’efforts d’évangélisation que les étudiants organisaient dans les facs. C’est ainsi que j’ai connu, entre autres, John Stott dont la personne et ensuite les livres m’ont beaucoup marqué.
Quittant les GBU, j’ai travaillé quelques années comme prof de maths avant de traverser la Manche pour suivre des cours à l’Institut Biblique de Nogent. Une série de coïncidences avait fait que l’Église dont j’étais membre en Angleterre était jumelée avec l’Église Libre de Nice et au cours de mon année à Nogent le poste pastoral de cette Église est devenu vacant. L’Église, sachant qu’un jeune couple de leur Église sœur se formait pour le ministère, a fait appel à moi. J’ai dit non! Je n’avais qu’un an de formation, je parlais encore difficilement le français, j’aurais voulu faire un stage avec un pasteur français… Mais l’Église a insisté et les responsables de l’Union des Églises Évangéliques Libres, vu le manque de pasteurs disponibles à l’époque et les besoins de l’Église de Nice, m’ont encouragé. Je suis donc allé à Nice en septembre 1974. C’est ainsi que je me suis trouvé lancé dans le ministère pastoral. À Nice j’ai appris sur le tas! Il y a eu des joies et des peines.
Huit ans plus tard, un appel téléphonique m’invitait à poursuivre mon ministère à Lyon. Il y avait un conseil qui tenait la route, des moniteurs d'enfants engagés, des finances saines… bref… tout ce qu’un pasteur peut désirer! Sur le plan humain, c’était une promotion. Sur le plan spirituel, c’était un défi et pas des moindres. Mais c’était aussi très exigeant. Nous avons eu la joie de voir l’Église grandir considérablement. Nous avons changé de locaux pour une salle plus grande et des salles annexes plus nombreuses.
Puis ce fut Toulouse. De nouveau nous avons eu le privilège de voir une Église grandir. De nouveau un déménagement pour des locaux plus spacieux et des travaux importants à gérer. De nouveau une charge de travail assez importante et de nombreuses activités à coordonner.
Mon dernier poste a été celui de Castelnaudary, une Église plus petite qui luttait courageusement pour survivre et qui me rappelait à plusieurs titres mes premières années à Nice. Un retour à la case départ! Je pense que plusieurs imaginaient, et peut-être étais-je tenté de l’imaginer moi-même, que parce que j’arrivais l’Église allait connaître un essor – les Églises de Lyon et de Toulouse n’avaient-elles pas grandi pendant mes années de ministère? Mais l’histoire ne s’est pas répétée. Il y avait moins de monde à Castelnaudary quand je suis parti que quand je suis arrivé! J’en suis navré pour l’Église mais je suis content pour moi. Cela rappelle simplement que la croissance n’est pas liée à ma personne.
D’ailleurs, c’est ici que je voudrais souligner ce qui me semble être une leçon vitale. Le succès ne dépend pas de nous! D’ailleurs le mot «succès» n’est pas approprié pour juger notre travail. Je pense que j’avais peut-être à une époque une certaine réputation. J’étais pasteur dans des Églises dites «importantes»: Lyon, Toulouse. Ces Églises construisaient, grandissaient. J’étais, du moins aux yeux de certains, un des «poids lourds» du corps pastoral des Églises Évangéliques Libres. Je voudrais donc faire deux remarques:
1. La première est que j’estime que le «succès», pour reprendre ce mot que je n’aime pas, dépend plus des circonstances que des personnes.
À Lyon, la croissance de l’Église à mon arrivée était largement le fruit du travail de mes prédécesseurs! Jean Gardrat avait travaillé des années à Lyon, il avait posé des bases saines. Il y avait un conseil sage, équilibré. Ensuite, il y a eu le ministère trop bref de Marc Atger. Marc avait été pasteur au Tabernacle à Paris où son ministère avait été très apprécié. Les Lyonnais l’ont sollicité mais il ne pouvait se libérer tout de suite. C’est deux ans plus tard qu’il est arrivé à Lyon. Au bout d’un an de ministère il est tombé malade. Il est décédé quelques mois plus tard. Or pendant cette période difficile, l’Église s’est mobilisée dans la prière. Tous les jours les amis se retrouvaient pour prier. Marc n’a pas été guéri… mais le fruit de cette intercession, la bénédiction qu’on avait cru être la guérison de Marc, nous l’avons vue dans des conversions. Durant mes quatre premières années à Lyon il y a eu 46 baptêmes! J’ai récolté, d’autres avaient semé.
