C’est lui [le Christ] qui a donné les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les bergers et enseignants pour la préparation des saints en vue de l’œuvre du service, en vue de la construction du corps du Christ. (Éphésiens 4.11-12)(1)
Ce passage d’Éphésiens 4 a occasionné bon nombre de discussions sur la question des ministères. Il s’agit du seul texte du Nouveau Testament employant le terme pasteur/berger (poimen) pour se référer à un ministère particulier au sein de l’Église. Or le pasteur s’y trouve associé à quatre autres fonctions : l’apôtre, le prophète, l’évangéliste et l’enseignant. Certains ont donc plaidé pour un « rétablissement » des « cinq ministères » d’Éphésiens 4. C’est le cas, par exemple, depuis le début du 20e siècle, dans l’Église évangélique apostolique. Autre exemple, plus récent, celui de la New Apostolic Reformation (NAR) qui donne une place particulière aux « apôtres » et aux « prophètes » dans l’Église d’aujourd’hui(2). Dans une tout autre approche, l’association « France évangélisation » cherche à remettre en valeur le ministère d’évangéliste(3).
Ces initiatives, parmi bien d’autres, ont le mérite de questionner la tradition protestante qui s’est généralement focalisée autour du seul ministère de direction de l’Église locale, qu’il soit nommé pasteur ou ancien. À la lecture du Nouveau Testament, une telle focalisation est discutable tant les textes font état d’une grande variété de ministères. Faut-il pour autant organiser l’Église autour des « cinq ministères » d’Éphésiens 4.11 ? Il me semble qu’une prise en compte de l’ensemble des données du Nouveau Testament invite à retenir « l’esprit » de ce texte : plus qu’une focalisation sur « cinq ministères », celui-ci nous interpelle sur la prise en compte de la diversité des ministères, une diversité voulue par Dieu.
A. Une diversité de ministères au service de l’unité de l’Église
Deux enjeux fondamentaux quant à la question des ministères apparaissent en Éphésiens 4, mais aussi dans divers textes néotestamentaires qui traitent cette question.
Le premier enjeu est celui de l’unité. Paul aborde la question des ministères après avoir rappelé l’importance de l’unité du corps du Christ (Ép 4.1-6). Il exhorte d’abord à tout faire pour maintenir l’unité (v. 3) en adoptant, notamment, une attitude d’humilité et d’amour (v. 2). Les ministères ne peuvent s’exercer que dans le cadre d’un seul corps, celui que constituent les croyants en un seul Dieu et Père, un seul Seigneur, un Seul Esprit (vv. 4-6). On rencontre exactement la même préoccupation dans d’autres textes qui abordent la question des ministères ou des charismes. En 1 Corinthiens 12, la mention des différentes fonctions au sein du corps du Christ (1 Co 12.27-30) est associée à une présentation de l’unité de ce corps (1 Co 12.12-27) et elle est suivie d’une exhortation à l’amour (1 Co 13). La liste des charismes de Romains 12.6-8 est précédée d’un rappel de l’unité du corps du Christ (Rm 12.3-5) et suivie d’une invitation à l’amour (Rm 12.9). Cette même invitation à l’amour fraternel (1 P 4.8) précède la liste des charismes de 1 Pierre 4.10-11.
Pourquoi une telle insistance sur l’importance de l’unité et de l’amour lorsque l’on aborde la question des ministères ? Peut-être parce qu’il s’agit là d’une des principales causes de division au sein du corps du Christ ! C’était déjà le cas dans l’Église primitive. On pensera, par exemple, à la situation qui motive l’écriture de la première lettre de Paul aux Corinthiens : l’Église de Corinthe n’a que quelques années d’existence et elle est déjà divisée (1 Co 1.10-17) ! Or la question des ministères – ou, plutôt, des « ministres » – n’y est pas étrangère : certains se disent « de Paul », d’autres « d’Apollos », d’autres « de Céphas », et d’autres, peut-être un peu plus « spirituels », se disent « de Christ » (1 Co 1.12-13). Au-delà de cet exemple, il semble que la reconnaissance ou, à l’inverse, la contestation de certains ministères, ont été sources de tensions au sein de l’Église primitive. Ce qui est vrai dans l’Église du premier siècle, l’a malheureusement été tout au long des deux millénaires qui ont suivi. Les textes bibliques sont sans équivoque : les ministères sont au service de l’unité de l’Église universelle. Il n’y a pas d’autre possibilité d’exercice du ministère.
