9 juin 1564. Pierre Woeiriot, Neufchâteau et la Réforme

publié le 9 June 2022 à 02h01 par José LONCKE

9 juin 1564. Pierre Woeiriot, Neufchâteau et la Réforme

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Pierre Woeiriot, graveur ornemaniste du 16e siècle, est né à Neufchâteau, d'après son dire, en 1532, et est décédé en 1599 dans sa maison forte de Damblain, dont il était le seigneur .

Il a suivi un solide et dur apprentissage du métier d'orfèvre, sans doute près de son père, d’Étienne Briot qui tient école à Damblain, puis à Lyon. Cet apprentissage est combiné à une réelle culture générale.

Il le raconte dans la préface de son « livre d’anneaux et d’orfèvrerie » paru à Lyon en 1561 :

« Parquoi je de mon premier et propre tat, orfèvre, qui des arts manuels traite le plus précieux et le plus incorruptible sujet , qui est l’or, …et depuis à icelui ajouté les arts de portraiture, peinture, et sculpture, perspective et architecture, et aussi de taille enlevée et enfoncée, engravure et imitation du naturel, provenant tant de nature propre, que acquises par instruction des maîtres élus, que aussi par labeur, et exercice continuel et imitation diligente, avec pérégrination lointaine diverse et curieuse : pour voir, connaitre et en suivre les singularités antiques, et icelles à ma possibilités renouveler et représenter. En sorte que peu ne me semble et ne me repens y avoir employé partie de ma jeunesse. Je n’ai voulu être ingrat envers mon premier art d’orfèvrerie qui aux autres m’a ouvert le chemin et par lequel j’ay commencé ».

Le privilège royal d'impression nous révèle que les quarante feuillets de modèles d'orfèvrerie ont été gravés avant décembre 1554. Il a déjà sa maîtrise. En 1554 aussi il nous donne une vue de Lyon en 1554.

Dans l’épitre dédicatoire de ce livre il montre au Duc de Lorraine qu’il est fier de son art, fruit d’un travail acharné ; il a vingt-quatre ans :

 « A très et très puissant prince Charles par la grâce de Dieu duc de Calabre, de Lorraine, de Bar, de Gueldres, P. Woeiriot, de Lorraine, souhaite gloire et bonheur. Alexandre surnommé le Grand, mettant Lysippe dans l’art de la sculpture et Apelle en peinture au-dessus de tous les autres artistes, défendit par un édit royal que nul autre que Lysippe fit sa statue et nul autre qu’Appelle son portrait ; prince assurément digne d’être honoré par les travaux si parfaits de tels artistes. Aussi à leur exemple, car j’ai tenté avec ardeur de marcher sur leurs traces non seulement dans l’art du dessin, mais aussi, comme l’hébreu Tubal, dans tout travail du cuivre et du fer, de l’argent et de l’or, c’est à vous, qui êtes un grand prince et prenez modèles sur nombre de rois, que je dédie mon œuvre, quelle qu’elle soit, mon œuvre dis-je, non quant à l’explication historique des sujets représentés, car les descriptions sont tirées de Lilius Georgius, mais quand aux dessins des planches d’images. Celles-ci, je les ai fondues et polies ; j’y ai dessiné au simple trait, avec le plus grand art que j’ai pu, suivant la description littéraire ; ensuite dessinée, je les gravées au burin ; enfin gravées, je les ai mises à la presse, tirées à l’ancre et publiées sous les auspices de votre très illustre nom, afin que la France, nourrice des beaux arts, sache que je suis un de vos sujets lorrains, moi qui, dans cette dédicace, vous reconnais pour mon prince sur la terre. Adieu A Lyon. »

Il grave en tout une quarantaine de portraits de personnages rencontrés tant en Italie, qu'à Lyon ou en Lorraine. On lui doit aussi quelques vignettes sur bois, 100 illustrations des Emblèmes chrestiens de Georgette de Montenay, des dessins d'ornements ou d'orfèvrerie et même quelques médailles coulées.

Il a beaucoup voyagé pendant et après sa formation. On le trouve à Rome, Bologne, sans doute Florence, centre de l'orfèvrerie, puis à Lyon. La même année il grave le portrait de la célèbre poétesse Louise Labé et y exprime déjà tout son talent.