À Toulouse, la situation était différente. Je succédais à Charly Marilleau qui avait refondé, avec d’autres, l’Église Évangélique Libre de Toulouse après la sécession de notre Union de l’Église précédente. Charly avait, comme Jean Gardrat à Lyon, posé de bonnes bases. Il y avait, quand il est parti, un bon conseil, une Église saine. L’Église attendait alors un permis de construire pour conclure l’achat d’un local près du centre ville. On pourrait dire que les choses ne demandaient que d’aller de l’avant. Mais le facteur déterminant à Toulouse, du moins à l’époque, était le dynamisme de la ville. La ville était en pleine croissance. Le pêcheur qui tend son filet quand les poissons passent n’a que le mérite d’être au bon endroit au bon moment! J’ai eu le privilège d’être au bon endroit au bon moment. Le filet de l’Église était en place… les poissons sont venus tout seuls! Cela me rappelle la pêche miraculeuse racontée en Luc5. Les filets risquent de se rompre tellement il y a de poissons. Pierre ne prend pas la grosse tête: Quel pêcheur! Non! Nous le trouvons à genoux: «Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur» (Lc5.8). Quand je pense aux bénédictions que nous avons vécues, ma réaction rejoint celle de Pierre.
S’il y a eu «succès», je tiens à souligner que j’estime que je n’y étais pas pour grand-chose. Il me semble important de le dire. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour des collègues qui travaillent fidèlement là où les conditions ne sont pas celles que j’ai connues. Il faut plus de courage, plus de consécration, pour travailler quand rien ne bouge, quand rien n’avance, lorsqu’on a le vent en poupe.
2. Ma deuxième remarque concerne le rapport entre force et faiblesse.
C’est un sujet qui me fascine. Il y aurait beaucoup de choses à en dire. Je ne partage que quelques pensées.
Nous connaissons tous le passage où l’apôtre Paul parle de l’écharde dans sa chair. Nous ne savons pas avec certitude la nature de cette écharde mais de toute évidence Paul vivait cela comme un handicap, comme un frein à son ministère. Ce n’est donc pas pour son confort personnel mais pour la cause de l’Évangile, qu’il implore le Seigneur de la lui enlever. Et pour seule réponse revient ce message: «Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse» (2Co 12.9).
Je ne sais pas comment mes collègues vivent leur ministère, mais j’ai toujours vécu le mien dans la faiblesse. J’ai dit tout à l’heure qu’en commençant à travailler avec les GBU, je me suis vite rendu compte que je n’étais pas équipé pour la tâche. Le fait que je n’ai eu que le temps de faire un an à l’IBN avant d’être jeté dans l'eau du ministère pastoral allait dans le même sens. Ma formation théologique formelle se résume à un an, une année pendant laquelle je devais aussi apprendre le français! Ce manque de formation m’a complexé pendant des années. Mais en fin de compte aucune formation ne nous équipe complètement pour le ministère qui nous est confié. Certes, de bonnes connaissances théologiques nous aident. Certes, l’expérience des situations humaines nous aide aussi. Mais le ministère touche d’un côté la matière humaine, une matière oh! combien complexe et sensible. Et de l’autre côté le ministère s’exerce au nom d’un Dieu vivant, d’un Dieu qui parle, que nous devons écouter et suivre. Si nous ne maîtrisons pas la complexité de la matière humaine, à combien plus forte raison le Souffle de Dieu défie-t-il notre maîtrise.
Il serait tentant de vouloir dépasser l’écharde de notre faiblesse… Combien de fois, au fil des années aurais-je voulu pouvoir dire «je sais faire!». Cela aurait été rassurant. Il est donc tentant de vouloir écarter notre faiblesse… mais nous imaginons tout de suite à quel point cela serait dangereux! La puissance dont nous avons besoin n’est pas la nôtre mais la sienne et sa puissance ne s’opère que dans notre faiblesse. Alors on comprend l’apôtre qui continue en s’exclamant: «Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ se repose sur moi».
Et si je devais recommencer – pour répondre à la question qui m'a été posée – comment m’y prendrais-je? Je soupçonne que je m’y prendrais comme la première fois. Je suis toujours moi, et notre ministère est intimement lié à ce que nous sommes. Le ministère est plus lié à l’être qu’au faire. Toutefois j’ose espérer que je saurais mieux écouter, mieux respecter la différence, surtout dans les premières années de ministère.
