De la chaise à la chaire - Vade-mecum du prédicateur néophyte

Extrait La prédication

Pasteur à Paris, Richard Gelin enseigne la prédication dans plusieurs institutions de formation théologique et pastorale.

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De la chaise à la chaire - Vade-mecum du prédicateur néophyte

Espérée ou inattendue, l’invitation est là et vous avez répondu positivement(1). Bientôt vous apporterez votre premier message à une assemblée chrétienne. Comme auditeur l’exercice peut sembler assez simple, ne s’agit-il pas d’exposer à une assemblée attentive quelques réflexions stimulantes enracinées dans la Bible? Souvent pour vous la prédication a été encourageante et vivifiante. Vous en connaissez le potentiel de bénédictions. Toutefois, quelques expériences plus pénibles, des sermons trop longs, incompréhensibles, voire manipulateurs, vous ont déjà convaincu qu’il est aussi possible d’en faire, pour l’auditeur, un mauvais moment à passer! Vous savez donc déjà par expérience que la satisfaction du prédicateur n’est pas le garant de celle de l’auditeur et que la simplicité apparente de l’exercice cache de vraies difficultés. Le projet de cet article est de vous accompagner dans vos premiers pas de prédicateur afin d’en faire une bénédiction pour vous et pour votre assemblée. Je me propose donc de vous présenter quelques principes de base, mais aussi une ouverture vers un horizon plus lointain en inscrivant ces principes élémentaires dans des exigences propices au développement d’un vrai ministère.

• L’exigence d’un service.

D’abord sois sûr que ce service de la Parole est capital. Si tu as quelques doutes, relis ce que Paul écrit aux Romains 10.14-17 «Comment croiraient-ils en lui sans l’avoir entendu? Et comment l’entendraient-ils, si personne ne le proclame? Et comment le proclamer sans être envoyé?… Ainsi la foi vient de la prédication et la prédication, c’est l’annonce de la Parole du Christ». Les origines de la prédication chrétienne s’enracinent dans le commentaire qui, lors des rassemblements d’Israël, suivait la lecture de la Loi «en en donnant le sens et en faisant comprendre ce qui était lu» (Né 8.8). Comme le ministre éthiopien, (Ac 8), confiant à Philippe son besoin d’être guidé pour comprendre ce qu’il est en train de lire, les chrétiens reconnaissent que l’interprétation des Écritures a une dimension communautaire dont le prédicateur est une expression. C’est que la Bible n’est pas un livre facile à lire, ni aujourd’hui, ni hier: l’apôtre Pierre témoigne que «les écrits de Paul abordent des questions difficiles dont les gens ignares et sans formation tordent le sens» (2 Pi 3.15-16). La Bible demande à être interprétée. Le prédicateur est un interprète des Écritures dans son siècle. L’Église a besoin d’hommes et de femmes capables d’expliquer les Écritures pour que le peuple de Dieu croisse dans la foi et l’expérience chrétienne et que le non-croyant puisse entendre l’Évangile. C’est à ce ministère fondamental que tu es appelé. Il participe à l’essentiel de la nature de l’Église. Si dans la communauté chrétienne tous les services sont d’une égale dignité et n’induisent pas de hiérarchie, il n’en est pas moins vrai que le ministère de la Parole est dans l’Église un ministère permanent et indispensable. N’est-ce pas à propos de la prédication que Paul écrit: «Les anciens qui exercent bien la présidence méritent un double honneur(2) surtout ceux qui peinent au ministère de la parole et de l’enseignement» (1 Tm 5.17).

Ce service va marquer profondément ta vie. Tu vas lui consacrer du temps et être heureux de le faire. J’aimerais te dire qu’avec l’expérience l’exercice deviendra plus facile et plus simple. Je l’ai longtemps cru et je découvre que ce n’est pas le cas. Plus les années passent et plus la préparation de la prédication me demande du temps. Tu apprendras à devenir de plus en plus exigeant avec toi-même quant à ta connaissance des Écritures, toujours en chantier, tu y ajouteras une compréhension plus pastorale de l’humain et tu seras de plus en plus attentif à concilier la richesse et la simplicité de tes propos. Que dans ta préparation Dieu te donne d’être à la fois dans l’exigence et dans la tranquillité de sa grâce. On ne peut pas prêcher en dilettante, ce n’est pas un hobby. Il n’y a «prédication» que si l’enjeu nous paraît fondamental parce que manifestant une dimension de Jésus Christ et de son œuvre.Ainsi, par l’Église, le Seigneur t’appelle, toi, tel que tu es aujourd’hui. Son appel contient la promesse de son secours et réclame ton plein engagement. Bientôt tu comprendras ce témoignage de Paul: «Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un motif d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi: malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile… c’est une charge qui m’est confiée» (1 Co 9.16-18).

