Qu'est-ce qu'être épouse de pasteur ?
A-t-elle est un rôle particulier ? Ces questions incontournables et cependant rarement posées explicitement, restent chez beaucoup sans réponse évidente. N'y a-t-il pas autant de réponses que de chrétiens dans nos Églises ? Si j'ai choisi de commencer par là, c'est qu'il ne me semble pas qu'il y ait, dans nos milieux en tous cas, une crise de vocations pastorales, mais je me demande si nous n'allons pas vers une crise de vocations de femme de pasteur. Il suffit de parler avec un certain nombre de jeunes couples dont le mari se prépare à entrer dans le ministère, pour constater qu'ils ont tellement entendu parler de famille pastorales où les enfants ou l'épouse se plaignent d'un mari disponible pour tous sauf pour eux, qu'ils ont une peur terrible de tomber dans ce travers-là et réagissent en allant parfois à l'opposé, cherchant à se barricader dans un foyer "forteresse imprenable" pour garder un niveau d'intimité familiale difficilement conciliable avec un ministère pastoral. Il faut dire qu'à la fin des années 70, le modèle du pasteur capable de tout sacrifier, même sa famille, pour son ministère était encore malheureusement une référence.
L'absence de repères
Il me semble que l'absence de compréhension claire des conséquences du fait d'être "épouse du pasteur" et des différentes manières possibles de le vivre, fait que la plupart d'entre nous réagissent surtout à ce qu'elles ont vu vivre chez d'autres, soit par répulsion, "surtout pas ça !", soit au contraire en cherchant à l'imiter. Je me rends compte que, lorsque j'ai épousé quelqu'un qui se destinait au ministère pastoral, je n'avais pas d'idée bien précise de ce que cela impliquerait pour moi. Richard avait son idée, qui était que je le seconderais en m'occupant de l'école du dimanche et en jouant éventuellement du piano, il m'avait aussi prévenue en plus que nous serions toujours fauchés ! D'autres, à cette époque-là, m'ont parlé aussi de ce qui m'attendait : une femme de pasteur que nous connaissions m'a fait plaisir en me disant qu'elle était sûre que je serais une bonne épouse de pasteur ; elle m'a également fait un peu peur en élargissant le rôle décrit par Richard : "tu sais jouer du piano, tu fais l'école du dimanche, tu t'occuperas du groupe de dames et tu as un ministère d'accueil et d'hospitalité". Une autre personne a exprimé son admiration pour la femme du pasteur de l'Église où elle travaillait comme assistante : "elle est discrète, n'essaie pas d'influencer son mari dans son ministère". J'ai commencé à pressentir que, plus la définition d'un rôle est vague, plus le risque est grand de se trouver coincée entre les idées et attentes des uns et des autres. Par ailleurs, je ne trouve pas non plus dans les Écritures ce profil clair de la femme du pasteur. On s'improvise - heureusement - de moins en moins pasteur (nos pasteurs bénéficient de formation théologique sérieuse, assistent à des sessions de l'École pastorale et disposent des Cahiers ; notre Fédération a adopté un document sur le ministère pastoral), mais on s'improvise toujours et totalement femme de pasteur.
Complexité et ambiguïtés
Nous voilà donc embarqués dans une vie de "couple pastoral" avec toute sa complexité et toutes ses ambiguïtés. Pour commencer, lors de la consécration pastorale de Richard, on m'a invitée à m'avancer pour être consacrée en même temps que lui, sans qu'à aucun moment on ne me dise à quoi cela correspondait. Je ne voulais contrarier personne, mais ne comprenais pas plus que les autres ce que cette consécration voulait dire.
Ce que j'ai bien vite compris, par contre, c'est que pour certains - assez nombreux - la femme du pasteur est un peu comme Marie pour certains catholiques : on lui confie les choses pas très agréables que l'on n'ose pas dire directement au pasteur dans l'espoir qu'elle les lui transmette. Ma réaction instinctive était de le défendre, de le justifier ; je me mettais à sa place et souffrais des critiques comme si elles me concernaient personnellement. En fait, pour certains c'était un moyen de se défouler sur une personne plus vulnérable, en l'absence du courage d'assumer le face à face avec celui qui est mis en question. J'ai dû apprendre à mettre un peu de distance avec ces réflexions, et inviter ces personnes à les adresser à celui qu'elles concernent. Dans un registre proche, je me suis vue reprocher à diverses reprises, et par la même personne, le fait de ne pas rappeler à mon mari, dont la mémoire est parfois un peu défaillante, des choses qu'il devait faire, ainsi que de ne pas veiller à ce que les locaux de l'Église soient toujours maintenus propres et prêts pour nos rencontres. Ceci me mettait en rage, et Richard a fini par dire très clairement, "ma femme n'est ni ma secrétaire, ni la bonne de l'Église : si tu as des réflexions à faire, adresse-toi directement à moi !". Le message a été reçu, mais l'intervention était indispensable.
