Nous sommes prompts à nous enflammer à la mort d’une star du rock, à la victoire de notre équipe de foot nationale ou à l’incendie d’un chef-d’oeuvre de l’Histoire. Mais à chaque événement sensationnel, c’est le même processus en cinq temps bien rythmés.
– l’annonce sidérante
La nouvelle surgit souvent sur les réseaux sociaux. Elle « tombe », comme un coup de foudre dans un ciel bleu. Ce que l’on croyait permanent – ou impossible – est arrivé ! Stupeur, sidération, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Elle tourne en boucle sur BFM, qui rabâche inlassablement les mêmes images, les mêmes petits bouts de phrases, le tout commenté par des experts dépêchés pour l’occasion. On veut en savoir un maximum, quitte à interviewer des gens qui n’ont rien vu, mais qui « étaient là ». C’est
le temps de la sur-information.
– l’acmé émotionnelle
Les réactions ne se font pas attendre. Émotionnelles, excessives – forcément excessives – et largement partagées. Les manifestations spontanées se multiplient : on descend dans la rue pour crier, pleurer ou klaxonner, on défile en rouge ou en blanc, on dépose des hommages (fleurs, poèmes), on allume des bougies, on change sa photo de profil… Chacun y va de son souvenir ou de son anecdote personnelle : j’y étais, je l’ai connu… Certains se font tatouer telle date ou tel nom, « pour s’en souvenir ». D’autres impriment des t-shirts qui s’arrachent en quelques jours. On communie ensemble. C’est
le temps de l’union.
– le déferlement médiatique
Tout le monde y va de son reportage, de son direct, de son documentaire spécial. On ressort de vieilles images d’archives, on interroge le fils de la cousine d’un témoin direct. Certains réclament un concert spécial, d’autres lèvent des fonds ou constituent des cagnottes, d’autres encore envisagent de rebaptiser des rues… Des petits malins ont déposé un nom de marque, d’autres des noms de futurs sites Internet. On sature tous, on est au bord de l’écœurement. C’est
le temps de la récupération.
– la période des doutes
Des voix dissonantes commencent à s’élever. Elles temporisent. Au minimum, elles reprochent l’excès. Certains émettent des critiques : sur la forme, le fond, le principe… Les protagonistes ne sont pas aussi blancs qu’on a bien voulu nous le dire, les événements ne se sont pas exactement passés comme cela, il y a eu du dopage, de la corruption, des tractations secrètes… Des camps s’affrontent désormais : les partisans et les opposants – tous aussi scandalisés les uns que les autres. Sur les réseaux sociaux, la violence et l’imprécation ont remplacé l’union. Chacun veut avoir raison et défend son point de vue. Le café du commerce est virtuel, chaque individu s’y pose en expert. C’est à ce stade qu’interviennent les complotistes et leur discours bien rodé : c’est un coup monté, on ne nous dit pas tout, c’est fait pour nous détourner des vrais problèmes du pays (le chômage, l’immigration, le terrorisme…). C’est la faute du gouvernement, de l’armée, des francs-maçons ou des Illuminati… On évite le sujet dans les déjeuners de famille, sinon on s’écharpe. C’est
le temps de la critique.
– le désaveu
Au bout de deux semaines à un mois, le sujet est épuisé – et nous aussi. En reparler nous met au comble de l’agacement. Tout cela est si décevant. Mais déjà, une autre actualité l’a remplacé. Aussi émouvante, encore plus clivante. Et comme nous avons si peu de mémoire, nous recommençons… La réaction épidermique précédera toujours la réflexion. C’est
le temps du zapping.