• La parole et le langage.

Prêcher est un acte de parole. Un prédicateur s’intéresse donc toujours un peu au langage. Une lecture erronée du début de 1Corinthiens pourrait sembler en justifier, à tort, le dédain: «Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Évangile, et sans recourir à la sagesse du discours» (1.17) et «Ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu annoncer le mystère de Dieu…». Ce que Paul s’interdit, ce sont les techniques manipulatrices de la rhétorique dont le principe majeur était celui de la séduction tant par la raison que par l’émotion. La lecture de ses lettres manifeste à l’évidence chez lui une riche maîtrise du langage et de ses subtilités. Il ne s’agit pas de séduire, mais de convaincre «Nous cherchons à convaincre les hommes» (2 Co 5.11). Les Écritures témoignent en elles-mêmes que la révélation utilise toutes les formes de la parole et certaines d’une manière très sophistiquée, cf. le psaume 119! Il y a de la beauté, il y a de la poésie, il y a de la sagesse, il y a de l’élaboration qui se manifestent dans les écrits bibliques. Réfléchis à ton rapport au langage comme un ouvrier apprend à utiliser toutes les potentialités d’un outil. Ton langage est transmission. Tout ce que tu vas désirer partager avec tes auditeurs passera par tes mots, par leur précision, par leur simplicité par leur capacité d’évocation. Pour t’aider à réfléchir, voici trois pensées. Médite-les le jour où tu auras un peu de temps.

«Parler, c’est toujours s’exposer à autrui: on prête le flanc à la critique et les paroles peuvent faire l’objet de critique ou de moquerie. Nos paroles peuvent nous couvrir de ridicule. Bon nombre de personnes se taisent par orgueil, par peur de s’exposer. On ne peut pas renoncer à soi et à l’image que l’on a de sa perfection. Le silence devient, dans ce cas, un attachement obstiné à soi.», Axel Grün, Apprendre à faire silence.

«La parole est une notion complexe, qui met en rapport la vie intérieure et la mémoire avec la vie sociale, qui relie l’affirmation de soi et la confirmation des autres, qui suppose un axe de symétrie entre les êtres, celui-là même qui était au cœur de la révolution démocratique grecque et qui confère à la personne son autonomie et sa responsabilité en tant que sujet. La parole se déploie aussi sur une multitude de registres qui dépassent et englobent le langage et la langue et qui combinent, suivant les situations, les capacités expressives, argumentatives, informatives qui sont à notre disposition depuis toujours.», Ph. Breton, Internet: la communication contre la parole, Études juin 2001, p.778.

«L’homme ne peut jamais se saisir de Dieu autrement que dans sa Parole. La seule voie de la révélation est la Parole. S’il s’agit d’une Parole, elle est intelligible, elle est adressée à l’homme, elle porte un sens en même temps qu’une puissance. Elle est décision de Dieu.», Jacques Ellul, La Parole humiliée.

Le philosophe Ludwig Wittgenstein, qui s’est particulièrement intéressé au langage, disait: «Les frontières de ton langage sont les frontières de ton monde». Tout langage pose des frontières. Ce que tu n’es pas à même d’exprimer reste d’abord confus pour toi. Ces frontières sont les limites de ton vocabulaire, mais aussi celles de ton expérience et celles propres à chaque personnalité. Comme prédicateur j’accepte que mon langage ait des limites et en aura toujours, mais je ne renonce pas à repousser ces frontières. Repousser ces frontières c’est me rendre mieux capable de comprendre les autres et de leur transmettre ce que j’ai reçu. Ces frontières sont aussi celles de mes compétences. Continuer à étudier et à découvrir; continuer à s’intéresser aux autres et à leurs expériences; continuer à travailler à la connaissance de soi même, c’est repousser à chaque fois un peu plus loin ces frontières, c’est donc élargir un peu son «monde» et devenir ainsi mieux capable de vraies rencontres des autres et de la transmission de ce que nous avons reçu.

