Introduction
Être à la fois ancien dans mon Église et maire d’une commune depuis bien des années m’a souvent fait réfléchir à cette relation particulière qui lie celui qui est responsable de l’administration communale comme de l’ordre public, et celui qui a « charge d’âmes ». Les deux charges sont honorables et nécessaires. Elles sont aussi complémentaires. C’est pourquoi l’autorité civile et l’autorité spirituelle ne peuvent que se rencontrer, avoir affaire l’une avec l’autre et devraient pouvoir se parler sereinement. Mais le souci, précisément, réside dans le fait que ce sont des « autorités ». Il existe dès lors, inévitablement, un rapport de pouvoir. On ne sera donc pas étonné de rencontrer des « zones de conflits », et des sujets de tension voire de discorde. Chacun a, bien entendu, son point de vue et regarde l’autre depuis son estrade (qu’elle soit républicaine ou ecclésiale). Il faut pourtant parvenir à s’écouter et à se comprendre pour mieux se respecter. Parmi les vertus exigées par Dieu pour les évêques et les diacres (les pasteurs et les anciens sont également concernés), il en est deux qui méritent d’être soulignées ici : ils doivent être « conciliants et pacifiques » (1 Timothée 3.3). Et puis on trouve, dans la Parole de Dieu, une recommandation générale qu’il convient de ne pas oublier : « S’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. » (Romains 12.18). La Bible est d’une grande lucidité (il n’y a rien d’étonnant à cela, puisqu'elle est Parole de Dieu !) : la paix ne sera pas toujours possible. Nous devons toutefois y travailler car une part dépend de nous. Et si la paix ne peut se maintenir ou s’établir, nous devrons néanmoins demeurer « conciliants et pacifiques ». C’est ce chemin de paix, cette utile conciliation que je veux, par ces lignes, aider à tracer et à amorcer. J’ai bien souvent servi de médiateur entre des Églises et leur commune et je sais, d’expérience, que de bonnes relations peuvent se construire ou se rétablir. Si ce n’est pas nous qui gardons la foi, qui la gardera pour nous ?
J’aborderai les relations du pasteur et du maire sous sept angles différents, énonçant les points communs, les complémentarités et les différences de leurs missions puis de leurs responsabilités. Je donnerai ensuite des conseils pratiques afin d’établir de bonnes relations dans le cadre de la laïcité française. Je terminerai enfin par une courte réflexion biblique sur la ville avant de vous présenter « l’Opération Jérémie » que le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine a développée depuis 2014.
1. Le pasteur et le maire : ce qu’ils ont en commun
Le pasteur et le maire ont l’un et l’autre la responsabilité d’une communauté. L’un et l’autre sont chargés de faciliter et de garantir le vivre ensemble. Curieusement, ils ont l’un et l’autre un double statut : le maire et le pasteur sont citoyens, mais le maire est investi du pouvoir républicain (et à ce titre il représente l’État), et le pasteur est investi d’un appel particulier qui lui a été adressé par Dieu(1). L’un et l’autre sont « élus ». Le maire a dû « faire campagne » pour cela, et le pasteur a accepté la grâce de Dieu (son élection ne dépendait pas de ses qualités personnelles). L’un comme l’autre sont redevables devant Dieu et devant les hommes, et tous deux doivent un jour rendre compte de leur administration, comme le rappelle très sérieusement la parabole de Jésus dans l’évangile de Luc(2). Le maire et le pasteur rencontrent leurs semblables, ils les écoutent (normalement !) et sont très souvent sollicités pour toutes sortes de besoins. Tous les deux doivent faire face aux mécontents, aux râleurs, aux récalcitrants, aux beaux-parleurs, à ceux qui savent toujours mieux que tout le monde… Ce n’est pas pour rien que la lettre aux Hébreux contient cette recommandation :
« Obéissez à vos conducteurs et soumettez-vous à eux, car ils veillent sur votre âme en hommes qui devront rendre des comptes. Ils pourront ainsi le faire avec joie, et non en soupirant, ce qui ne vous serait d’aucun avantage(3). »
Combien de pasteurs et de maires pourraient lire ces mots en levant les yeux au ciel : « Si seulement les relations humaines pouvaient se vivre ainsi et que ma fonction et mes sacrifices pouvaient être respectés et soutenus ! ». Voyez, le maire et le pasteur pourraient faire la même prière !