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Je saute pour l’instant les craintes et espoirs d’avenir du ministère pour passer directement à quelques pistes de réflexion. Je vous en propose deux:
1. La première concerne l’importance du ministère pastoral.
Je voudrais suggérer que c’est le ministère par excellence! Je vous félicite donc pour votre choix de métier!
Le ministère tient son importance de celle de l’Église. Si nous avons une bonne vision de l’Église, nous aurons une bonne vision du ministère qui nous est confié. L’Église est unique: «Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle…» Si le Christ lui-même aime l’Église, pouvons-nous ne pas l’aimer? S’il s’est livré pour elle, ferons-nous moins?! L’Église est au cœur du projet de Dieu – les théologiens vous en parleront mieux que moi – et le pasteur est appelé à en prendre soin. Quelle vocation! Certes il n’est pas seul, d’autres ministères sont nécessaires, les évangélistes et docteurs ont leur place, mais le pasteur (ou l’équipe pastorale si vous préférez) prend soin de ce que l’apôtre appelle ailleurs «le corps du Christ».
Or, l’Église est ce rassemblement hétérogène d’hommes et femmes de toutes sortes, le plus jeune a probablement quelques semaines, l’aîné a dépassé largement les 80 ans. De la maternité au cimetière, à travers toutes les étapes de la vie, l’Église a sa place, son rôle à jouer. Nous pleurons avec ceux qui pleurent, nous partageons la joie des fêtes.
Le ministère n’est pas toujours facile. J’ai vu des collègues abandonner. D’autres, au bout de quelques années, optent pour ce qu’on pourrait appeler des ministères parallèles: l’enseignement, l’animation d’une œuvre humanitaire ou de jeunesse. D’autres encore, sans quitter leur poste, consacrent de plus en plus de temps à des comités divers et variés, où ils se laissent prendre par l’aspect administratif du travail. Moi-même, par trois fois, Lyon, Toulouse et Castelnaudary, j’ai dû participer à la gestion de chantiers importants. Il est facile de se laisser distraire. J’espère ne blesser personne en disant que je crois que ces autres engagements, ces autres activités, sont plus faciles. Les moellons sont plus faciles à gérer que les pierres vivantes! L’enseignement est plus facile que la prédication – du moins c’est mon avis mais je ne suis pas neutre!
Mais notre place est dans l’Église. Paul, tout évangéliste qu’il était, prenait soin de fonder des Églises et il se souciait réellement de la suite, laissant ses meilleurs collaborateurs sur place pour établir des structures et des personnes. Toute sa passion pour l’Église ressort dans ses lettres aux Corinthiens: «Je suis jaloux à votre sujet» leur écrit-il, «d’une jalousie de Dieu, parce que je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure» (2Co 11.2).
Voilà notre vocation! Elle est belle!
2. La deuxième piste de réflexion concerne la nature du ministère pastoral.
Le sujet est vaste, les avis divergent. Mais puisque l’occasion m’est donnée et que, de toute façon, je parle en tant que témoin et non en tant que spécialiste, je me permets quelques réflexions.
Il y a une vingtaine d’années, l’Union d’Églises à laquelle j’appartiens a procédé à la refonte de ses statuts et de son règlement intérieur. Après une discussion assez vive, l’article R.411 concernant le ministère pastoral a été rédigé comme suit:
Art. R.411 – Spécificité Le ministère du pasteur est défini comme un service de la Parole. L’exercice de ce ministère implique de la part du pasteur des convictions et un engagement en accord avec la déclaration de foi et les principes généraux de l’Union. En raison de son appel et de sa formation, le pasteur porte la responsabilité principale de la communication de la Parole.
La phrase qui m’a toujours laissé sur ma faim est la première: «Le ministère du pasteur est défini comme un service de la Parole». Il est stipulé ailleurs dans les règlements, article R.412, que «La fonction pastorale (direction, soins,…) s’exerce collégialement». Je trouve ces deux articles insuffisants et, à la limite, trompeurs. Le jeune, lisant ces textes et se croyant appelé au ministère, se prépare pour «un service de la Parole». Il suit une formation théologique sérieuse, il apprend à maîtriser les langues bibliques et le texte biblique dans la foulée. Il s’imagine, peut-être, une fois au travail, partageant dimanche après dimanche ce savoir acquis et ouvrant chaque semaine les mystères de la Parole à un peuple ébahi lors de l’étude biblique! Il va, vous le comprendrez bien, au devant de quelques surprises.
