Un phénomène significatif
Le populisme de droite interpelle d’abord par son extension. En effet, aucun pays européen n’est épargné, les jeunes comme les vieilles démocraties. Et, hormis les pays où prévaut un scrutin majoritaire à deux tours qui tend à freiner leur accession au pouvoir, comme la France ou la Grande-Bretagne, les partis populistes obtiennent des sièges à tous les échelons décisionnels.
Cette influence du populisme est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans la durée, puisque c’est dans les années 70 que sont nés les premiers partis populistes actuels, avec les partis antifiscaux norvégiens et danois. Et si, jusqu’à la fin des années 80, les politologues ont pu se demander si ce n’était qu’un phénomène conjoncturel, comme le poujadisme des années 1950 en France, les succès électoraux répétés des partis populistes, leur capacité à s’adapter, ou leur influence sur les autres partis politiques, les ont obligés à considérer le populisme comme un phénomène structurel de nos démocraties.
Ce phénomène est, par ailleurs, significatif à cause du contexte dans lequel il s’est développé, à savoir des sociétés d’abondance. Non pas que nos sociétés ne connaissent pas de crises ou de problèmes sociaux – nous y reviendrons – mais, globalement, nos pays sont des pays riches. Or, le populisme avait essentiellement été considéré comme un phénomène de pays pauvres. De même, si le vote ouvrier est une part importante (un tiers), ces partis sont aujourd’hui capables de s’adresser et d’obtenir les suffrages de toutes les couches sociales.
Le populisme de droite retient enfin notre attention en raison de sa diversité, en ce sens que l’on y trouve aussi bien des droites parlementaires qui se sont radicalisées, comme le FPÖ autrichien et l’UDC suisse, que des partis issus de l’extrême droite mais qui ont pris leur distance avec leur héritage fasciste, comme le Parti de la liberté néerlandais, que des populismes de séparation comme le Vlaams Belang en Belgique, ou encore des extrêmes droites à l’ancienne, comme l’Ataka bulgare. Mais si ces divers mouvements/partis se sont vu attribuer l’étiquette « populiste », c’est bien parce qu’ils ont un dénominateur commun.
Quel discours et quel projet pour les partis populistes ?
Le populisme se caractérise avant tout par son discours : c’est « un style politique fondé sur le recours systématique à la rhétorique du peuple et la mise en œuvre d’un mode de légitimation de type charismatique(2) ». En effet, si tous les leaders prétendent parler au nom du peuple, le leader populiste « fait un usage particulier, exclusif, systématique du principe de la souveraineté du peuple, à l’exercice duquel il réduit la vie démocratique(3) ». Cet appel direct au peuple permet de court-circuiter les élites, considérées comme illégitimes car incompétentes et corrompues. Le populiste se présente même comme le seul représentant légitime du peuple, car lui seul serait sensible à ses préoccupations profondes.
Les thématiques de la victimisation voire du complot sont présentes : le peuple est victime des élites et du système, et le leader populiste se lève pour défendre le peuple, en dénonçant au passage le complot politico-médiatique qui voudrait le faire taire.
Le discours populiste est aussi caractérisé par l’excès – outrance, mise en cause personnelle des adversaires – et joue à fond sur les ressorts affectifs comme la colère. Enfin, si tout leader politique tend à faire des promesses peu tenables ensemble, le leader populiste tient des promesses absolument irréalistes – immigration zéro, insécurité zéro, etc. –, qui relèvent de la « magie politique(4) ».
Sur le fond, si le populisme n’est pas une idéologie ou une théorie politique à proprement parler(5), et que la particularité des contextes nationaux colore l’offre populiste, le populisme européen de droite présente, néanmoins, certaines caractéristiques communes.
Commençons par souligner la dimension protestataire du populisme : avant d’être « pour » le populisme est « contre ».
Le populisme est anti-élites : nous l’avons déjà souligné.
À cette première opposition verticale « peuple vs élites », vient s’ajouter une seconde opposition : « nous vs les étrangers », ou plutôt les « étrangers » en notre sein, i.e. les immigrés. La dimension xénophobe du populisme est en ce sens assez évidente, même si elle n’est pas toujours assumée explicitement. La promotion de l’opinion xénophobe serait même une condition sine qua non du succès électoral populiste, d’où le moindre succès des populismes de gauche(6). Il a ainsi été proposé de définir tout simplement ces partis comme des partis anti-immigrés(7). C’est, en effet, autour du rejet de la figure de l’immigré que les électeurs issus des différents milieux sociaux se retrouvent : les couches populaires pour la pression sur le marché du travail, les couches moyennes pour le financement du système social, et, tous, pour l’altération de l’identité nationale.
C’est surtout l’immigration musulmane qui est pointée du doigt, parce qu’elle est vue comme la source d’une hétérogénéité culturelle déstabilisante et incompatible avec les valeurs des démocraties libérales. Le tour de force ici opéré par la plupart des populismes contemporains, et qui marque leur distance d’avec le fascisme, c’est en effet que le refus de l’islam est fait, dans le discours officiel, au nom de la liberté, et non plus au nom d’un racisme biologique ou culturel. Le cas français est révélateur à cet égard...