Cet article vise à élargir notre louange de Jésus-Christ, mort et ressuscité, en examinant quelques cantiques centrés sur le Sauveur. Quand nous louons le Fils de Dieu, nous confessons notre foi. Quand nous célébrons le Christ, depuis son incarnation jusqu'à son retour, nous proclamons sa grâce dévoilée tout au long de son ministère (les recueils de chants qui suivent un ordre autre qu'alphabétique nous aident à retrouver des cantiques relatifs à l'histoire du salut). Sans observer toute l'année liturgique, nous pouvons chanter la naissance du Christ à Noël et sa résurrection à Pâques. La Cène, célébrée le Jour du Seigneur, permet d'annoncer sa mort aussi par le chant. Le fait que le chant soit au cœur même du culte évangélique exige qu'on parvienne mieux à honorer le Ressuscité. Ceci suppose qu'on détermine bien les répertoires et qu'on fixe les critères pour choisir les chants. Nous écrivons ces lignes afin d'aider les animateurs à mieux apprécier les cantiques pour leur contenu.
Si nous traitons surtout des cantiques, modernes ou anciens, sans évoquer les hymnes au Christ dans le N.T., c'est parce que nous voulons des textes qui présentent la personne du Fils et l'action du Christ pour aujourd'hui (faut-il rappeler que Pline Le Jeune entendait chanter les premiers chrétiens qui entonnaient un hymne au Christ comme à Dieu ?) L'intelligence de la foi et la transmission des croyances bibliques en dépendent. Or, les refrains de louange visent plus à renforcer une ambiance qu'à stimuler la pensée. D'ailleurs, l'oubli des cantiques classiques, parfois par ignorance ou par mépris pour une musique jugée dépassée, nous incite à déballer des trésors restant au grenier. Nous discuterons uniquement les textes en présentant, le cas échéant, la version rajeunie du groupe de la FPF. Seul un renvoi aux recueils existants indiquera la mélodie, que nous estimons "chantable" et entraînante pour une assemblée évangélique.
L'adoration de Jésus mon Sauveur caractérise les chants d'assemblées issus des Réveils évangéliques. Ceci est particulièrement le cas des cantiques de Zinzendorf, "Ô Jésus, Tu nous appelles" ; de César Malan, "Hosanna ! Béni soit le Sauveur débonnaire". Certaines formules que l'on rencontre dans les productions traditionnelles de l'Armée du Salut ou chez Ruben Saillens, telles "Le Sauveur adorable" ont mal vieilli. Bernard Reymond relève leur "Jésus-centrisme" qu'il oppose au théocentrisme des psaumes chez les réformés(1). Sans souscrire à une telle analyse, nous constatons deux orientations opposées qui tendent involontairement à affaiblir la louange du Christ-Jésus.
D'une part, de nombreux cantiques multiplient les termes d'adresse indifférenciée, tel Dieu ou Seigneur, qui s'appliquent au Père comme au Fils, voire au Saint-Esprit. Ces titres apparaissent plus souvent que Jésus ou Christ. Ainsi, l'expérience d'une relation personnelle avec le Sauveur cède la place à un chant objectif voire froid et distant, par crainte de l'émotionnel. Ceci caractérise de nombreux chants catholiques. Toutefois, la poésie du parolier réformé Henri Capieu laisse parfois à désirer par son flou doctrinal(2). Même ses cantiques : "Jésus, ton nom est le plus beau" (ARC [Arc en ciel] 255), "Nos cœurs te chantent" (ARC 257) et "Ô Jésus mon frère !" (ARC 610) n'échappent pas à cette critique.
Par contre, les chorals luthériens ont généralement un contenu christologique très riche(3). À titre d'exemple, citons "Viens, ô Sauveur des païens" (ARC 304). L'incarnation est prise au sérieux "Ô Dieu tout puissant créateur" : (ARC 358, ATG [A toi la gloire] 103) et la croix y figure comme le lieu du sacrifice pour expier le péché O.Traurigkeit, O. Herzleid "Dans sa douleur" (ARC 462, ATG 122 retouché). Le recueil suisse Psaumes, Cantiques et Textes (1976) contient quelques exemples réussis que le groupe de la FPF a remis à l'honneur : "Jour triomphant du Fils de Dieu" rendant bien "Heute triomphiert Gottes Sohn" de K. Stolshagen. Citons deux autres que le recueil œcuménique éditera à nouveau pour un public français : "Brillante étoile du matin" et "Louange et gloire aux plus hauts cieux". Ce dernier est plus proche de l'antique hymne "Gloria in excelsis" que la version d'ARC 261. Et pourtant, certaines versions modernes atténuent parfois la portée christique et réduisent les mentions du salut par peur du piétisme.
Certes, beaucoup de cantiques s'adressent à Dieu par souci de prier le Père. Mais cela ne nous empêche nullement d'intercéder auprès du seul Médiateur. Les chants trinitaires à trois strophes manifestent un divin équilibre. Certains chrétiens évangéliques rechignent à invoquer l'Esprit d'une façon identique ; c'est le cas de "Nous t'adorons, nous t'aimons" 3ème strophe ! (JEM [J'aime l'Éternel, recueil de Jeunesse En Mission] 329, ARC 267, ATG 45). Ce refus peut frôler une subordination de l'Esprit peu compatible avec la théologie trinitaire de l'Évangile selon Jean.
D'autre part, parmi la récente production des chants de louange on observe un emploi excessif de quelques titres du Christ : Agneau de Dieu et Roi des rois, sans guère d'explication sur leur sens ! Le patois de Canaan est bien vivant, le titre "Lion de Juda" ne nous fait pas oublier que "l'ennemi rôde comme un lion". Le Jésus historique semble se réduire à un objet d'amour, parfois avec des relents d'érotisme. Des cantiques de Zinzendorf avaient déjà suscité, avec raison, pareille critique. Le Christ de la foi se sépare de son milieu historique et cesse d'être le Messie des Écritures ! On peut objecter que ces chants n'ont pas la prétention d'offrir des formules doctrinales, mais de favoriser l'intimité avec Jésus ! Cette remarque soulève une question de fond. Le chant d'assemblée est-il incantation, poésie ou récitation de vérités dogmatiques ? Aucun de ces termes à lui seul ne suffit à désigner ou à résumer les multiples fonctions du chant. Néanmoins, le manque de profondeur théologique est quand même alarmant. D'où la nécessité de varier les genres de musique et de veiller sur le sens des paroles. Si l'on ne chante que des refrains, "à qui irions-nous ?"
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