Le deuxième enjeu est lié au premier, il s’agit de la nécessité d’accepter la diversité : la diversité des charismes, la diversité des services, la diversité dans la manière d’accomplir ces services ou ministères. Il ne s’agit pas d’une diversité que l’on devrait prendre comme une fatalité sur la base d’un constat empirique : « On voit bien que nous sommes tous différents. » Cela va bien plus loin. Les auteurs bibliques présentent la diversité comme étant voulue par Dieu(4) . Ainsi, en Éphésiens 4, c’est le Christ, incarné, mort, ressuscité et monté au ciel (Ép 4.7-10) qui « a donné les apôtres, les prophètes », etc. (Ép 4.11). De même, en 1 Corinthiens 12, c’est « l’unique Esprit », « l’unique Seigneur » et « le Dieu unique » qui « dispensent » les charismes dans toute leur diversité (1 Co 12.4-11). C’est « Dieu » qui a « établi dans l’Église » les uns et les autres dans la diversité de leurs fonctions (1 Co 12.28-30). Les textes sont clairs : c’est le Dieu trinitaire qui est à l’origine de la diversité des fonctions, ministères ou services. Vouloir uniformiser les ministères, c’est tout simplement aller contre la volonté de Dieu. Il y a là un enjeu fondamental.
Il est vrai que « l’unité dans la diversité » est certainement un slogan assez populaire dans nos Églises. Néanmoins, il me paraît utile de rappeler que cela est profondément biblique. Et qu’il est bon de garder ce double enjeu en tête lorsque nous abordons la question des ministères(5).
B. La diversité des ministères : un enjeu pour la croissance de l’Église
Éphésiens 4 souligne le lien entre la question des ministères et celle de la croissance de l’Église. Les apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants ont pour rôle de préparer les croyants « en vue de la construction (oikodomè) du corps du Christ » (Ép 4.12). Les versets qui suivent développent cette notion de croissance/construction (Ép 4.13-16) : l’objectif est bien celui de la « croissance du corps » (v. 16).
L’image de l’Église comme d’une « construction » se rencontre à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament (voir, par exemple, Mt 16.18 ; Ac 9.31 ; 1 Co 3.9-17 ; 14.1-26 ; Ép 2.20-22 ; 1 P 2.4-10). La métaphore est employée de manière dynamique : l’Église est tel un édifice « en construction », en perpétuel chantier ; il s’agit d’un processus. Ainsi, en Éphésiens 4, tout comme en 1 Corinthiens 3 et 14, l’image de la construction est associée à une autre : celle de la « croissance » normale d’un être humain (1 Co 3.1-3 ; 14.20 ; Ép 4.13-16). Tout comme le petit enfant est appelé à grandir et devenir un homme mature et accompli, le « corps » du Christ est invité à « grandir ». L’objectif n’est pas seulement la maturité individuelle des croyants, mais la maturité collective de l’Église. Les ministères de certains croyants sont un moyen utilisé par Christ pour faire grandir son Église. Sur son chantier, le maître d’œuvre a choisi d’attribuer un rôle spécifique à des hommes et des femmes en vue de la poursuite efficace des travaux. La question des ministères s’inscrit pleinement dans la réflexion sur la croissance de l’Église, l’oikodomique, pour reprendre l’expression de certains théologiens(6).
Éphésiens 4 évoque essentiellement la croissance qualitative de l’Église : les ministères de certains contribuent à la maturité et à la solidité de l’Église. D’autres passages évoquent aussi le rôle des ministères dans la croissance quantitative. Des apôtres, comme Pierre ou Paul, un évangéliste, comme Philippe (Ac 8), ont été utilisés par Dieu pour amener des hommes et des femmes à la foi en Christ. Encore aujourd’hui, nous avons certainement tous connaissance d’évangélistes que Dieu a utilisés de manière particulière pour amener de nombreuses personnes à la foi. Lorsque Billy Graham ou Reinhard Bonnke ont prêché l’Évangile, ce sont souvent des milliers d’hommes et de femmes qui ont répondu à l’appel à la conversion. Alors que, de mon côté, bien qu’ayant prêché la même Bonne Nouvelle, j’ai bien plus rarement vu des mains levées. Dieu se plaît, visiblement, à utiliser certains plus que d’autres, pour certaines tâches. De ce fait, si nous voulons voir son Église grandir, il est important de pouvoir discerner, accompagner et encourager les différents ministères.
C. Le ministère de certains et le ministère de tous les croyants
Depuis le début de cet article, j’emploie le terme « ministère » pour désigner la fonction spécifique de certains croyants au sein de l’Église. Il s’agit là d’une traduction courante du mot grec diakonia dont le sens premier est celui de « service ». Le « ministre » est un « serviteur » à la suite du « Serviteur » par excellence, le Christ lui-même. Ainsi, en Éphésiens 3.7, Paul se présente comme un « ministre/serviteur » (diakonos) de l’Évangile de Jésus-Christ, « selon le don de la grâce de Dieu » qui lui a été accordé.