2. Le pasteur et le maire : des missions et un statut très différents
La Loi française confère aux maires un statut, des missions et des pouvoirs bien spécifiques(4).
En tant qu’agent de l’État, sous l’autorité du préfet, le maire remplit des fonctions administratives comme : la publication des lois et règlements ; l’organisation des élections ; la légalisation des signatures. Sous l’autorité du procureur de la République, il exerce des fonctions dans le domaine judiciaire : il est officier d’état-civil et officier de police judiciaire.
En tant qu’agent exécutif de la commune, le maire est chargé de l’exécution des décisions du conseil municipal et agit sous contrôle de ce dernier (même si parfois un maire autoritaire peut largement donner le sentiment que c’est lui qui contrôle le conseil municipal, et dans les faits cela peut se vivre ainsi). Il représente la commune en justice, passe les marchés, signe des contrats, prépare le budget, gère le patrimoine communal. Il exerce des compétences déléguées par le conseil municipal et doit alors lui rendre compte de ses actes. Les délégations que le conseil donne au maire portent sur des domaines très divers (affectation des propriétés communales, réalisation des emprunts, création de classes dans les écoles, action en justice...) et sont révocables à tout moment. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, autorise le maire à subdéléguer, à un adjoint ou un conseiller municipal, les attributions qui lui ont été confiées par délégation. Le maire est titulaire de pouvoirs propres. En matière de police administrative, il est chargé de maintenir l’ordre public, défini dans le Code général des collectivités territoriales comme le « bon ordre », la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Il s’agit également de polices spéciales (baignade, circulation…). Le maire est aussi le chef de l’administration communale. Il est le supérieur hiérarchique des agents de la commune et dispose d’un pouvoir d’organisation des services.
Que dire à présent des pasteurs ? Depuis la loi de 1905 dite de « séparation de l’Église et de l’État », l’État cesse de salarier et de rémunérer les ministres des cultes reconnus. Dès lors, en régime de séparation, il n’y a plus, à proprement parler, de statut spécifique des ministres du culte. Ceux-ci se voient appliquer le droit commun en vigueur à tout individu sur le territoire français.
« Néanmoins, du fait même de leurs fonctions, les ministres du culte peuvent être soumis à des règles particulières. Par exemple, un ministre du culte n’a pas le droit d’enseigner dans les écoles primaires publiques(5). »
J’attire particulièrement l’attention du lecteur sur ce dernier point. Alors qu’un pasteur peut exercer le métier de professeur du second degré (en collège ou en lycée), il ne peut pas être « professeur des écoles » et exercer dans les écoles maternelles et élémentaires. Les missions du pasteur ne bénéficient pas de la même reconnaissance que celles des maires, même si son rôle est socialement identifié et souvent reconnu. Si le pasteur est président de l’association cultuelle qui donne à son Église une existence légale, alors son statut de président lui confère des pouvoirs et des responsabilités liés à sa fonction associative. Le pasteur est aussi identifié comme celui qui prend soin des personnes et des membres de sa paroisse. Écrivant aux Éphésiens, Paul rappelle que Dieu a donné les pasteurs et les enseignants pour « former les saints aux tâches du service en vue de l’édification du corps de Christ(6) ». Cette mission, l’apôtre la caractérise par trois impératifs qu’il emploie au chapitre 2 de l’épître à Tite : « dis… encourage… reprends », ceci en cohérence avec une attitude et des paroles irréprochables afin « que nos opposants n’aient aucun mal à dire de nous(7) ». Si le pasteur s’occupe du corps de Christ, son ministère le met naturellement en lien avec tout ou partie du « corps social » ; celui-là même dont s’occupe le maire, sous un angle différent.
3. Le pasteur et le maire : des responsabilités différentes
Nous allons à présent détailler quelques-unes des responsabilités du premier édile de la commune et du responsable de la communauté chrétienne locale. C’est un peu technique, mais utile pour mieux comprendre les obligations de chacun.
S’il est président de l’association cultuelle (loi de 1905) ou de l’association culturelle (loi de 1901) qui fonde légalement sa communauté, le pasteur et les membres du Conseil d’administration engagent ...