1er mai 1760. Oberkampf à Jouy-en-Joas
Fondée par Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815), et aujourd'hui disparue, la manufacture fut l'une des plus grandes réussites préindustrielles, de la fin du 18ème siècle jusqu'au début du 19ème siècle.
A la suite de la découverte des toiles peintes ramenées dans les soutes des bateaux des explorateurs et de leur immense succès, l'industrie de l'impression des toiles naît et se déploie dans toute l'Europe.
Elle est brusquement stoppée dans le Royaume de France par un arrêté du 26 octobre 1686. Louis XIV, pour ne pas nuire aux soyeux de Lyon et aux drapiers du Nord, interdit l'importation et la fabrication des toiles imprimées sur tout le territoire.
Cette interdiction durera 83 ans et sera levée en 1759 par Louis XV permettant la ruée de la création de toutes sortes de manufactures.
C'est à ce moment là que tout commence à Jouy-en-Josas.
Christophe-Philippe Oberkampf, né à Wiesenbach (Brandebourg-Anspach), est le descendant d’une lignée de teinturiers luthériens du Wurtemberg. Il apprend le métier chez son père, établi à Aarau en Suisse comme fabricant d’indiennes (toiles imprimées).
En 1756, à dix-huit ans, le jeune Oberkampf acquiert son indépendance et entre comme graveur à la manufacture d’impression de Samuel Koechlin et Henry Dollfus à Mulhouse. En 1758, il entre comme graveur puis coloriste, chez M. Cottin, dans le quartier de l’Arsenal à Paris. Oberkampf décide de quitter son employeur Cottin. Il s'associe à Tavannes, Suisse du roi au contrôle général des finances, en 1759, pour fonder une manufacture de toiles peintes à Jouy-en-Josas.
Le 31 janvier 1760, Christophe-Philippe Oberkampf loue à Jean Peigné pour 9 ans, la maison du Pont de Pierre. Il y vit dans des conditions plus que sommaires, l'espace étant exclusivement réservé au matériel nécessaire au bon fonctionnement de l'impression des toiles.
Son frère Frédéric, qui l'a rejoint dans l'aventure, est contraint de loger à Versailles et de faire le chemin, de Jouy à Versailles, aller-retour tous les jours.
Le 1er mai 1760 est imprimée la première toile, "Le Chinois à la Brouette". Le processus démarre et malgré les nombreux obstacles, le succès est en marche.
La maison se révèle très rapidement trop petite et dès 1761, des acquisitions régulières permettent d'augmenter la surface de production.
Il fait venir près de lui des collaborateurs suisses de langue allemande :
- François Bossert, graveur sur bois
- Louis Rordorf, dessinateur
En 1762, il s'associe avec Sarrazin de Maraise, avocat au parlement de Grenoble, il s'ensuit une grande amitié. Les compétences comptables et commerciales de Madame de Maraise apportent beaucoup à l'entreprise. Cette association prendra fin en 1789.
Dans le but de toujours faire progresser son entreprise, il optimise les moyens de production pour pouvoir répondre à l'explosion du marché.
En 1760, l'impression se fait à la planche de bois.
En 1770, il importe d'Angleterre la plaque de cuivre.
En 1797, il importe d'Angleterre le rouleau de cuivre, technique d'impression "en continu" qui accélère la production d'une toile monochrome.
Il participe avec les scientifiques aux découvertes de son siècle :
- Claude-Louis Berthollet est à l'origine de l'utilisation industrielle du chlore dans le blanchissage des toiles, technique permettant d'accélérer le processus de fabrication,
- Samuel Widmer, neveu d'Oberkampf, invente en 1808 le vert solide, technique qui permet à la couleur verte d'être appliquée en une seule fois et non plus par juxtaposition de jaune et de bleu.
Il apporte un grand soin à chaque étape de la fabrication, ce qui lui permet de sortir des toiles précieuses d'une grande qualité.
Sa clientèle dépasse les limites de l'hexagone. Il opte pour une politique économique internationale et voyage en Angleterre, en Hollande et en Suisse autant pour faire la promotion de ses produits que pour pratiquer l'espionnage industriel.
En 1783, sa manufacture est déclarée Manufacture Royale par Louis XVI.
Sous Napoléon 1er, sa manufacture accède au rang de troisième entreprise de France, derrière les Mines d'Anzin et la Manufacture des glaces de Saint-Gobain.
Dans les meilleures années, la manufacture atteint le nombre de 1 300 ouvriers répartis sur la manufacture de Jouy et celle de Corbeil.