Au chapitre 4, la terminologie de la diakonia n’est utilisée qu’au verset 12. Son référent fait toutefois débat parmi les exégètes : le terme se réfère-t-il au « ministère/service » des apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants (v. 11) ou au « ministère/service » de tous les « saints » (v. 12) ? En effet, la syntaxe de la phrase qui, en grec, débute au verset 11 et continue au verset 12 n’est pas très claire. On peut l’analyser, principalement, de deux manières :
1. C’est lui qui a donné les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les bergers et enseignants :
i. pour la préparation des saints,
ii. en vue de l’œuvre du ministère/service (diakonia),
iii. en vue de la construction du corps du Christ.
2. C’est lui qui a donné les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les bergers et enseignants :
i. pour la préparation des saints :
a. en vue de l’œuvre du ministère/service (diakonia),
b. en vue de la construction du corps du Christ.
Selon la première lecture, le terme diakonia se réfère aux cinq ministères évoqués au verset 11. Selon la seconde lecture, le terme se réfère au ministère de tous les croyants(7). Si la première solution a les faveurs d’illustres commentateurs anciens(8), mais aussi de quelques modernes(9), la seconde est plus souvent retenue par les exégètes contemporains(10). En effet, le changement de préposition en grec – que j’ai rendu en traduisant « pros » par « pour » et « eis » par « en vue de » – favorise une telle lecture. De plus, le contexte du chapitre 4 plaide pour une valorisation du « service » de tous les croyants. En effet, Éphésiens 4.1-16 ne traite pas de la question des « cinq ministères », mais de l’unité et de la croissance du « corps du Christ ». Puisque « Dieu est le Père de tous » et qu’il est Dieu « sur tous, par tous et en tous » (v. 6), c’est « à chacun que la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ » (v. 7). Si certains ont été « donnés » comme « apôtres, prophètes, évangélistes, bergers et enseignants » (v. 11), tous ont reçu des « dons ». Enfin, l’objectif est que « nous atteignions tous » l’unité de la foi et la maturité (v. 13). Comme d’autres textes de Paul l’indiquent clairement, c’est à chaque croyant que des charismes ont été donnés et l’objectif est que tous les mettent au service de l’Église. Le service, le ministère, n’est pas réservé à quelques-uns : tous sont appelés à « l’œuvre du ministère » !
Dans ce cadre, il paraît nécessaire de réfléchir à la manière dont tous les « ministères/services » peuvent être discernés, accompagnés et reconnus au sein de l’Église locale. Si, dans nos Églises évangéliques, la reconnaissance de ministère se pratique surtout en lien avec le ministère pastoral – voire avec quelques autres ministères, selon les unions d’Églises –, on pourrait aussi réfléchir à un processus systématique de reconnaissance des différents services accomplis par les uns ou les autres dans l’Église. Cela pourrait passer par une prière publique de l’Église pour ceux à qui l’on confie une responsabilité particulière, que cela aille du service d’accueil à la prédication, en passant par l’école du dimanche, l’accompagnement spirituel, la sonorisation ou l’intendance. On pourrait souligner, dans ce cadre, les dons particuliers que l’Église a discernés chez ceux à qui elle confie une responsabilité.
D. Cinq ministères ?
Venons-en aux ministères ou fonctions spécifiques évoqués au verset 11. Que faut-il penser de ces « cinq ministères » ? S’agit-il d’un modèle d’organisation qu’il convient de suivre à la lettre ?
On peut tout d’abord s’interroger sur les contours de ces cinq ministères. Comment définir les ministères d’apôtre, de prophète, d’évangéliste, de pasteur et d’enseignant ? Une prise en compte de l’ensemble des données du Nouveau Testament à ce sujet montre qu’il est bien difficile d’établir une « fiche de poste » précise. Il n’y a pas d’organigramme clair qui transparaît des données bibliques.
