Nous vivons dans un monde bruyant, n’est-ce pas ? Un monde en ébullition, un monde qui bouillonne. Un monde qui, en période de vacances, ralentit peut-être un tout petit peu, mais continue quand même de s’agiter autour de nous. Et nous participons à ce monde-là, nous le laissons envahir nos vies d’une certaine manière, parfois involontairement, mais le plus souvent volontairement. C’est involontairement que nous sommes bombardés, dans la rue, par des images et les lumières des publicités, par le bruit des voitures, par les cris des enfants et des machines. Mais nous participons aussi à ce tumulte incessant de façon volontaire : par exemple, quand nous regardons la télévision ou écoutons la radio, quand nous suivons notre fil Facebook, quand nous sommes sur Internet… Et c’est là que nous entendons et voyons non plus simplement ce qu’il se passe en bas de chez nous, mais dans le monde entier. C’est là que nous avons vent des derniers attentats, des derniers scandales. C’est là que nous entendons parler du dernier débat de société aux États-Unis. Et nous nous nourrissons de tout cela, incessamment.
Alors, je me pose la question : serions-nous quelque part « accros » au bruit, ou bien avons-nous peur de la solitude et du silence ? Sommes-nous mal à l’aise quand nous sommes seuls quelques instants ? Quand nous sommes dans le silence ? Quand nous ne sommes pas stimulés intellectuellement ou sensoriellement ? Je ne voudrais pas donner l’impression que tous ces moyens de communication et que ces sources d’information n’ont aucun côté bénéfique. Mais ce que je voudrais quand même noter, c’est à quel point un excès de « connectivité » peut nous distraire jusqu’à nous empêcher de communier avec nos propres pensées et d’écouter la voix de notre Dieu. Ce que j’aimerais communiquer, c’est que nous avons besoin d’apprendre ou de réapprendre les vertus de la solitude dans nos vies spirituelles, dans notre marche avec Dieu. Et les pasteurs, comme toute personne ayant une autorité spirituelle ou une responsabilité dans l’Église, plus encore ! D’ailleurs, nos Églises sont bien souvent aussi des lieux en ébullition, où il se passe toujours quelque chose, où il y a tant d’attentes, de mécontentements, de souffrances, mais aussi de joies (heureusement), de bruit, de mouvement…
Tout au long des évangiles, nous lisons que Jésus s’isolait du monde et de ceux auprès desquels il exerçait son ministère. Jésus savait s’isoler pour passer du temps seul, dans la prière et la communion avec son Père. Même quand il était très occupé, très demandé, et même quand il était en train de faire de grandes et belles choses, il se faisait un devoir de s’isoler pour passer du temps seul avec son Père (ex. Marc 1.29-39).
Mais de quelle solitude parle-t-on ? C’est important d’être précis sur ce point, parce qu’il y a différentes formes de solitude, n’est-ce pas ? Il y a la solitude subie, qui n’est pas choisie et qui est pour beaucoup une souffrance. Or, Dieu ne nous a pas créés pour la solitude, mais pour le compagnonnage. Dieu désire que nous vivions avec les autres, en communauté par exemple. Dieu veut que nous ayons des amis à qui parler, des frères et sœurs avec qui partager, une famille avec qui échanger et vivre. Dieu ne désire pas que l’homme soit seul. La discipline de la solitude désigne autre chose. C’est une pratique qui consiste à :
- faire le choix de s’isoler en privé (donc volontairement),
- s’éloigner de ses activités habituelles,
- échapper aux distractions afin de pouvoir passer du temps en privé avec Dieu.
La discipline de la solitude, c’est donc choisir d’être seul avec Dieu, de communier avec le Seigneur, de le prier et d’écouter sa voix, sans être gêné par toutes les distractions de notre monde. Pour le dire autrement, la discipline de la solitude, c’est apprendre à nous mettre en situation de nous focaliser et de nous connecter intimement avec le Seigneur, sachant que nous ne serons pas interrompus par les autres. C’est donc un effort de se déconnecter de tous les appareils de communication, téléphones, ordinateurs… comme des personnes qui nous entourent habituellement. D’être vraiment seuls avec nous-mêmes et avec le Seigneur.
