Alors que la fin de l’hiver dernier approchait, un fait d’ampleur mondiale, inattendu, inouï s’est produit. Pour la première fois dans l’Histoire, des nations ont décidé que la vie d’êtres humains l’emporterait sur l’économie et le commerce mondial.
La Covid-19 a provoqué l’impensable
Pour des semaines, la trace des avions a disparu dans le ciel, les cargos sont restés à quai, les rues se sont vidées de leurs voitures, les usines se sont mises au ralenti. La spéculation internationale a, pour un instant, été déboussolée. Mammon* avait un genou à terre. Ainsi, la peur, celle de la mort et d’une nouvelle « peste noire », celle des services hospitaliers succombant sous la charge, a produit une décision qui, la veille, aurait été une ineptie à peine digne d’un film d’horreur. Aucun cours d’économie n’avait jamais envisagé cette hypothèse. Quelques pays de tradition protestante et quelques dictatures ont traîné la patte, mais ont fini, peu ou prou, par suivre l’exemple. Pour la première fois à l’échelle mondiale, la vie l’a emporté sur le gain**.
Plutôt bon signe
Si l’on reconnaît souvent à l’argent une emprise « démoniaque » sur le monde, ce sursaut de préservation de la vie demeure une étincelle d’espérance. Chapeaux bas devantle courage des politiques qui ont mis en œuvre l’impensable ! Devant la Covid-19, les nations riches se sont vues tout à coup « aveugles, pitoyables, nues et misérables », tout comme les nations pauvres.
Le caractère spectaculaire et inouï de cette décision manifeste, en réalité, l’emprise phénoménale de l’argent sur la mécanique du monde.
L’exception qui confirme la règle
En fait, la domination écrasante de l’argent sur le monde atteste la faille qui est en chacun de nous. La Bible évoque ce mal dans sa forme pathologique de la cupidité. Tout humain est sensible à cette tentation. La dérive des moyens offerts par des systèmes politiques et économiques multiplie à l’infini ce besoin d’avoir toujours plus d’argent.
De victimes de leur angoisse, quelques-uns deviennent exploiteurs des autres. La science économique est indispensable aux nations, comme un minimum de gestion l’est à la vie familiale. Mais notre temps a vu naître la « financiarisation » du monde, une pratique dont le but est le profit maximalisé, utilisant pour cela les connaissances les plus pointues des sciences, de la statistique, des mathématiques, de l’informatique, de la psychologie. Ainsi les profits de quelques-uns croissent toujours, hors de toute considération éthique ou, au summum de l’hypocrisie, avec une éthique de façade.
L’argent maître du monde
Depuis la nuit des temps, les puissants organisent la captation des biens des autres. La conquête du monde, l’esclavage, la colonisation, les guerres les plus violentes… avaient pour moteur l’enrichissement des nations européennes. Le racisme y trouve sa source. Toute volonté d’enrichissement se fait contre la justice et le droit des peuples. Des sociétés commerciales sont, par leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices, plus puissantes que nombre d’États. Au vu de leur poids financier, leur volonté est écrasante lors des décisions internationales régulant commerce et écologie. Elles peuvent dicter leur loi, celle du rendement, dans l’agrochimie, les énergies, la pharmaceutique, l’informatique, les télécommunications…
Mon regard en tant que chrétien
Le chrétien n’invente pas l’économie. Il s’attache à ce qu’elle demeure au service du bien commun, donc de la justice. Je sais qu’il y a des mafieux, des cyniques et des cupides. Je sais que la constante d’un désir malsain nous traverse tous, cette tentation de la sécurité par la richesse, par la possession, par l’accumulation. Le chrétien que je suis recherche et reçoit sa sécurité profonde du Dieu de l’Évangile et non de Mammon.
Mes choix
Par ailleurs, l’Évangile m’invite à des choix de vie dont le discernement est exigeant et m’engage. J’apprends, par exemple, à résister aux chants des sirènes vantant les produits les moins chers comme étant la marque du souci humain, de la noblesse et de la générosité des grandes enseignes. En vérité, je sais que ces prix ne sont possibles que par l’écrasement des producteurs, parfois aussi par l’exploitation d’enfants. Ils génèrent des profits considérables dont la caissière de l’hyper ne verra rien. La peur du manque, celle de rater la « bonne affaire » attisent aussi la cupidité. S’opposer à la suprématie des groupes puissants doit se faire aussi collectivement.
Je ne suis pas seul
La lutte pour un droit au service de la justice est collective. Je veux soutenir les organisations internationales qui œuvrent déjà en faveur du droit et de réglementations attentives aux plus faibles. Je refuse de me désolidariser des plus pauvres du monde et me réjouis de ce qu’il y a toujours des êtres de bonne volonté. C’est important pour moi de soutenir et rejoindre ceux qui ne plient pas le genou devant le dieu Argent.
Les choix individuels en matière de consommation sont essentiels, mais l’engagement collectif est indispensable. Sans lui, le risque est grand de se suffire d’une bonne conscience, or je prie « que ton règne vienne », c’est mon espérance.
L’argent, un révélateur de l’âme humaine
Les mots « argent », « économie », sont complexes. L’argent a une fonction positive et essentielle. Il permet et facilite les échanges entre les humains, car sans lui ils sont impossibles. Le troc se heurte vite à sa propre limite : « Ce que tu me proposes contre ce que je te propose… ne m’intéresse pas. » L’argent fluidifie les échanges, permet de multiples transactions, et des générosités qui seraient compliquées sans lui.
Le lecteur de la Bible sait que la vieille loi d’Israël* prévoyait qu’un pèlerin qui se rendait au temple à Jérusalem pouvait échanger sa part des récoltes qu’il venait offrir contre sa valeur en argent, plus simple à transporter. Le principe de l’usage de l’argent est moralement neutre. Il est même parfois un facteur de justice. Hélas, l’âme humaine est fissurée. Une angoisse profonde peut engendrer la cupidité et entraîner un usage pervers de l’argent.
*Deutéronome 14.24-27