Le terme « apôtre » peut être utilisé de différentes manières : pour désigner les membres du groupe spécifique de douze hommes qui ont accompagné Jésus pendant son ministère terrestre. Jacques, le frère de Jésus, est nommé apôtre sans avoir fait partie des Douze (Ga 1.19). Paul est « apôtre » dans un autre sens puisqu’il n’a pas vécu avec Jésus. D’autres collaborateurs de Paul sont nommés « apôtres » : Barnabas (Ac 14.14), Andonicus et Junia (Rm 16.7), Épaphrodite (Ph 2.25), deux « frères », « apôtres des Églises » (2 Co 8.23), voire, peut-être, Silas et Timothée (1 Th 2.7 ; cf. 1 Th 1.1). Il est possible qu’il existât un lien entre le titre d’apôtre et le fait d’avoir été un témoin direct du Christ ressuscité (cf. 1 Co 9.1 ; 15.3-9)(11). Toutefois, il est peu probable que les « plus de cinq cents frères » témoins de la résurrection (1 Co 15.6) aient reçu le titre d’apôtre. De même, certains textes suggèrent un emploi plus large du terme d’apôtre dans l’Église primitive, « l’apôtre » étant, conformément au sens premier du terme grec apostolos, « l’envoyé », le missionné (cf. surtout 2 Co 8.23 ; Ph 2.25). La Didachè – un écrit chrétien daté généralement de la fin du premier siècle, voire du début du deuxième – montre aussi qu’il a existé des « apôtres » itinérants qui visitaient les communautés locales (Didachè 11) : ici, il s’agit plutôt de prédicateurs itinérants.
De même, il est difficile de définir un portrait-robot trop rigide du « prophète » chrétien(12). Certes, le prophète se caractérise par les visions, les révélations ou les messages inspirés qu’il transmet de la part du Seigneur. Toutefois, au-delà de cet aspect général concernant l’inspiration de son message, il est difficile de préciser les contours du ministère prophétique. Les Actes présentent le prophète Agabus comme prononçant de courtes prédictions (Ac 11.28 ; 21.10-11). Jude et Silas sont décrits comme des « prophètes » qui « exhortent » leurs auditeurs par de longs discours (Ac 15.32). Le livre de l’Apocalypse constitue une « prophétie » (cf. Ap 1.3 ; 22.7, 10, 18-19) particulièrement travaillée qui fait de nombreuses allusions à l’Ancien Testament et à la littérature juive. Certains prophètes avaient un ministère supra-local. Ainsi, dans les Actes, on découvre le prophète Agabus de passage à Antioche ou à Césarée (Ac 11.27-28 ; 21.8-11). De même, l’auteur de l’Apocalypse s’adresse à différentes Églises d’Asie Mineure, ce qui suppose un ministère qui dépasse le cadre d’une Église locale. En Actes 13.1, les « prophètes » semblent plutôt faire partie des responsables d’une Église locale : celle d’Antioche.
Quant au ministère d’évangéliste (euaggelistès) – que l’on pourrait traduire aussi par « annonciateur de bonne nouvelle » –, il est probable qu’il soit lié à un rôle spécifique quant à l’annonce de « l’Évangile »(13). Il est toutefois difficile d’en dire beaucoup plus. En effet, la fonction d’« évangéliste » n’est mentionnée qu’en deux autres passages du Nouveau Testament. En Actes 21.8, elle est attribuée à Philippe qui, pourtant, avait d’abord été nommé parmi les sept de Jérusalem chargés d’organiser le « service aux tables » (Ac 6.2). Elle est aussi attribuée à Timothée (2 Tm 4.5) alors que les deux épîtres qui lui sont adressées le décrivent plutôt comme un formateur et un enseignant (cf. 1 Tm 4.11-16 ; 6.2 ; 2 Tm 2.2 ; 4.2).
Comme signalé en introduction, le titre de « pasteur » (poimèn) – ou « berger » selon une traduction plus littérale –, n’est utilisé nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament pour désigner un quelconque ministère. On le rapproche souvent de « l’ancien » (presbutéros) ou de « l’épiscope/surveillant/évêque » (épiskopos). En effet, l’image du berger qui prend soin des brebis, est utilisée pour décrire ces ministères en Actes 20.28-29 et en 1 Pierre 5.2-4. Néanmoins, dans les lettres de Paul, l’image pastorale ne se retrouve qu’en 1 Corinthiens 9.7, en rapport à la rémunération des « apôtres », le berger ayant bien le droit de « se nourrir du lait du troupeau ». Quoi qu’il en soit, l’existence de ministères de direction liés à une Église locale est bien attestée par les épitres dites « pastorales » (cf. 1 Tm 3.1-7 ; 5.17-21 ; Ti 1.5-9 ; voir aussi Ac 14.23). On peut cependant éprouver des difficultés à distinguer clairement le rôle de l’épiscope de celui de l’ancien et les textes suggèrent plutôt l’existence d’un collège d’anciens que d’un unique pasteur.