Quand j’étais étudiant, il y avait deux Églises évangéliques renommées à Londres: «All Souls», l’Église anglicane de John Stott, et «Westminster Chapel», une Église baptiste où le Dr Martyn Lloyd-Jones prêchait tous les dimanches. Le Dr Lloyd-Jones a prêché systématiquement, verset par verset, pendant des années, de 1955 à 1968, sur la lettre aux Romains. Les gens venaient de kilomètres à la ronde pour l’entendre. Il avait un ministère indéniable de la Parole. Mais je m’interroge: était-il pasteur?
Ce n’est pas mon intention de critiquer un tel ministère, un ministère que Dieu a béni. Mais est-ce à ce genre de ministère que nous sommes appelés? Des foules feront-elles des kilomètres pour nous entendre? Notre tâche sera souvent bien plus modeste: Nous aurons à nourrir le petit peuple qui nous est confié. Or, pour nourrir ce peuple, il nous faut deux compétences et pas une. Certes, nous devons être des «ministres de la Parole» mais nous devons aussi être des ministres du peuple. Le défi pour nous est d’être proches, à la fois, et de la Parole et du peuple. À nous de faire le lien entre la Parole et le peuple et pour cela nous devons les aimer l’une et l’autre.
Je fais donc une différence entre l’enseignement et la prédication, même si les frontières ne sont pas étanches. J’ai suggéré tout à l’heure que l’enseignement est plus facile que la prédication. Il me semble que l’enseignement implique moins l’enseignant que la prédication le prédicateur. L’enseignement communique un savoir, la prédication communique un message. Il y a une place, bien sûr, pour tous les deux, les deux sont nécessaires, mais nous devons savoir ce que nous faisons.
Deux choses découlent pour moi de cette conception du ministère. La première est l’importance de l’écoute, ou de la proximité. Je me souviens lors d’une randonnée dans les Alpes d’un berger montant le matin dans les alpages avec son 4x4 et observant aux jumelles son troupeau. Il était sans doute compétent. À une autre occasion, lors d’un camp de marche, ayant passé un col à plus de 2.000mètres par mauvais temps – il neigeait en plein mois de juillet! – nous avons trouvé un berger abrité sous une grosse cape et un vieux parapluie au milieu de son troupeau. Il y a berger et berger! Avec nos ordinateurs, Internet, le téléphone, les comités et j’en passe, le pasteur peut être loin du troupeau. Mais il nous faut être là, au milieu, même quand il neige, peut-être surtout quand il neige. C’est alors que notre parole le dimanche matin sonnera tout autrement et trouvera un écho dans le cœur des fidèles.
L’autre chose qui découle de cette conception du ministère est de mettre en parallèle l’importance de l’être avec l’importance du savoir. Le message que nous transmettons, nous devons le vivre nous-mêmes d’abord. Je me suis souvent dit que si le passage que je suis en train de méditer et de travailler pour le culte de dimanche ne m’a pas touché personnellement, il ne risque pas de toucher mes auditeurs! Un message doit sonner vrai et il me semble que cela sonne vrai quand quelque chose en moi vibre en même temps que mes cordes vocales. Notre ministère est comme une extension de nous-mêmes. Notre cheminement, nos faiblesses, nos luttes… transparaîtront non seulement le dimanche matin ou lors de l’étude biblique, mais aussi dans nos échanges plus personnels.
Que le Seigneur nous soit en aide!
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Il y aurait mille choses à dire. En conclusion, et puisqu’on me le demande, j’évoque succinctement quelques craintes. J’en ai plusieurs… c’est sans doute ma nature!
1. Je crains la conception «boulot» du ministère pastoral.
Le ministère serait une façon, comme d’autres d’ailleurs, de «gagner sa vie» (ou sa croûte!). L’ouvrier mérite son salaire, le texte biblique est clair. Il est donc légitime d’attendre le chèque à la fin du mois. Mais notre motivation est ailleurs. Il y a un appel… et qui dit appel lève les yeux pour discerner d’où vient cet appel. Et si vraiment l’appel vient d’en haut, alors il y a une contrainte divine en nous.
