Il fut un temps où il semblait impossible d’interdire de fumer, que ce soit dans les avions, les trains, les restaurants ou le lieu de travail. Une telle interdiction semblait être une atteinte à la liberté de chacun. Mais les choses ont changé. Personne aujourd’hui ne considère qu’interdire de fumer dans les lieux publics est une atteinte à la liberté.
Le problème de l’anonymat

De la même manière, il semble pour certains qu’il ne faut pas réguler les réseaux sociaux. Pour eux, ce serait une atteinte à la liberté d’expression. La société accepte donc que certaines personnes soient insultées, harcelées, et quelquefois même poussées au suicide, tout cela au nom de la liberté. Certes, les insultes et le harcèlement ont toujours existé, mais leur démultiplication par les réseaux sociaux leur a donné une force effroyable. Il est évident que, si chacun déclinait son identité, cela calmerait un peu le jeu. Comment insulter quelqu’un si on risque de le rencontrer le lendemain dans la rue ou au bureau ? Savoir aussi qui vous insulte ou vous harcèle vous permet, selon le cas, soit de hausser les épaules, soit de porter plainte. La levée de l’anonymat n’empêcherait pas la liberté d’expression, mais serait un frein à la lâcheté et à la grossièreté gratuite. Pour autant, le problème ne serait pas réglé ; il y a, en effet, des gens qui insultent et harcèlent sans vergogne, en affichant leur nom. C’est même une spécialité de certains politiques qui ont compris que les médias s’intéressent davantage aux gens provocateurs et grossiers qu’aux personnes modérées et polies.
Le règne de la manipulation
Si le problème de la régulation des réseaux sociaux se pose au niveau des individus, il se pose aussi au niveau des États. Jusqu’à présent, l’Europe était la cible de la Russie et de ses alliés qui tentaient de la déstabiliser avec leurs usines à trolls ; ils profitaient de l’anonymat des réseaux sociaux pour créer des milliers de faux comptes chargés de propager des fake news et pour déstabiliser les démocraties occidentales. De façon paradoxale, le danger vient maintenant également des États-Unis. Par exemple, Elon Musk s’est permis d’insulter le chancelier allemand, et n’hésite pas à s’immiscer dans la politique des États européens pour influencer leurs électeurs. L’Europe se trouve donc coincée entre deux maux, dont on ne sait quel est le moindre ; d’un côté, la Russie et ses alliés qui avancent masqués (sans oublier la Chine), et, de l’autre, les Américains qui agressent à visage découvert sans se préoccuper de la vérité. Les plus grands réseaux d’influence du monde sont entre les mains de dictateurs à l’Est et de milliardaires essentiellement intéressés par l’argent à l’Ouest.
Est-il possible, dans ces conditions, de réguler les réseaux sociaux dans les pays démocratiques européens, sans toucher à la liberté ? Tout est possible, pourvu qu’il y ait la volonté politique – on l’a bien vu pour le tabac !