Je suis toujours interloqué par ce que j’entends de la part des membres d’Église, sur leur pasteur. Presque invariablement, je pourrais résumer ce qu’ils disent par : “Il n’est pas parfait” ; “Elle n’est pas parfaite”. Et ce constat, évidemment, est exact. Seul Jésus est parfait. Bien sûr, les membres d’Église sont généralement heureux des qualités de leur pasteur, qu’ils savent mettre en avant : “Il est bon prédicateur” ; “Il prend soin des gens” ; “Elle a à cœur l’évangélisation”… Je remarque aussi que les membres d’Église – sauf exceptions – sont contents et reconnaissants pour leur pasteur. Et pourtant, ils ne peuvent s’empêcher, poussés par une forme ou une autre de pulsion d’authenticité (ou tout simplement par leur esprit critique), de rappeler que, quand même, “Il lui manque certains dons” ; “Elle peut avoir mauvais caractère” ; “Il n’est pas parfait”…
Bien sûr, les pasteurs sont pécheurs et ils ne sauraient, ni eux ni personne, se satisfaire de cet état. Le péché impacte leurs pensées, leurs paroles et leurs actes et il faut donc, comme tout chrétien, qu’ils laissent l’Esprit du Christ travailler et transformer ce qui doit l’être en eux, dans leur lutte contre le péché. Et parfois (souvent), Dieu se sert de l’Église et de ses membres pour les faire grandir, pour les faire avancer dans leur sanctification. Ceci doit être pour eux un sujet de reconnaissance, même si le processus fait mal.
Plus encore, les pasteurs sont des “figures publiques” et il est inévitable que tout le monde ait un avis sur eux, un avis forcément mitigé. Il faut donc, pour les pasteurs, savoir vivre sereinement avec le sentiment que, quoi qu’ils fassent ou disent, les gens auront un avis, que ce sera remarqué et sûrement analysé, interprété, commenté. Pour eux, la seule option est donc, chaque jour, de se confier à Dieu, de se laisser guider par l’Esprit, et surtout de reconnaître que c’est en Christ, et Christ seul, que se situe leur identité. Pas dans le regard des autres – positif ou négatif – mais dans l’amour manifesté à la croix.
Plus facile à dire (ou écrire) qu’à faire, j’en conviens tout à fait ! Mais qu’en est-il de la posture de l’Église et de ses membres ? Si les pasteurs doivent savoir vivre avec leurs propres imperfections, qu’en est-il de l’Église ? Rêve-t-elle vraiment du pasteur idéal, parfait dans toutes ses voies ? Rêve-t-elle qu’il ou elle soit, non seulement excellent prédicateur, mais aussi leader visionnaire hors pair, tout en étant berger attentionné et disponible de jour comme de nuit ? Tous savent pourtant que ce rêve est inatteignable. Alors, que révèle cette façon, si naturelle, d’évoquer les imperfections et les manquements des pasteurs ?
Il y a probablement de la naïveté, quand certains chrétiens pensent que tout ira bien dans leur Église quand leur pasteur se sera amélioré dans tel ou tel domaine. Comme si la bonne santé d’une Église ne dépendait que de son pasteur. Mais nul être humain ne saurait porter un tel fardeau, une telle responsabilité. Remarquons, d’ailleurs, que cette naïveté est souvent couplée à la facilité avec laquelle on remarque la paille dans l’œil du pasteur plutôt que la poutre dans le sien...
Je pense que la critique, face à l’imperfection des pasteurs, révèle aussi régulièrement un besoin ressenti, à un moment, chez un ou plusieurs membres d’Église : “Nous aurions besoin aujourd’hui de plus de cela – d’un accompagnement spécifique, d’un enseignement précis sur ce sujet – mais notre pasteur n’est pas en mesure de nous le donner”. Et du coup, non, il n’est pas parfait, nous le remarquons et l’exprimons. C’est donc l’expression d’une frustration, mais qui révèle davantage un manque chez les personnes que chez les pasteurs… Il n’est pas, et ne sera jamais, dans le cahier des charges des pasteurs de répondre à tous les besoins ressentis des membres. Ceci, même Christ ne le fait pas.
Et puis parfois – comme Batman et Gotham City – une Église n’a pas le super-héros pasteur dont elle a besoin, mais celui ou celle qu’elle mérite. Ainsi, certains répondent négativement à ce que le pasteur fait bien, même si ce qu’il fait n’est jamais parfait. Tout pasteur sait combien une prédication – exégétiquement juste et adaptée à la situation – peut être mal perçue par certains, car trop précise, trop exigeante. Tout pasteur sait combien, dans un accompagnement pastoral, certaines choses difficiles à entendre doivent être dites, au risque d’être rejetées car trop douloureuses. Tout pasteur sait que, dans la conduite du changement dans l’Église, quand bien même ce changement est nécessaire, certains ne suivront pas sans se plaindre…
Le pasteur idéal n’existe pas – et l’Église idéale non plus ! Un pasteur ne peut avoir toutes les compétences pour conduire parfaitement son Église. Et même s'il les avait, rien ne dit que l’Église le suivrait avec allant (après tout, Jésus lui-même ne faisait pas l’unanimité, très loin de là !). Si cette façon de relever les manquements et imperfections de leur pasteur révèle donc quelque chose des membres de l’Église, c’est aussi leur vision de l’Église, qui est plus proche d’une utopie que de ce que les Écritures nous révèlent à son sujet. L’auteur de l’épître aux Hébreux propose alors un autre regard sur le pasteur et l’Église. Ni naïveté, ni hypocrisie, ni exigence mal placée, mais un regard respectueux et empreint d’amour et de reconnaissance mutuels :
“Souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont annoncé la parole de Dieu ; considérez l’issue de leur vie et imitez leur foi. […] Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis. Car ils veillent au bien de vos âmes, dont ils devront rendre compte. Faites en sorte qu'ils puissent le faire avec joie et non en gémissant, ce qui ne serait pas à votre avantage” (Hé 13.7, 17).
Et si nous priions pour nous-mêmes, pour que nous soyons toujours davantage des pasteurs et responsables d’Église dignes de la charge qui nous a été confiée ; mais aussi pour nos Églises, pour qu’elles sachent nous encourager dans le ministère, alors même que nous sommes bien imparfaits ? Et si nous priions pour que tous, nous apprenions à nous tirer vers le haut, vers Christ ?
Nicolas Farelly