À cause de la formulation du texte grec, certains exégètes pensent qu’en Éphésiens 4.11 « les pasteurs et enseignants » ne forment qu’un seul et même groupe(14). On parle alors du ministère du « pasteur-enseignant ». Il est vrai qu’en 1 Timothée et Tite, la capacité d’enseigner est présentée comme une qualité requise pour l’épiscope et l’ancien (1 Tm 3.2 ; 5.17 ; Ti 1.9). Toutefois, les épiscopes et anciens ne sont pas les seuls à recevoir la charge de l’enseignement dans le Nouveau Testament : c’est le cas, bien entendu, des apôtres, mais aussi de « l’évangéliste » Timothée. 1 Corinthiens 12.28, Actes 13.1 ou Didachè 13.2 et 15.1-2 semblent considérer « l’enseignant » comme un ministère spécifique.
Ce survol rapide des données montre qu’il ne serait guère prudent de définir trop étroitement chacun des cinq ministères évoqués en Éphésiens 4.11. Non seulement les contours de chacun de ces ministères sont assez flous, mais les limites entre eux ne sont pas non plus très nettes. Ainsi, un même individu – comme Paul, Philippe ou Timothée – peut exercer des fonctions qui pourraient correspondre à plusieurs ministères d’Éphésiens 4.11. De plus, rien ne permet de dire que la liste soit exhaustive. 1 Timothée 3.8-13 mentionne le rôle de « diacre », un rôle qui se rapproche peut-être de celui des « sept » d’Actes 6. D’autres listes ad hoc du Nouveau Testament pourraient laisser entrevoir des ministères liés à la compassion, l’exhortation, la générosité, l’assistance, la guérison miraculeuse, etc. (cf. Rm 12.6-8 ; 1 Co 12.28-30 ; 1 P 4.10-11).
Ainsi, la liste d’Éphésiens 4.11 invite-t-elle à élargir la réflexion sur les ministères au-delà du seul ministère pastoral. Toutefois, lorsque l’on considère l’ensemble des données du Nouveau Testament, je ne pense pas qu’il soit possible d’élaborer une typologie de cinq ministères particuliers, ni qu’il convienne de se focaliser spécifiquement sur ces cinq-là. Certes, cette liste peut fournir une base à la réflexion, et l’on pourrait se demander qui sont les apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants dans l’Église d’aujourd’hui (et s’ils y ont encore leur place). Mais il serait dommage de s’arrêter là. Il me semble que le Nouveau Testament suggère qu’il y a la place pour une palette encore plus large de ministères. Non seulement cette palette s’avère large, mais ses couleurs peuvent être nuancées, voire même se mélanger. Autrement dit, Éphésiens 4 nous invite à réfléchir à la diversité des ministères, une diversité voulue par Dieu, et qui ne peut se résumer à cinq « types » particuliers.
E. Qu’est-ce qui distingue les ministères spéciaux du ministère de tous les croyants ?
La question qu’il me paraît utile de poser au texte n’est donc pas réellement « à quoi correspondent ces cinq ministères ? », mais plutôt « pourquoi certains ministères sont-ils distingués du ministère de tous les croyants ? » De la même manière, en 1 Corinthiens 12.28, Paul dira que « Dieu a établi dans l’Église, premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les enseignants… », puis s’ensuit toute une liste d’autres fonctions qui correspondent davantage aux services accomplis par les différents croyants. Pourquoi classer certains ministères à part ? Qu’est-ce qui justifie que l’on se focalise sur certains d’entre eux ?
Il se peut que la focalisation sur certains ministères se justifie par le rôle charnière qu’ils jouent dans la cohésion du corps du Christ. Il a parfois été suggéré que, en Éphésiens 4.16, les « jointures » ou « ligaments » qui jouent un rôle de « coordination » dans le corps, correspondent aux cinq ministères évoqués au verset 11. Néanmoins, cette interprétation est généralement rejetée par les exégètes contemporains (de tous bords) : comme dans le passage parallèle de Colossiens 2.19, l’image permet simplement de signaler l’unité de tous les membres du corps du Christ, sans référence à un rôle spécifique de certains ministères(15). Quoi qu’il en soit, l’idée que certains ministères jouent un rôle spécifique dans l’unité ou la communion des chrétiens n’est pas étrangère au Nouveau Testament(16). Quel que soit le contenu exact des ministères d’apôtre, prophète, évangéliste, pasteur et enseignant, on perçoit bien qu’il s’agit d’individus ayant un rôle spécifique dans l’orientation de l’Église et dans la transmission de la Parole de Dieu : ce sont ceux qui transmettent une direction, une vision, un enseignement. Ils ont donc un rôle particulier dans la cohésion de l’Église autour d’une foi commune, d’un message commun, d’une orientation commune.
