Avant de décrire la justice restaurative(1) et ses applications, commençons par présenter la notion de justice dans la Bible, et sa différence d’avec ce que l’on entend par la justice dans la société actuelle.
I. LA JUSTICE, SELON LA BIBLE
La notion de justice est développée à maintes reprises dans la Bible : on y trouve des lois, des règles et des sanctions pour des atteintes à cette justice prônée par le Créateur. La justice demandée pour les hommes émane de la justice divine.
a) Justice des hommes
L’Ancien Testament introduit ce qu’il est convenu d’appeler la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent », Ex 21.24). Dans les sociétés anciennes, un fauteur était vengé de manière exponentielle. La loi du talion demande une rétribution seulement proportionnelle. Elle limite donc considérablement l’engrenage de la vengeance.
La justice demandée doit être impartiale, elle ne doit ni favoriser le pauvre, ni lui être hostile. « Ne suis pas la majorité pour faire le mal et, si tu es appelé à témoigner dans un procès, ne te conforme pas au grand nombre pour fausser le droit. Ne favorise pas un pauvre dans un procès […] Ne fausse pas le cours de la justice au dépens du pauvre dans un procès » (Ex 23.2-6).
Proverbes 31.8-9 affirme : « Ouvre ta bouche pour défendre ceux qui ne peuvent parler, pour défendre les droits de tous ceux qui sont délaissés. Oui, parle pour prononcer de justes verdicts. Défends les droits des malheureux et des pauvres ».
Les prophètes sont tous des champions de la justice sociale. Voici quelques exemples des oracles qu’ils ont transmis : « Vous changez le droit en absinthe, et vous jetez à terre la justice… Vous opprimez le juste, vous acceptez des pots-de-vin, et vous lésez le droit des pauvres en justice… Haïssez donc le mal, aimez le bien, et rétablissez le droit en justice… Cherchez l’Éternel, et vous vivrez » (Am 5.4-15).
« Rendez des jugements conformes à la vérité, témoignez-vous mutuellement de l’amour et de la piété. N’exploitez pas la veuve et l’orphelin, ni l’immigré et ceux qui sont dans le besoin, et ne tramez aucun mal les uns contre les autres. Voici ce que vous devez faire. Que chacun dise la vérité à son prochain ; rendez une justice conforme à la vérité dans vos tribunaux, une justice qui engendre la paix » (Za 7.9-10 ; 8.16).
b) La justice sociale relève de Dieu
Quand on parle de justice, il faut revenir à sa source, et cette source se trouve en Dieu. Il est l’origine et le garant de toute justice. Il n’existe pas de justice en soi qui soit séparée de lui. Dieu a manifesté sa justice vis-à-vis de son peuple de manière concrète par le don de la Loi, qui a ainsi rendu possible la vie communautaire empreinte de justice. C’est par la Loi qu’il a communiqué sa justice aux hommes pécheurs, imparfaits et injustes. James Luther Mays a raison de dire que « la Loi n’est pas le fondement de la justice, mais que la justice est le fondement de la Loi »(2).
Au sein d’Israël, le peuple de l’Alliance, Dieu est reconnu comme protecteur du droit contre toute perversion de la justice, c’est lui qui est le garant de cette Alliance, lui qui est la justice par excellence. Par conséquent, la réponse juste et droite de chaque membre de cette communauté de l’Alliance consiste à les conformer à ce que stipule la Loi, qui est le traité de l’Alliance.
C’est justement à ce devoir que les Israélites ont souvent failli. Ils ont « rompu l’Alliance », disent les prophètes. C’est alors que les prophètes ont trouvé dans le concept de justice, une terminologie que leur propre peuple pourrait comprendre, et qui servirait à caractériser les effets et buts de l’intervention divine(3), c’est-à-dire son jugement, son châtiment, s’ils ne se repentaient pas de leurs péchés : « Dans leur prédication, le droit et la justice n’étaient pas des principes abstraits, ils faisaient partie intégrante d’une foi authentique en Dieu, ils étaient les conséquences d’une Alliance fraternelle »(4).