Parce que la parole est l’homme et fait l’homme, parce que la parole est l’une des manifestations fondamentales de l’image de Dieu en laquelle l’humain est créé, elle est donc à la fois le lieu et le moyen où se nouent de violentes tentations, celles de l’orgueil et de la vanité, mais aussi celles du renoncement. Oblige-toi dès le commencement de ton service à être demandeur de retours… autres que laudateurs. Souhaite que ta prédication, et toi comme prédicateur, soient discutés… avec sagesse et douceur. Entoure-toi de quelques personnes en qui tu as confiance, qui oseront avoir vis-à-vis de toi une liberté de parole et apprenez à discuter tranquillement de la manière dont tu vis ce ministère et dont les autres le ressentent. Que ce service ne t’isole pas; sa solitude pourrait t’écraser. Enfin, sache que tous les prédicateurs, même les plus expérimentés, ont de bonnes et de «moins» bonnes prédications. Nous sommes tous, toujours en apprentissage, jusqu’à la fin… ou nous radotons et régressons. Nous apprenons au fil des années combien notre parole demeure maladroite et combien cependant l’Esprit l’utilise. Cette maladresse «congénitale» de la parole humaine pour dire le Dieu vrai n’est jamais une excuse pour un service bâclé.N’hésite pas à demander à ton pasteur ou à des prédicateurs expérimentés que tu apprécies, comment ils font naître et préparent leur prédication. Tu apprendras beaucoup de leur expérience… et tu les aideras à réfléchir à leur méthode. Sache-le, un bon nombre de prédicateurs prêchent «d’instinct», par habitude. Cela est confortable pour eux, mais certainement appauvrissant pour l’assemblée. Ta demande peut les aider à se remettre au travail et à se renouveler!

• Courage!

Une prédication ne se prépare pas à la dernière seconde. Peut être diras-tu avec sincérité que toi tu donnes le meilleur de toi dans le stress, mais tu te trompes. Ce que tu auras porté, mûri, construit sera toujours roboratif quand ce que tu improviseras au mieux sera «bourratif». Ce service de la Parole t’engage dans un double processus. Celui du travail immédiat, lié à la nécessité de préparer la prédication de ce dimanche, et celui de ta formation permanente. Ton appel est un encouragement à des lectures sérieuses, structurantes. Tu vas découvrir le besoin de mieux comprendre la Bible, ses contenus, son univers, son histoire, c’est à dire à mieux inscrire tes propos particuliers dans une connaissance plus globale. Tu vas aussi éprouver le besoin de Dieu lui même, plus que tu ne l’avais éprouvé jusqu’alors. Plongé dans ce qu’Ambroise de Milan nommait «l’océan de la Parole», heureux es-tu quand tu éprouves le besoin du secours de l’Esprit du Seigneur de la Parole. Toute vocation, et à plus forte raison celle-ci, conduit vers le dépassement de ce que l’on est au moment où l’on est appelé. Ceci est certain: «l’inspiration» et la «transpiration», l’Esprit et ton travail, vont de pair. Préparer la prédication te demandera donc du temps, beaucoup de temps. Il faut donc un peu le gérer. Souvent tu devras apprendre à libérer du temps. En acceptant ce service tu découvriras peut être que tu vas devoir renoncer à d’autres engagements. Sois sensible au fait que toutes les heures n’ont pas la même qualité. Cela est très personnel, mais ton sermon demande tes meilleures heures. D.Bonhoeffer donnait un conseil pratique qui au premier abord prête à sourire. Il recommande «d’écrire sa prédication à la lumière du jour. Ce qui est écrit au crépuscule ne supporte souvent pas la lumière du jour»(3). Quand on pense à la quantité de prédications écrites la nuit! Mais je peux témoigner qu’il est vrai que rédiger sa prédication de jour ou de nuit induit des différences. La nuit porte aux grandes envolées lyriques, le jour impose la réalité. Il m’est arrivé de relire certaines de mes interventions dans un Café pour essayer de «humer» ce que les consommateurs comprendraient de mes propos!(4).

Adresse-toi à tes frères comme un frère.

