Le 18 janvier dernier, en plein débat national sur la question de la fin de vie et de la question de « l’aide active à mourir », le CNEF était reçu par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. L’échange s’est rapidement orienté vers la question, ultime, de ce qui fait la valeur de la vie d’un homme, d’une femme. Ce qui fait que l’on peut dire d’une vie qu’elle est « digne d’être vécue », valable. Je me suis remémoré ce que Mireille Jospin, mère de l’ancien premier ministre, écrivait dans une lettre qu’elle adressait à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), particulièrement active dans le débat actuel. Elle y déposait le fait que venait le temps pour elle « de partir avant que les détériorations ne s’installent ». Le naufrage de la vieillesse, l’usure de l’âge, la « déglingue » et le martyre du corps, tout ça lui était devenu intolérable. À 92 ans, le 6 décembre 2002, la mère de cet éminent homme choisissait de mettre fin à ses jours afin de « mourir debout ». Évoquant son choix dans un livre paru il y a quelques années maintenant, sa fille écrivait : « Pas d’autres choix, non, si tu ne voulais pas déchoir à tes propres yeux. Pas d’autres choix, non, si elle risquait d’être dépassée, la limite, l’ultime frontière de la dignité telle que tu l’entendais(1). »
En contraste, je choisissais de rappeler la bonne nouvelle de la perspective chrétienne sur ce qui fait la valeur imprenable de toute vie humaine, dans le regard de celui qui nous a créés à son image. Ceci en écho avec l’interpellation adressée par le Comité consultatif national d’éthique en 2013 dans son avis 121 sur la fin de vie, l’autonomie humaine et la volonté de mourir. Le CCNE pointait alors l’urgence de veiller à ne pas sacrifier, dans nos sociétés, aux logiques de rentabilité et du jeunisme à bon marché. Voici ce qui était exprimé dans une formule-choc : « La situation la plus indigne serait celle qui consisterait à considérer autrui comme indigne au motif qu’il est malade, différent, seul, non actif, coûteux(2)… ». Le cynisme affiché dans un positionnement récent des mutuelles en faveur de l’aide active à mourir en dit long sur ce risque et l’hypocrisie de nos sociétés. Où en sommes-nous du « quoi qu’il en coûte » dans le soin des plus vulnérables au milieu de nous ? L’humanité fondamentale d’une société ne devrait-elle précisément pas se mesurer à l’aune de sa capacité à protéger et entourer les plus faibles plutôt qu’à faciliter leur évacuation ?
En tant que chrétiens, témoignons autour de nous du fait que l’humanité est en elle-même porteuse de dignité. Une dignité objective, inaliénable, qui refuse de voir la vie humaine comme un bien périssable dont la valeur fondamentale s’écaillerait avec les années ou fluctuerait selon les vicissitudes de la vie. Plaidons pour le fait que nous nous devons ce rappel les uns aux autres, en particulier auprès de celui qui se trouve fragilisé par telle ou telle circonstance de vie. Le regard social est appelé pour le rassurer et lui redire toute la valeur de sa vie. Et plus fortement que jamais au moment de son départ proche. Qui voudrait en effet partir avec l’idée [intégrée] de sa non-valeur et de ne plus être au fond qu’un fardeau pour la société ? Ouvrir l’option d’euthanasie ou la possibilité du suicide assisté alimenterait cette tendance et pourrait provoquer chez certains, par souci de ne pas peser sur les leurs ou même la société, une sorte de devoir de quitter la vie. Oui, en tant que chrétiens, témoignons au nom de l’Évangile que la valeur de la vie d’un homme ou d’une femme ne saurait être liée à son utilité, sa performance sociale ou encore à la jouissance de la plénitude de ses facultés, mais simplement au fait d’appartenir à l’humanité. Nous nous rappelons les paroles de Jésus dans l’évangile de Matthieu concernant le soin que nous devons aux « petits » dans notre humanité :
« Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait(3).” »
Alors, que cette loi sur la fin de vie que le gouvernement appelle de ses vœux passe ou non, soyons prophétiquement, en tant qu’Église, cette société-là, en paroles et en actes. L’Évangile nous presse à rappeler aux hommes et aux femmes de notre temps de quel amour Dieu les a aimés et la valeur de chaque vie humaine créée en image de Dieu. À commencer par celle des plus petits au milieu de nous.
Erwan Cloarec