En 1810, il gagne le Grand Prix de 1ère Classe destiné au Fondateur de l'Etablissement le plus utile de l'Industrie.
Le déclin de la manufacture s'amorce à partir de 1806 à cause du Blocus Continental imposé par Napoléon pour ruiner l'Angleterre.
Il a des difficultés d'approvisionnement, la manufacture qu'il a achetée à Corbeil pour son frère n'est pas rentable, la concurrence fait rage, on préfère maintenant acheter des imprimés de moins bonne qualité mais à meilleur prix.
Il subit de plein fouet la chute de l'Empire. Les troupes alliées contre Napoléon envahissent par deux fois le territoire national en 1814 et 1875. Jouy-en-Josas est occupé et il faut fermer la manufacture et renvoyer les ouvriers chez eux pour éviter les pillages.
Âgé de 77 ans, malheureux de l'état de sa manufacture vidée, Christophe-Philippe Oberkampf meurt le 4 octobre 1815.
Sa manufacture lui survivra tant bien que mal pendant encore 28 ans.
Notoriété
Oberkampf a été le premier Maire de Jouy-en-Josas et son beau frère, le premier Secrétaire de Mairie. Il reçut des hôtes célèbres dans sa maison, transformée en Hôtel de Ville depuis 1899 : le nonce du Pape, Marie-Antoinette et ses enfants, les impératrices Joséphine et Marie-Louise, et les grands savants Monge, Laplace, Lagrange, Chaptal, Gay-Lussac… intéressés par la chimie qu’employait alors la manufacture de toiles.
Aujourd’hui
La Manufacture fut détruite en 1864. Les seuls vestiges qui demeurent aujourd'hui sont :
- la Maison du Pont de Pierre, première maison d'Oberkampf, aujourd’hui Ecole de Musique.
- une aile de sa maison familiale, occupée par la Mairie de Jouy-en-Josas,
- une autre aile de sa maison familiale, en face de la mairie, de l'autre côté de l'avenue Jean Jaurès,
- l'ancien Moulin des calandres, considérablement modifié par sa transformation en moulin à blé puis en usine de produits chimiques appelé aujourd'hui Vieux Moulin.
Protestantisme
Le premier mariage d’Oberkampf, avec Marie-Louise Petineau, est célébré en 1774
par un pasteur luthérien à l’ambassade de Suède, à Paris sans attendre l’autorisation royale demandée. Lorsque celle-ci arrive sept ans plus tard, les époux font à nouveau bénir leur union, cette fois à l’ambassade de Hollande à Paris par le chapelain calviniste. L’acte fait mention que les enfants ont été reconnus légitimes et baptisés à la paroisse catholique de Jouy : ils ont ainsi eu un état civil officiel.
A la mort de Mme Oberkampf en 1782, ses cendres sont ensevelies dans le jardin de la manufacture, faute de pouvoir l’être dans le cimetière réservé aux catholiques. Aucun acte régulier n’est porté sur le registre de la paroisse : seule une mention, non signée et en abrégé, y figure en dernière page.
Oberkampf se remarie en 1785 avec Élisabeth Massieu de Clerval : le mariage est célébré à la chapelle de l’ambassade de Hollande, cette fois avec une permission royale, arrivée à temps.
Seuls quatre des enfants d’Oberkampf parviennent à l’âge adulte : Julie du premier mariage puis Émile, Émilie et Laure du second mariage.
Oberkampf a le souci de bien établir ses enfants, ainsi que ses six neveux, dans la société protestante française. On constate de nombreux mariages entre quelques familles protestantes, dont celles des Petineau, des Massieu, des Feray et des Mallet, et la famille d’Oberkampf. Ainsi Émilie et Laure Oberkampf épousent deux frères Mallet, Jules et James.
Temple
Oberkampf n’a évidemment pas connu le Temple de Jouy construit en 1865 dont on a fêté en 2015, le 150ème anniversaire mais il y aura d’une certaine façon contribué puisque lui-même, sa famille, ses nombreux ouvriers coreligionnaires ont implanté durablement le culte protestant dans la vallée de Jouy au sein de la manufacture, puis grâce à l’édification de ce temple sur un terrain qui dépendait de la manufacture. Aujourd’hui on connaît dans le monde entier Jouy-en-Josas grâce à HEC, mais pendant longtemps c’est grâce à Oberkampf que Jouy était connu et le bicentenaire de sa mort a été t l’occasion de rappeler à tous qui était le fondateur de la très célèbre manufacture de Jouy.
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