Il se peut aussi que leur place particulière soit justifiée par le rôle qu’ils jouent dans la construction du corps du Christ. Dieu les utilise d’une manière particulière, soit pour ajouter de nouvelles pierres à l’édifice à travers un ministère d’évangéliste, par exemple ; soit pour consolider l’édifice, à travers un ministère de formation et d’encouragement. C’est en effet ainsi que notre texte signale le rôle spécifique de ces ministères : ils sont donnés à l’Église pour la « préparation(17) » des saints en vue de l’œuvre du ministère.
Même s’il faut garder en tête une perspective large – celle du ministère de tous les croyants –, il est nécessaire – et biblique ! – de réfléchir à la possibilité de reconnaître un rôle spécifique à certains ministères ; il est légitime de souligner l’importance particulière de certains d’entre eux pour l’unité et la construction du corps du Christ.
F. Éphésiens 4, la diversité des ministères et l’organisation des Églises évangéliques : quelques questionnements
Ces observations, à partir du texte biblique, questionnent la pratique et l’organisation de nos Églises évangéliques. Dans la plupart de celles-ci, notre réflexion se focalise sur le ministère de direction de l’Église locale, qu’il soit nommé pasteur ou ancien. Comment pouvons-nous intégrer davantage la diversité des ministères au sein de nos organigrammes ? Quel statut ecclésiologique convient-il de leur donner ? Comment « reconnaître » ces ministères particuliers ?
Entre « charisme » et « institution » : reconnaître la diversité des vocations
Lorsque le sociologue Max Weber s’est intéressé aux types de dominations religieuses, il a notamment proposé de distinguer le type du « prophète » et celui du « prêtre »(18). Le « prophète », au sens wébérien, est celui qui légitime son ministère de manière « charismatique ». Il est convaincu que Dieu l’a appelé à un service particulier et qu’il a reçu de Dieu un « charisme » spécifique. Ses « adeptes » – c’est le terme que Max Weber emploie – lui confèrent une autorité car ils sont eux-mêmes convaincus que Dieu lui a effectivement accordé un « charisme » particulier. Le « prêtre », à l’inverse, reçoit sa légitimité de l’institution : il est désigné par le groupe religieux, sur la base de certains critères, selon une certaine tradition, pour occuper une fonction spécifique. Le modèle wébérien est typologique : il est donc forcément caricatural. Dans la réalité de nos Églises, ces deux types de légitimation sont généralement « en tension » : d’un côté, nous reconnaissons officiellement que certains ont reçu de Dieu un charisme particulier ; de l’autre, les pasteurs sont souvent élus par l’assemblée et installés sur la base de certains critères. Il y a bien une forme de tension, nécessaire, entre l’appel de Dieu et la reconnaissance de cet appel par l’Église existante organisée, « l’institution ». Ce modèle correspond assez bien à certains exemples néotestamentaires et il me semble que cet équilibre est légitime.
Néanmoins, comme tout équilibre, il est fragile. D’un côté, nous avons tous connaissance de ministères « charismatiques » – au sens wébérien – dont la légitimité est contestable. On pensera, par exemple, à tous ces « pasteurs », « docteurs », « prophètes » et autres « bishops » auto-proclamés qui s’affichent jusque sur les murs de nos cités. Ceux-ci revendiquent souvent une « vocation » reçue directement de Dieu. N’est-ce pas ainsi que l’apôtre Paul revendiquait son autorité : « Paul, apôtre, – envoyé, non par des humains, ni par l’entremise d’un être humain, mais par Jésus-Christ et Dieu, le Père. » (Ga 1.1, NBS) ? À ceux-ci, on fera remarquer que Paul a aussi été envoyé par une Église (qu’il n’a pas fondée !) qui a discerné sa vocation et qui, après avoir jeûné et prié, lui a imposé les mains (Ac 13.2-3). On rappellera aussi que Paul a tenu à s’accorder avec ceux qui étaient apôtres avant lui, qu’il considère comme des « piliers » (Ga 2.7-10). Enfin, et surtout, Paul a un souci prononcé pour l’unité de l’Église universelle et reprend sévèrement les chrétiens qui ont une tendance au « dénominationalisme », ceux qui voudraient opposer le message de Paul, d’Apollos, de Céphas ou de Christ (1 Co 1.12-13). L’Église, corps du Christ, a bien un rôle à jouer dans le discernement et la reconnaissance de la vocation des uns et des autres de ses membres.