Cela va mal quand nous commençons à compter nos heures. Cela va mal quand nous essayons de récupérer en congé les jours fériés que nous avons travaillés. Cela va mal quand nous avons besoin d’un cahier des charges. Là le sujet est compliqué. Si le cahier des charges est pour répartir les tâches entre les divers responsables, c’est un signe de bonne organisation. Mais si le cahier doit servir à faire valoir «mes droits»… je suis sur une mauvaise piste. Les 39 ou 35 heures, cela n’existait pas du temps de Jésus! Nous avons un travail à faire: faisons-le, et faisons-le de bon cœur et de tout cœur. Parfois le programme sera surchargé. Il faut de la sagesse pour le gérer. À d’autres moments – les mois d’été souvent – nous pourrons respirer.
Je crains donc que la conception «boulot» du ministère pastoral ne gagne du terrain chez les collègues.
2. Je crains l’absence de prière dans nos Églises.
Si je crains l’absence de prière dans nos Églises je crains aussi, et cela me fait encore plus peur, que nos pasteurs ne sachent plus prier! Je ne suis dans le lieu secret de personne. Je ne me suis pas levé au petit matin lors des pastorales pour épier mes chers collègues. Ma crainte n’est donc pas fondée sur des statistiques ou des preuves.
L’absence de prière dans nos Églises, du moins plusieurs d’entre elles, est un constat simple à faire. Comptez le nombre de rencontres de prière ou le temps consacré à la prière lors de l’étude biblique, puis comptez le nombre de participants. Mais si les pasteurs eux-mêmes ne sont pas enthousiastes, comment motiveront-ils les foules? Nos pasteurs ont aujourd’hui de beaux diplômes, ils sont compétents, doués… mais je reviens à ce que je disais: la puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse. Or, la prière n’est-elle pas le lien indispensable, voulu par Dieu, entre notre faiblesse et sa force?
Je ne dis pas plus, je partage simplement – puisque l’occasion m’en est donnée – ma crainte.
3. Je crains que certains ne tiennent pas le coup!
Le ministère est parfois ingrat. J’ai connu, comme sans doute tous mes collègues, des passages difficiles. Dans mon premier poste, un conflit a failli mettre fin à mon ministère. La Commission Synodale a eu la sagesse d’intervenir à un moment critique. J’avais aussi des torts que j’ai dû reconnaître. Mais le soutien et la confiance des responsables de ma famille d’Églises ont été déterminants. Par ailleurs, j’ai eu l’immense privilège d’être accompagné par une épouse qui partageait discrètement mon ministère. Aujourd’hui, beaucoup d’épouses (ou de maris pour les femmes pasteurs) travaillent à l’extérieur… je comprends et ne porte aucun jugement… je considère simplement que j’ai été privilégié dans ce domaine.
Je suis profondément reconnaissant au Seigneur d’avoir pu aller jusqu’au bout, même si la retraite n’est pas la fin de la vocation. Mais qu’en sera-t-il de mes collègues encore sur le front? Je crains que certains ne baissent un jour les bras… alors quelle perte pour nos Églises, quelle perte pour l’Église de Dieu!
En pensant à un mot pour la fin de cette intervention, c’est un texte de l’Évangile de Jean qui m’est venu à l’esprit. Jean 6, la multiplication des pains, l’échange avec les responsables juifs qui s’en est suivi, les paroles difficiles de Jésus: il fallait manger sa chair, boire son sang. «Cette parole est dure, qui peut l’écouter?» se demandaient ses auditeurs. Et nous lisons que plusieurs, même ceux que Jean appelle «des disciples», «se retirèrent en arrière». Jésus regarde les douze: «Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller?» La réponse de Pierre vibre dans nos cœurs: «Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle».
C’est cette parole qui nous est confiée, la parole de vie, de la vie éternelle! Dans un monde obnubilé par le matériel, accaparé par l’immédiat, le tout de suite, nous apportons une parole qui nous situe dans l’éternité, qui nous place devant Dieu, créateur, saint, juste, qui nous aime, une parole qui parle de la grâce, une grâce nécessairement imméritée, offerte en Jésus-Christ!
Si je crains que certains abandonnent la tâche, ma prière est qu’une sainte contrainte les en empêche et que l’Esprit Saint renouvelle le courage, les forces et la vision de chacun.