Il s'installe pour un temps à Lyon à cette époque et y côtoie un cercle d'artistes et de poètes, comme ses amis Barthélémy Aneau, à qui il dédiera ses modèles d'orfèvrerie, ou Louis des Masures dont il fera le portrait; il y dévoile ses talents d'ornemaniste. Les troubles religieux du début des années 1560 l'éloignent provisoirement de Lyon.

À Lyon, sous l'influence du poète Louis ses Masures, il se convertit au protestantisme.

C’est une « conversion » personnelle, qui a a lieu vers 25 ans. Il a a connu l’heureuse secousse, comme le montre l’Emblème 95, avec sa signature sur le cou.

À partir de 1555 en effet le calvinisme progresse notablement en France, et s’organise malgré les persécutions.

Son penchant pour la réforme est maintenant évident ; d'ailleurs il fait deux portraits de Calvin.

En outre, vivant à Lyon durant plus de dix ans, Woeiriot a pu conforter son adhésion dans le milieu des imprimeurs, artistes et humanistes lyonnais, largement acquis à la Réforme (tel son ami Barthélemy Aneau, assassiné en 1561). Durant ses séjours en Italie (entre fin 1556 et milieu 1560), «il a même peut-être été en relations avec des groupes de réfugiés huguenots » 3 . Entre 1562 et 1572, il « multiplie et prolonge ses séjours hors de la Lorraine », où sévit la répression contre les conventicules réformés (Saint-Mihiel, Saint-Nicolas de Port, Deuilly). Woeiriot était à Lyon au moment même de la prise du pouvoir municipal par le parti huguenot en 1562, et c’est à Lyon, durant cette décennie 1560, que son œuvre, d’abord consacrée classiquement à des modèles ornementaux d’orfèvrerie et à des hommages à l’Antiquité, prend une évidente inflexion réformée.

Pierre Woeiriot dédie Barthélémy Aneau son Livre d'anneaux d'orfèvrerie, 40 dessins de bagues et pendants d'oreilles, avec une dédicace et deux quatrains.

Dans la création de bagues pour lesquelles son imagination n’a aucune limite ! Les anneaux imaginés par Woeiriot sont tout à fait significatifs du XVIe siècle et illustrent le style maniériste mis à la mode par les dynasties régnantes qui souhaitent « étaler » leur richesse et leur originalité. Les maîtres de de ce style s’affranchissent des codes classiques de la Renaissance, en élevant l’étrange, l’incompréhensible et le bizarre au rang d’idéal esthétique.

La préface de cet ouvrage est très précieuse ; il y explique qu'il a reçu une formation d'orfèvre, puis s'est tourné vers "l'art du portrait, la peinture, la sculpture, la perspective, l'architecture, la taille enlevée et enfoncée et la gravure". À ce propos, sur ses vignettes gravées sur bois, il montre qu'il possède l'art de la perspective.

En 1561, il entreprend la gravure de 36 planches pour illustrer L’Ancien Testament, pour le marchand Antoine God, l'ouvrage est publié en 1580.

Entre 1566 et 1577, il illustre les Emblemes ou devises chrestiennes, de Georgette de Montenay, dame de compagnie de Jeanne d’Albret. Il a pu rencontrer Georgette de Montenay à Bar le Duc (du 1er au 9 mai 1564) ou à Lyon (9 juin au 9 juillet 1564), lors du tour de France de Catherine de Médicis et de son fils Charles IX en 1564. Mademoiselle de Montenay était protégée de Jeanne de Navarre, qui était du voyage, accompagnée de son fils Henri, le futur Henri IV.

Mademoiselle de Montenay était protégée de Jeanne de Navarre, qui était du voyage, accompagnée de son fils Henri, le futur Henri IV .

Après un séjour à Augsbourg, en 1571 à Damblain, dans les Vosges où il vient d'hériter du fief et du titre de sa mère Urbaine de Bouzey et y meurt en 1599.