D’un autre côté, comme l’a montré Max Weber, la tendance naturelle de tout groupe religieux est de tendre vers l’institutionnalisation. Cette tendance est normale et souvent nécessaire. Toutefois, une Église particulièrement structurée et organisée a plus facilement tendance à rejeter un ministère dont la vocation viendrait bousculer le modèle préconçu ou qui serait perçu comme un peu trop prétentieux. Or, d’un point de vue biblique (et historique), il semble que Dieu se plaise à appeler des hommes et des femmes qui viennent bousculer un peu l’institution pour amener un mouvement de renouveau, de réforme, voire de réveil. Et, vu que l’institution n’encourage pas de telles vocations, ces individus le font nécessairement sur la base d’une conviction personnelle ou d’une expérience spirituelle forte ; c’est-à-dire, pour prendre la terminologie biblique, sur la base d’une vocation divine. Le risque qui guette nos Églises est de rejeter ou de négliger les vocations peu « conventionnelles ». Il nous faut veiller à ne pas chercher à « uniformiser » les vocations : Dieu « appelle » les uns et les autres de différentes manières, pour différents « ministères ». Pour cela, il convient certainement de garder une certaine souplesse dans l’accueil, l’accompagnement et la reconnaissance des vocations. Cette diversité implique, par exemple, que tous ne peuvent pas forcément suivre la même formation (à cause de leur âge, de leur situation familiale ou de leur niveau d’études). De même, comme les croyants de Jérusalem eurent d’abord un peu de mal à croire à la vocation de Paul (Ac 9.26), nous devons accepter d’être parfois un peu bousculés et reconnaître que l’appel du Seigneur est quelquefois surprenant.
Les ministères qui ne sont pas des ministères de direction
En tant qu’héritiers de la Réforme, nous nous focalisons sur le ministère de pasteur qui correspond, globalement, à l’épiscope ou l’ancien dans le Nouveau Testament. Comment pouvons-nous accueillir tous ceux que Dieu appelle à un ministère qui n’est pas spécifiquement lié à la direction d’une communauté locale ? Quelle place pour d’autres formes de ministères liés à la formation, à l’évangélisation, à la diaconie, à la mission, à l’exhortation prophétique ? Comment les accompagner ? Comment les financer ?
Dans la pratique, la reconnaissance de l’importance de certains ministères spéciaux se concrétise souvent par leur rémunération. L’Église considère que ces hommes et ces femmes, à qui Dieu a confié un ministère spécifique, doivent pouvoir avoir la possibilité d’y consacrer plus de temps, pour le bien du corps du Christ. Pour que cela soit concrètement possible, elle choisit de les rémunérer. Dans nos Églises évangéliques, c’est principalement le pasteur qui est rémunéré. Il existe toutefois d’autres types de ministères rémunérés : les missionnaires à l’étranger, ceux qui servent en France au sein de diverses structures associatives (France évangélisation, GBU, Top Chrétien, etc.), les enseignants des instituts bibliques et facultés de théologie, etc. Dans certaines Églises de grande taille, on trouve également des ministères rémunérés en lien avec la jeunesse, la louange, la relation d’aide, le secrétariat ou la technique.
La diversité des ministères spéciaux est donc, de fait, déjà une réalité dans nos Églises. Mais il s’agit, me semble-t-il, d’une réalité empirique, en fonction des besoins. Il n’y a généralement pas de processus bien établi quant à la « reconnaissance » par l’Église de tels ministères. Et, surtout, on ne sait pas trop où les situer au sein de notre ecclésiologie. Au sein d’Églises qui souhaitent fonder leur pratique sur l’enseignement des Écritures, on ne peut pas se satisfaire de cet état de fait. Tout comme nous justifions bibliquement la légitimité du ministère pastoral, nous devrions pouvoir justifier la légitimité de ces autres ministères. Tout comme l’Église locale « reconnaît » officiellement la vocation de son pasteur ou de ses anciens, suite à une procédure plus ou moins établie, ne pourrait-on pas imaginer un même type de reconnaissance pour d’autres ministères ? Cela permettrait à ceux qui se sentent appelés à de tels ministères d’être mieux accompagnés, encouragés et formés. Cela permettrait aux croyants de mieux comprendre l’utilité de les soutenir.