Il y a aussi des surprises agréables, comme lorsqu'une sœur de l'Église d'Orléans a voulu rendre service à la jeune mère de jeunes enfants que j'étais en faisant du ménage chez moi. Cela m'avait un peu étonnée, mais j'avais trouvé sympathique qu'une personne ait la générosité de penser que la femme du pasteur est quelqu'un à qui l'on peut rendre service. Il y avait même, lorsque nous sommes arrivés, un certain respect. On attendait comme naturel que je commande aux activités traditionnellement dévolues aux femmes dans nos Églises, mais sans qu'il y en ait pour autant l'exigence. J'appréciais beaucoup l'esprit de service et la reconnaissance des contraintes du foyer pastoral, et j'ai apprécié de ne jamais entendre exprimer vis-à-vis de moi des exigences quant à mon rôle de femme de pasteur dans l'Église, même si je ne me suis jamais retrouvée dans ce rôle de "chef des femmes" !
Comment je vis aujourd'hui ce rôle
Maintenant que j'ai décrit mon expérience de l'attitude des autres vis-à-vis de la femme du pasteur, j'aimerais dire de quelle façon je vis aujourd'hui ce rôle. Si je me vois surtout comme un membre de l'Église qui a sa place à trouver selon ses dons et les besoins de l'Église, il existe quand-même quelques particularités propres à cette situation.
De manière différente, et à des degrés différents selon les besoins et les circonstances, l'accueil a été un aspect important de ma collaboration avec Richard. Nous avons hébergé de nombreuses personnes en difficulté, pour des périodes plus ou moins longues, surtout pendant nos années à Amiens. Ensuite, nous l'avons fait moins, nos conditions de logement et de vie familiale s'y prêtant moins et les occasions s'étant moins présentées. Par contre, j'ai toujours considéré comme très important l'accueil de ceux qui se présentent à la porte ou, ce qui est le plus fréquent maintenant, au téléphone - membres de l'Église ou personnes en recherche. Je connais quelques couples pastoraux qui tiennent absolument à conserver l'intimité familiale, et choisissent pour cela de ne pas habiter à proximité du lieu de culte et même de gérer le téléphone de manière à ce qu'on ne puisse pas les joindre à certains moments. Il faut de la sagesse et de la souplesse. Je suis convaincue qu'il y a un appauvrissement du ministère lorsqu'on met des barrières trop rigides et qui pourraient être ressenties comme infranchissables par celui qui est dans le besoin. Évidemment, cela dérange parfois, et nous avons le droit de dire "non" à l'occasion, mais je ne vois pas comment on peut vivre un ministère sans plus qu'un minimum de disponibilité, et je peux témoigner que, lorsqu'on l'accepte joyeusement, qu'on le vit de façon positive et constructive, c'est une leçon d'Évangile et de générosité précieuse pour nos enfants aussi.
Quelques sources de frustration
D'autres points, apparemment mineurs, pèsent parfois de manière étonnamment lourde, comme être seule pour préparer les enfants pour le culte le dimanche matin, essayer d'y être à l'heure et veiller à ce qu'ils ne chahutent pas trop pendant le culte ! Lorsqu'ils étaient petits, ne pas pouvoir alterner avec mon mari pour assister aux études bibliques ou réunions de prière a été une source de frustration et de sentiment de manque, d'autant plus que j'ai découvert ce qui paraît une évidence quand on y réfléchit, mais on n'en parle jamais dans ces termes là - c'est qu'on n'est pas le pasteur de sa femme. La relation du couple, même empreinte de partage spirituel, est d'une autre nature, et leur proximité même exclut forcément le recul nécessaire à une écoute pastorale. Se confier à un membre de l'Église est délicat. Celle qui croit qu'en épousant un pasteur elle sera particulièrement bien placée pour qu'on s'occupe de ses besoins spirituels, risque de trouver le réveil très dur. En fait, on ne peut pas se permettre trop d'états d'âme, et celle qui est émotionnellement ou psychologiquement fragile aura, je pense, beaucoup de mal à tenir le coup. Je ressens qu'il y a un vrai besoin d'accompagnement des femmes de pasteur. Il me semble important également de penser un cadre où des couples pastoraux en difficulté puissent trouver de l'aide.