Tu es un témoin. Ne pense pas ta prédication comme un rapport de force avec ceux qui te font la grâce de t’écouter. C’est toi qui parles, ce n’est pas Dieu. Même si ton intention est de faire entendre sa Parole, pour le moment ces mots sont les tiens. N’aie pas l’outrecuidance de croire que Dieu dirait ce que tu dis ou que lorsque tu parles c’est Dieu qui parle! Parle-leur en frère. Ta parole d’intelligence et de foi suffira pour être reçue avec attention. L’Église aura confiance en toi à mesure qu’elle te sentira dans l’esprit du serviteur. Tu seras probablement surpris mais des frères et des sœurs vont dans tes mots humains entendre la voix de Dieu. C’est le mystère toujours renouvelé de la prédication quand il plaît à l’Esprit d’utiliser nos mots pour faire entendre sa Parole sainte au cœur du peuple qu’il aime. Réjouis-toi; reste humble; que tes chevilles n’enflent pas! Si la vanité t’assiège, alors écoute bien ce que l’on te dit, tu te rendras compte que souvent l’Esprit a parlé dans la marge de ton sermon. Accueilles toujours son action comme une grâce qui t’étonne.

Tu ne vas pas parler dans le vide. La prédication est une intention. Elle cherche à:

– faire entendre l’appel que Dieu adresse aux hommes
– rendre témoignage de la manière dont Dieu se manifeste à nous
– appeler à la foi
– rendre intelligible la foi pour mieux la vivre et la transmettre.

La prédication n’est pas le témoignage que tu rends de tes expériences spirituelles personnelles. Apprends à regarder au delà de toi, à l’œuvre de Dieu en Christ, à sa promesse, à sa bénédiction et à son jugement. L’Apôtre Paul a vécu des expériences spirituelles d’une exceptionnelle intensité. Ici où là dans ses épîtres nous en recevons de brèves indications très sobres. Mais Paul ne fait jamais de ses expériences, aussi intenses soient-elles, la voie à suivre. Paul n‘a jamais prêché ses expériences. Il prêche Jésus Christ. Au fil des années, tu vas développer deux compétences très liées, l’une dans l’interprétation du texte biblique et l’autre dans l’interprétation de l’humain. Comprendre la Bible et comprendre l’homme, aimer l’Évangile, et aimer l’homme, ce sont les deux conditions de la prédication. Ne crois pas que la prédication ne te met que dans «l’exigence d’aimer Dieu». Elle te conduit aussi vers celle de l’amour des hommes et en particulier cette Église que tu sers. C’est la règle de l’Évangile, l’amour pour Dieu ne se sépare jamais de l’amour pour le prochain. Toute prédication s’inscrit donc dans le souci d’une double fidélité: fidélité à l’Évangile de Jésus Christ (par la fidélité aux Écritures) et fidélité à l’humain. Trop de prédications s’adressent à un humain inexistant, caricaturé, grossier. Que dans ta prédication l’homme soit toujours aimé, pas seulement de Dieu, mais de toi! Ne méprise jamais tes semblables. Parle de Dieu en vérité, mais, autant que possible, parle aussi de l’humain en vérité. Ne sois pas caricatural. Que nous soyons tous radicalement pécheurs, ne signifie pas que nous soyons tous radicalement dépravés! Si dans ce monde des choses te choquent, pleure sur les hommes mais ne les méprise pas. Garde en tête la logique du sermon sur la montagne: tout ce qu’ils sont, tu l’es aussi. Ne sois donc pas moqueur. Ne fais jamais rire au dépens de quelques-uns. C’est pour cette autre fidélité que F.Craddock dit qu’il prépare toujours sa prédication, en pensant, avec tendresse, à tel ou tel de ses auditeurs. Suis son conseil, pose donc sur ton bureau une photo de ton assemblée et, en travaillant, regarde-la de temps en temps. C’est à eux que tu t’adresses. Sois fidèle à qui ils sont comme tu veux être fidèle à l’Évangile!

Et maintenant au travail!

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Auteurs
Richard GELIN

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1.
Églises qui appelez de nouveaux prédicateurs, priez pour eux et accompagnez les avec patience !
2.
Certains exégètes comprennent «double honneur» comme signifiant : «double salaire» !
3.
D. Bonhoeffer, La Parole de la Prédication, Labor & Fides, p.51.
4.
J’ai le souvenir, voilà quelques années, d’avoir largement modifié mes notes pour un culte à quelques heures de son enregistrement pour France Culture, dans un café parisien, en regardant défiler une manifestation !

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