Contrairement à ce que l’on a tendance à faire aujourd’hui, les textes bibliques ne séparent pas justice publique et morale privée : « Il n’y a pas de divorce entre justice et moralité, entre bonne gouvernance et libéralité compassionnelle, combat pour la libération et petites gentillesses dans des actes de miséricorde »(5).
Affirmer que Dieu est un Dieu de justice signifie donc qu’il se soucie du bon exercice du pouvoir ou de l’autorité. Dieu incarne le pouvoir et l’autorité ultimes dans l’univers, de sorte que la justice existe s’ils sont exercés conformément à ses normes. Dans l’A.T., les mots hébreux pour « justice » et « droit » sont pratiquement interchangeables, tous deux désignent la conformité aux normes divines en matière de sainteté ou d’excellence morale. La justice existe donc sur terre quand le pouvoir et l’autorité entre les individus sont appliqués selon les normes divines d’excellence morale.
Quand le pouvoir est exercé en violation de ces règles, il y a injustice. L’une des meilleures illustrations en est la parabole racontée par le prophète Nathan, sur un riche qui abuse de son pouvoir pour voler l’unique agneau d’un pauvre homme. À travers ce récit, Nathan voulait montrer à David la profonde injustice qu’il avait commise, en abusant de son pouvoir royal pour prendre la femme d’Urie et pour organiser ensuite l’assassinat de ce dernier. L’injustice est essentiellement affaire d’abus de pouvoir. L’injustice est le recours à la force et à la tromperie par les plus forts pour dérober aux plus faibles (cf. Ec 4.1).
c) Justice et amour du prochain
Parmi les cinq passages en Amos où apparaît la terminologie de justice (nekohah, mishpàt et tsedaqa), trois sont de l’ordre du reproche (absence de justice, 3.10 ; 5.7 ; 6.12, les autres exhortent à pratiquer cette justice 5.15, 24). À quoi pensait le prophète, en employant ces termes ? Sans doute à « une harmonie qui doit régner dans la société, chacun vivant dans la juste relation à son prochain »(6) ; au respect de la personnalité chez le compatriote, riche ou pauvre, puissant ou petit ; à la miséricorde et à la compassion, à la défense des droits de tous les opprimés. Finalement, à « l’amour du prochain, qui polit et atténue les duretés que le droit autorise »(7).
En ce qui concerne les devoirs sociaux, le judaïsme établit une distinction entre l’entraide à caractère obligatoire, qui prend la forme d’un véritable impôt, et la charité proprement dite, qui conserve toujours son caractère volontaire. L’expression hébraïque tsedaqa, qui signifie l’assistance aux pauvres, reste intraduisible en toute autre langue en raison même de ce double aspect de la bienfaisance qu’elle sous-entend(8).
La justice de Dieu est honnêteté, équité, et par conséquent jugement, certes, mais elle est aussi miséricorde, compassion et générosité. Bref, justice-amour-du-prochain.
d) Jésus
Jésus a clairement dit qu’il n’était pas venu « pour abolir ce qui est écrit dans la Loi ou les prophètes […] mais pour accomplir » (Mt 5.17). Il n’y a donc pas chez lui d’antinomie, puisqu’il cherche à manifester concrètement et pleinement ce que signifie l’obéissance à la Loi. Citons quelques unes de ses paroles : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés […] Heureux ceux qui sont opprimés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient […] Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes choses vous seront données par-dessus » (Mt 5.6,10 ; 6.33).
Si Jésus souligne la justice à ce point, c’est parce qu’il est lui-même la plénitude de cette justice. En effet, dans sa mort, il a porté les péchés du peuple, et par conséquent il a satisfait à l’exigence de la justice à l’égard de la rétribution (aspect équité-jugement), de même qu’il a manifesté pleinement la grâce de Dieu à l’égard des hommes pécheurs (aspect miséricorde-compassion-générosité).
« Le Christ lui-même a souffert la mort pour les péchés, une fois pour toutes, lui, le juste, il est mort pour des injustes, afin de vous conduire à Dieu » (1 P 3.18), « Tous ont péché, et sont privés de la glorieuse présence de Dieu, et ils sont déclarés justes par sa grâce » (Rm 3.24). Jacques Ellul résume : « Il n’y a donc aucune justice d’aucune sorte, pas même relative, hors de Jésus-Christ »(9).
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