Le partage des rôles
Ceci m'amène à aborder un sujet un peu délicat, mais que je veux regarder en face : il s'agit des à côté de la pastorale des femmes. Certaines femmes, souvent mais pas exclusivement des femmes seules, de façon inconsciente investissent énormément de choses dans la personne du pasteur : il devient le grand frère, le papa, le mari qu'on n'a pas eu ou qui a déçu. Nous en avons pris conscience par rapport à une personne en situation particulièrement difficile qui se servait sciemment de cela pour manipuler les hommes qu'elle rencontrait, y compris le pasteur. Je me suis d'abord sentie coupable de manquer de générosité envers cette personne qui avait si souvent besoin de l'aide de mon mari, puis nous avons fini par en parler, j'ai pu exprimer mon malaise et lui sa conscience de la tentative de manipulation et de la difficulté à la contrer sans faillir à sa responsabilité de pasteur. Ce genre de situation, et des dérapages qui ont eu lieu chez certains, ont amené des couples à se partager le ministère au niveau de la pastorale, en sorte que le mari évite de visiter seul une femme et laisse cette partie du ministère à sa femme. Nous n'avons pas adopté ce fonctionnement là. Le danger me semble effectivement particulièrement présent lorsque la communion fraternelle et le ministère sont vécus de manière très affective. Richard tient à garder une certaine distance qui évite des équivoques et n'empêche pas du tout un accompagnement et un vrai souci des personnes. Nous ne nous croyons pas à l'abri des difficultés, mais travaillons à maintenir la confiance mutuelle par des échanges sincères.
De manière plus générale, en ce qui concerne le partage du ministère, il est clair que je ne suis pas pasteur ; c'est mon mari qui a été appelé par une Église pour être son pasteur. À partir de là, il peut éventuellement m'inviter à le seconder s'il pense que cela est bon est nécessaire, comme il peut le demander par ailleurs à une autre personne dans l'Église. Richard estime que les personnes qui viennent le voir doivent pouvoir se confier à lui, sachant qu'il ne va pas tout me raconter après, qu'elles se confient à lui et pas à moi. S'il souhaite partager avec moi ce qu'on lui a confié, il en demandera la permission à la personne concernée. Par ailleurs, il me demande parfois de l'accompagner pour une visite, ou d'en effectuer une, mais ce n'est pas du tout systématique. Bien sûr, à plusieurs reprises cette pratique du secret pastoral à l'intérieur du couple a suscité quelques frictions, des personnes supposaient que j'étais nécessairement au courant de ce qu'elles avaient confié à leur pasteur et comme je ne leur en parlais pas, elles avaient l'impression que je ne m'intéressais pas à ce qu'elles vivaient. Moi même, j'ai dû apprendre à accepter que mon époux soit à l'évidence préoccupé par des soucis qu'il ne pouvait pas partager avec moi. Ce fut un des apprentissages difficiles de notre période "jeune couple pastoral". Je vis aussi cette séparation assez marquée comme une garantie contre la tentation d'être une de ces épouses dont la rumeur prétend qu'en vérité elles dirigent l'Église depuis le presbytère !
En guise de conclusion
Si certains apprécient cette discrétion, d'autres s'en étonnent et ne comprennent pas toujours que leur pasteur souhaite trouver à la maison un lieu où il peut laisser de côté pour un temps les fardeaux qu'ils ont pu lui confier. Les porter sans répit, y revenir encore chez soi, deviendrait trop pesant. Et c'est là que je touche à ce que je vis comme l'aspect le plus important du rôle de la femme du pasteur, à côté duquel tout ce qu'elle peut faire par ailleurs est finalement accessoire. Le pasteur a besoin d'un foyer où il se sente en sécurité, où il sait qu'il peut se ressourcer, qui soit comme une base solide à partir de laquelle il peut exercer son service. Il doit être bien dans son couple, dans son foyer pour pouvoir donner le meilleur de lui-même à l'Église. C'est un rôle essentiel, souvent vécu dans l'ombre. Voilà ma première exigence vis-à-vis de moi-même par rapport à ce rôle de femme de pasteur : tout faire, par la grâce de Dieu, pour que mon mari trouve dans son couple et son foyer la force qui lui permette d'exercer de son mieux le ministère que Dieu lui a confié.