Quelles sont les vertus de la solitude ? Je n’en mentionnerai que la plus grande à mes yeux : elle nous libère de notre conformité au monde. Nous le savons, la routine de la vie peut nous enfermer. La vie de tous les jours a cette capacité, cette puissance de nous murer, en quelque sorte, dans des façons de penser, des façons d’être, de ressentir et d’agir selon un monde qui ne connaît pas Dieu. Nous vivons dans un monde qui, de fait, vit loin de Dieu et cela ne peut que nous affecter, souvent sans que nous nous en rendions compte. Nous entendons les informations et nous sommes façonnés par elles. Nous écoutons de la musique et celle-ci nous habite encore longtemps après l’avoir écoutée. Nous voyons des publicités et nous ne nous rendons même pas compte qu’elles nous poussent à l’achat, à l’insatisfaction de ce que nous possédons déjà. Nous vivons et travaillons au milieu de gens qui ne vivent pas selon les préceptes de Dieu, et, comme emportés par un mouvement de foule, nous vivons, travaillons, pensons et agissons comme eux. Vivre dans le monde nous façonne et nous rend conformes au monde…
Face à cette réalité, la discipline de la solitude nous aide à prendre du temps, loin du monde, pour nous permettre de développer notre liberté vis-à-vis de ce monde et de tous ces comportements qui sont devenus pour nous habituels alors qu’ils ne sont pas nécessairement ce que Dieu désire pour nous. La solitude nous permet ce recul sur la vie de tous les jours qui nous entraîne loin de Dieu. Prendre ce recul nous replace face à Dieu et à lui seul, à son écoute. La solitude nous donne alors une perspective nouvelle sur le monde et sur notre vie dans le monde, elle met en lumière ce qui doit l’être et nous nourrit pour que nous puissions retourner dans le monde, sans être du monde.
Bien sûr, si les bienfaits et les vertus de la solitude sont importants, cette discipline est aussi « risquée ». Le fait est que, nous mettre en situation de solitude, c’est nous placer en situation de luttes intérieures parfois violentes. Là, c’est comme si nous nous débarrassions de l’échafaudage qui, nous le pensons souvent, nous tient debout (le bruit, le mouvement, l’occupation, le travail, les rencontres…). Dans la solitude, nous n’avons pas d’amis avec qui nous entretenir ou nous tenir compagnie. Pas de téléphone, pas d’Internet pour nous informer, pas de musique pour nous divertir. Dans la solitude, nous nous retrouvons seuls, face à nous-mêmes et donc vulnérables. Et cela peut être ô combien anxiogène. Cette solitude fait remonter à la surface des conflits intérieurs, des détresses, des désirs profonds qui peuvent être douloureux et nous mettre à mal, même si nous devons les affronter pour en être purifiés. Et effectivement, le fait est que, bien souvent, dès que nous décidons de prendre ce temps à part, toutes sortes d’idées confuses, toutes sortes d’images dérangeantes, de fantaisies inavouées et d’associations étranges font surface et animent nos pensées. Nous choisissons de nous focaliser sur Dieu et sur sa lumière, mais c’est le diable, l’accusateur, le tentateur, qui nous attire vers ses ténèbres.
Alors oui, la solitude est risquée. Elle peut, si nous ne faisons pas attention, nous engloutir et nous faire du mal. Et c’est pourquoi cette discipline spirituelle ne doit pas être vécue sans Dieu. Voilà pourquoi elle n’a rien à voir avec une spiritualité zen, qui nous encourage à faire le vide. Non, il est question ici d’une spiritualité chrétienne qui sait qu’elle peut confronter notre vide intérieur, notre péché et notre faiblesse parce que Christ est à nos côtés et que c’est à lui que nous nous abandonnons dans ces temps. C’est son assistance que nous demandons. C’est sa sagesse qui doit nous éclairer. C’est son amour qui doit nous envahir. C’est sa compagnie que nous recherchons. En fait, comme le dit Dallas Willard : « Nous ne pouvons survivre à la solitude que si nous nous accrochons à Christ » (Spirit of the Disciplines, p. 161).
L’année dernière, avec les membres de mon collège pastoral, nous sommes partis en retraite spirituelle pendant une semaine dans les Cévennes. Dans un lieu calme, isolé et sans connexion Internet, rythmé simplement par les offices organisés matin, midi et soir. Nous passions le reste de nos journées seuls, dans la prière et la lecture des Écritures ou d’ouvrages recommandés par notre accompagnateur. Pour moi, plus ce temps approchait, et plus j’étais angoissé à l’idée même de la solitude et de la déconnexion. Mais au final, ce fut un temps béni, dont je suis revenu rayonnant comme me l’a fait remarquer une personne de l’Église. Combien j’encourage aujourd’hui les pasteurs et autres à prendre ces temps à part. Car ne nous y trompons pas : les pasteurs aussi sont influencés par le monde qui les entoure. Mais comment aider et accompagner les chrétiens de nos Églises si nous ne savons pas, nous-mêmes, montrer l’exemple ? Non pas l’exemple de personnes parfaites, mais celui de personnes qui choisissent de prioriser Dieu dans leur vie. En nous éloignant des rapports habituels que nous avons avec le monde (et l’Église), la solitude nous aide à nous focaliser sur notre communion avec Dieu. C’est de cela que vient notre bonheur.
Je voudrais vous encourager, si vous ne le faites déjà, à prendre ces temps de recul avec le Seigneur. Le Seigneur sait que nous en avons besoin, et je crois vraiment qu’il veut nous bénir et nous faire croître à travers eux. Si vous suivez cet encouragement, peut-être prendrez-vous avec vous un exemplaire des Cahiers de l’École Pastorale, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, le Seigneur saura, à n’en pas douter, vous bénir de sa présence pendant ces temps.
Nicolas Farelly