Toujours très minoritaires en Lorraine ducale, les réformés sont issus de milieux généralement privilégiés (aristocratie et bourgeoisie ; artisanat, notamment du métal, du verre et du cuir) ; les couches rurales ne sont pas touchées. Faute de groupes structurés, les protestants du duché restent isolés et dispersés, donc politiquement faibles, et soumis à d’incessantes menaces ou pressions. Comme les guerres de religion s’enchaînent et que se radicalisent les positions, il devient très difficile pour eux de persévérer individuellement et ouvertement dans leur pratique réformée. Abjurer ? S’exiler ? Se conformer par semblant ? Les choix sont difficiles, personnels, et nous n’avons pas à en juger. Les plus jeunes et les plus fidèles à leurs convictions s’en vont. D’autres composent, se soumettent, au moins extérieurement, et préservent ainsi l’unité et le patrimoine de leur famille, leurs offices auprès du Duc, et la paix sociale. François Briot quitte Damblain en 1579, Woeiriot reste à Damblain, et y meurt en 1599… Woeiriot est donc rentré dans le giron et la norme de l’Eglise catholique, peut-être parce que chez lui « l’indépendance d’esprit, les curiosités intellectuelles prédominaient sur les convictions religieuses » 55 .Nous avons établi dans notre Miroir calviniste que l’adhésion de Woeiriot à la Réforme a été assurément sincère dans les années 1555-1570 ; son œuvre gravé témoigne à l’évidence qu’il est même un des artistes les plus « engagés » pour la Cause protestante durant ces douloureuses décennies de persécutions et de guerres. Ainsi son adhésion allait-elle certainement « au-delà d’un choix intellectuel ».

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Oeuvres :

Sur les 410 gravures du catalogue de Woeiriot,

-62 sont des planches d’ornements (gardes d’épée, pendants d’oreilles, anneaux) ;

-94 représentent des scènes historiques de l’Antiquité, des statues et des monnaies antiques ;

-148 sont des images de la Bible et des emblèmes chrétiens, clairement calvinistes.

-45 sont des portraits de contemporains, plus du tiers concerne des réformés notoires, au premier rang desquels Calvin lui-même, ou des sympathisants avérés des débuts de la Réforme.

Ainsi Woeiriot a-t-il dessiné et gravé le portrait de :

°1556 : François Douaren (1509-1556), professeur de droit à Paris puis à Bourges, converti secrètement selon son ami Doneau, qui l’avait encouragé à faire profession publique de la Réforme.

°1560 : son ami le poète Louis des Masures, qui animait le petit groupe réformé de Saint-Nicolas de Port bientôt dispersé (et dont faisait partie le frère de Woiriot). En 1562, il se réfugie à Metz ; devenu pasteur en 1566, il meurt en 1574 à Sainte-Marie aux Mines.

-°Jean-Melchior Wolmar (fils du professeur de Calvin), qu’il a pu rencontrer dans le Wurtemberg.

°1562 : Thierry de La Mothe, avec sa devise : « entre l’espoir et la crainte », et 1570 : son frère Louis de la Mothe, avec sa devise : « l’une et l’autre Fortune ».

°1562 : Antoine Le Pois ; et 1579 : son frère Nicolas Le Pois. Woeiriot a gravé les planches (sur cuivre et surbois) du Discours sur les médailles d’Antoine Le Pois, paru à Paris en 1579.

°1564 : François d’Agoult ; et François de Scépeaux de Vieilleville, gouverneur de Metz, cette année-là, gouverneur de Lyon (alors dirigée par les calvinistes). La devise du Maréchal est « In spem contra spem » (« je suis dans l’espérance, contre tout espoir ») Ils sont en relation avec Antoine God, pour qui Woeiriot a commencé de graver les Histoires de la Bible (éditées en 1580).

- 1568 : Jean Calvin, « à la cape » - 1573 : Jean de Salm, gouverneur de Nancy

- 1576 : Jean-Casimir, comte palatin du Rhin, qui intervient avec une armée protestante passant la Meuse à Neufchâteau pour se rendre en France, en 1575 (sa devise est « que revienne la confiance au monde »).

- 1576 : Jean Barnet (1532-1591), au service de Jean de Salm, à Badonviller (puis conseiller et secrétaire de Charles III). Le portrait a pour devise une citation du Psaume 99 : « Suscipe servum tuum inbonum », « Soutiens ton serviteur dans le bon chemin »..

