Le livre des Actes des Apôtres nous conte un Paul qui, vers la fin de son troisième voyage missionnaire, se dirige vers Jérusalem alors même qu’il sait pertinemment (puisque l’Esprit l’avait averti) que bien des détresses l’y attendent. Et dans son discours devant les anciens d’Éphèse, il a des paroles d’une grande beauté et d’une rare intensité (Ac 20.18-38). Des paroles que nous pouvons entendre aujourd’hui encore, et recevoir pour nos propres ministères pastoraux.
Mais j’aimerais m’attarder en particulier sur les versets 26 et 27, dans lesquels Paul déclare :
“C’est pourquoi je vous l’atteste aujourd’hui : je suis pur de votre sang à tous, car je vous ai annoncé tout ce que Dieu a décidé, sans rien dissimuler.”
Paul, ici, fait très certainement référence à Ézéchiel 33.1-6, et à son ministère de “guetteur” pour le peuple :
“La parole du SEIGNEUR me parvint : Humain, parle aux gens de ton peuple ! Tu leur diras : Lorsque je fais venir l’épée contre un pays, et que le peuple du pays prend dans ses rangs un homme et le fait guetteur, si cet homme voit venir l’épée contre le pays, sonne de la trompe et avertit le peuple, et si celui qui entend le son de la trompe ne se laisse pas avertir, et que l’épée vienne l’enlever, son sang sera sur sa tête. Il a entendu le son de la trompe, et il ne s'est pas laissé avertir : son sang sera sur lui. Celui qui se laisse avertir sauvera sa vie. Si le guetteur voit venir l’épée et ne sonne pas de la trompe, si le peuple n’est pas averti, et que l’épée vienne enlever quelqu’un, celui-ci sera enlevé dans sa faute ; mais son sang, je le réclamerai au guetteur.”
Ainsi, le langage de la culpabilité à cause de la mort d’une personne est ici appliqué à la responsabilité spirituelle de Paul, qui a été fidèle dans sa présentation du message qui mène à la vie : l’Évangile. Comme un guetteur, Paul a tenu au courant ces personnes du danger et du moyen d’être sauvé du jugement et de la mort. Il s’ensuit que si certains ont choisi de ne pas l’écouter, leur sang (leur mort spirituelle) repose sur leur propre tête, et certainement pas sur celle de l’apôtre.
Ces paroles me surprennent. Non que je remette en question leur vérité, bien évidemment. Je ne questionne pas la sincérité de Paul, et encore moins sa consécration dans le ministère. Ce qui me surprend, ou m’interpelle, c’est que quelqu’un puisse dire cela. Que quelqu’un regarde son propre ministère dans sa globalité, et qu’il parvienne à une conclusion aussi positive et certaine. Remarquez les mots employés : “Je suis pur de votre sang à tous, je vous ai annoncé tout ce que Dieu a décidé, je n’ai rien dissimulé”.
Une telle déclaration me rappelle celle du roi David à la fin de sa vie (2 S 22.21-25). Celle-ci, tout aussi vraie, tout aussi sincère, est peut-être plus étonnante encore, car le péché de David est notoire dans les Écritures, et en particulier dans les chapitres précédant ces versets. Au milieu de son psaume de louange pour la grandeur et la fidélité de Dieu, David regarde, lui aussi, à sa vie et à son ministère, pour dire :
“Le SEIGNEUR m’a traité selon ma justice, il m’a récompensé selon la pureté de mes mains, car j’ai gardé les voies du SEIGNEUR, je ne me suis pas éloigné de mon Dieu comme les méchants. Toutes ses règles sont devant moi, et je ne m’écarte pas de ses prescriptions. J’ai été intègre envers lui, et je me suis gardé de toute faute. Aussi le SEIGNEUR m’a rendu selon ma justice, selon ma pureté en sa présence.”
Alors, comment interpréter de telles déclarations, de la part de Paul et de David ? Et surtout, pourrions-nous en dire autant de nos propres ministères ? J’imagine que tous, nous nous l’inter dirions, par humilité et par simple intégrité, nous sachant évidemment imparfaits, pécheurs et loin d’être irréprochables.
Je ne sais pas si j’arriverai un jour, comme David ou Paul, à avoir un regard similaire au leur sur ma vie et mon ministère. Mais aujourd’hui, sur la base de leurs propos, je m’interroge néanmoins sur notre façon habituelle de considérer nos vies et nos ministères de pasteurs ou de responsables d’Église. Et si nous nous dévaluions trop ? Et si, à force de nous dévaluer, de rappeler notre péché, nos imperfections, nos manquements, etc., nous dévaluions aussi Dieu et le ministère qu’il nous confie ? Oui, c’est Dieu qui nous fortifie, oui nous sommes des serviteurs inutiles et certainement pas indispensables, mais Dieu se sert de nous pour accomplir ses desseins. Et dans le ministère, nous collaborons ensemble ! Avec ce que nous sommes (des femmes et des hommes imparfaits, pécheurs), mais en faisant de notre mieux, et souvent bien !
Un collègue pasteur baptiste (un certain Simon…) rappelle à qui veut l’entendre qu’il s’agace parfois qu’on dise “gloire à Dieu” quand quelque chose fonctionne dans l’Église, mais qu’on blâme le pasteur quand quelque chose ne marche pas. Et si nous apprenions tous à dire aussi “gloire à Dieu” quand quelque chose ne fonctionne pas, et merci au pasteur quand ça marche ?
Bonne lecture, et que ce nouveau numéro des Cahiers de l’École Pastorale et sa maquette complètement renouvelée, vous encourage et vous fortifie dans votre collaboration avec notre grand Dieu, dans le service commun !
Nicolas Farelly