Les ministères supra-locaux
Enfin, en tant que protestants, et, en particulier, en tant qu’évangéliques, il me semble qu’il y a un type de ministères que nous avons du mal à intégrer dans notre organigramme : il s’agit des ministères ayant une dimension supra-locale. Lorsque l’on considère les ministères de l’Église primitive, on ne peut que constater le rôle important qu’ont joué les ministères supra-locaux. Il est frappant de voir comment Pierre, Jean, Agabus, Philippe, Paul ou ses collaborateurs sont mobiles. Tous ces apôtres, prophètes, évangélistes ou enseignants avaient un ministère qui dépassait le cadre de l’Église locale. De plus, lorsque vous lisez les lettres de Paul et de Pierre, ou l’Apocalypse de Jean, vous vous rendez compte du souci de ces ministères pour faire comprendre à leurs lecteurs que l’Église, le corps du Christ, le peuple des rachetés, dépasse le cadre de leur assemblée locale. Ces ministères supra-locaux ont permis aux chrétiens du premier siècle de réaliser qu’ils appartenaient à un mouvement qui dépassait largement leur réalité locale. Comme il a déjà été mentionné, la question de l’unité des croyants n’est pas sans lien avec celle des ministères. Toutefois, l’unité envisagée par le Nouveau Testament n’est pas seulement celle de l’Église locale – même si c’est un bon début ! –, c’est celle de l’Église universelle.
Pour illustrer ce propos, je prendrai l’exemple de l’union d’Églises que je connais le mieux, celle de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF). Au sein des instances fédératives, plusieurs personnes travaillent au service de l’ensemble des Églises et sont rémunérées collectivement par celles-ci : un secrétaire général, son assistante et, selon les périodes, d’autres types de ministères (responsable du développement, responsable de la communication, responsable de la formation, etc.). Pourtant, ces ministères supra-locaux ne sont aucunement mentionnés dans le cadre des « Principes ecclésiastiques » qui régissent pourtant l’organisation ecclésiale de notre Fédération(19). Notre ecclésiologie congrégationaliste semble avoir des difficultés à envisager la possibilité de ministères qui dépassent le cadre de l’Église locale, mais qui, pourtant, contribuent à l’unité des Églises. Il me semble que la légitimité de tels ministères d’unité n’est pas sans fondements bibliques et théologiques.
Conclusion : vivre la diversité des ministères dans l’Église d’aujourd’hui
Lorsque Éphésiens 4.11 est replacé dans le contexte plus large du Nouveau Testament, il paraît peu raisonnable de faire des « cinq ministères » un modèle type pour l’organisation de l’Église. Par contre, ce texte nous invite à prendre en compte la diversité des ministères, une diversité voulue par Dieu et utile pour la croissance de l’Église.
Comment vivre la diversité des ministères dans nos Églises évangéliques ? En guise de conclusion, je propose d’envisager quelques pistes ou orientations :
- Le titre « pasteur » est un titre usuel dans notre société pour désigner le « ministre » du culte protestant. Afin de ne pas compliquer davantage la communication avec nos contemporains qui ont déjà bien du mal à comprendre nos structures ecclésiales, il ne serait pas forcément opportun de renoncer à cette appellation courante. Il me paraît donc une bonne chose de continuer à appeler « pasteurs » les ministères rémunérés par nos Églises. Toutefois, au-delà de ce titre, il convient d’être attentif à la diversité des charismes. Certains pasteurs ont clairement un don pour l’enseignement, d’autres pour l’accompagnement, ou pour la direction de l’assemblée, ou encore pour conduire l’Église dans la louange ou la prière. Certains pasteurs sont plus « évangélistes », d’autres davantage « prophètes » ou « bergers ». Cette diversité des dons, des parcours et des vocations, correspond, à mon avis, à l’enseignement du Nouveau Testament. Ne cherchons donc pas à « formater » nos pasteurs, mais accueillons leur diversité comme voulue par Dieu.
- Sachons accompagner les vocations en tenant compte de cette diversité. Cela implique d’accepter que tous les futurs « pasteurs » ne suivent pas forcément la même formation ou le même parcours. Cela nous pousse également à être attentifs aux vocations « peu conventionnelles ».
- Réfléchissons à la manière dont cette diversité des ministères peut être au bénéfice de l’Église universelle : par des collaborations entre Églises d’une même ville, par des réseaux inter-Églises ou via l’organisation de nos mouvements d’Églises nationaux et internationaux. Une mise en commun des « compétences » permet aux pasteurs d’exercer leurs dons, et aux Églises d’en bénéficier : les membres d’une Église qui ont un pasteur plutôt « évangéliste » apprécieront de recevoir la visite d’un pasteur qui est davantage « enseignant », et inversement.
- Une vraie réflexion mériterait d’être menée concernant le rôle et le statut des ministères qui dépassent le cadre de l’Église locale. La notion de « ministère d’unité » me semble tout à fait biblique et nous aurions probablement intérêt à mettre en valeur ce ministère dans nos Églises évangéliques.