-1586 : François de Choiseul, baron de Meuse

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Il revient à Woeiriot d’illustrer entre 1563 et 1567 les Emblemes, ou Devises chrestiennes de Georgettede Montenay, qui constitue le premier recueil d’emblèmes protestant en Europe, le seul composé par une femme, et le premier recueil d’emblèmes français avec des gravures sur cuivre. L’inspiration en est nettement réformée comme le montre la densité des références bibliques9 , très majoritairement néotestamentaires, notamment pauliniennes, afin d’illustrer de façon novatrice la doctrine de Calvin.

La place de la signature. Woeiriot signe d’une petite croix de Lorraine chacune des cent vignettes emblématiques du recueil. Cette croix de Lorraine est judicieusement apposée dans l’image où elle montre comment l’artiste s’implique personnellement, comme acteur et garant de ce qu’il grave. Elle vaut pour une confession de foi sincère de Woeiriot, qui au fil du recueil atteste ainsi discrètement de sa foi, du Salut qu’il a reçu gratuitement, de l’espérance qui le porte, de sa prise au sérieux de l’Ecriture… (ci-dessous, repérez la signature sur la base de la Colonne de la Foi, portée par la main de Dieu, et dans le cœur, haut porté à Dieu par l’innocent).

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Le décor sculpté de l’Hôtel de Houdreville à Neufchâteau

Le décor sculpté de l’Hôtel de Houdreville, portail, puits, escalier, est attribuable à Pierre Woeiriot, l’artiste local le plus réputé des années 1560-1580. D

Woieriot, a sans doute conçu et dessiné le décor à portée emblématique de l’Hôtel de son ami Jean de Houdreville, décor dans lequel nous croyons entendre une prédication calviniste, dans un contexte lorrain pourtant troublé par les conflits religieux en France, et hostile à la Réforme.

La façade sur la rue Saint-Jean. D’une belle ordonnance en pierre de taille, à un seul étage, surmonté de combles, la façade superpose les ordres toscan et ionique, soulignés par des corniches. Les baies à meneaux sont encadrées de pilastres plats. La porte monumentale, rejetée à droite, n’a pas d’équivalent en 1583 en Lorraine : accostée de deux colonnes cannelées, surmontées de chapiteaux corinthiens, l’arcade est couverte de sculptures de palmes et de fruits.

Ce décor exubérant prend un sens emblématique, comme celui de l’escalier, et cela est dû à son probable concepteur, l’artiste Pierre Woeiriot, très au fait de l’architecture et des décors de son temps.

On peut lire sur ce portail des allusions personnelles à la foi de son commanditaire, Jean de Houdreville :

Les palmes des écoinçons font allusion au Psaume 92 : « Le Juste fleurira comme la palme ».

Les cornes d’abondance sur l’entablement rappellent de façon emblématique que la Fortune accompagne la valeur personnelle.

L’oeil rayonnant au cintre, est le premier exemple d’un œil divin sculpté sur un édifice civil à l’époque ; il fait allusion au Psaume 33 (« l’œil du Seigneur est sur ceux qui le craignent, sur ceux qui attendent sa fidélité »).

Le puits de la cour (déplacé en 1976) est à l’imitation d’un puits élevé par Philibert Delorme à Lyon. Sa coupole est surmontée d’une statue de fantassin à l’antique : son écu porte les armoiries de Jean de Houdreville (trois gerbes de blé). Cet homme d’armes fait allusion au soldat du Christ, décrit par l’épître aux Ephésiens : « Tenez bon : ceignez vos reins de vérité et revêtez la cuirasse de la justice ; prenez lebouclier de la foi… ». A l’intérieur de la coupole du puits, un mascaron aspire à boire l’eau vive de la Parole de Dieu.

Que conclure sinon que la surreprésentation numérique de portraits de réformés contemporains dans son œuvre gravé, notamment dans les années 1560, semble prouver que Woeiriot les tenait en particulière estime et amitié, et partageait sans doute alors les mêmes convictions.

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Source : Discours de réception de Monsieur Pascal Joudrier Parcours d’un artiste lorrain de la Renaissance au regard de la Réforme, Pierre Woeiriot (1532- 1599)

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