30 avril 1909. Le peintre américain Edward Hopper
Le peintre américain, Edward Hopper (1882-1967), a été célébré en France, au Grand Palais, en 2012.
En 2004, le musée de Giverny avait organisé une rétrospective de son œuvre peinte en France au début du XXème siècle. Y figurait notamment le tableau de l’escalier du temple baptiste de la rue de Lille.
Staircase
Voici un commentaire à ce sujet (Edward Hopper, le dissident, Editions Ecriture, 2012, pp 78-80) :
"Staircase" (Cage d'escalier au 48 rue de Lille, à Paris) qu'il peint en 1906, pourrait passer pour un hommage, peut être inconscient, de Hopper à Caillebotte; C'est une peinture assez sombre, verticale, huile sur bois qui représente un escalier, une cage d'escalier: pas bien grande, 33 centimètres sur 23. Un lieu sans grâce, ordinaire.
Pourquoi un tel sujet?
Est-ce que parce que ce jour-là, alors qu'on veut peindre, qu'on a dessein de travailler, il pleut, et qu'il est impossible qu'on aille sur le motif, sur les quais, saisir à travers les ondées et l'averse la lumière de l'automne qui s'achève... Il suffira de s'installer avec son attirail sur le palier, malaisément. L'essentiel est de peindre, comme un pianiste fait ses gammes, comme un danseur, une danseuse s'exerce chaque jour à la barre.
Il se pourrait aussi que Hopper, pour lui-même ou sa famille quand il retournera là-bas ,ait voulu fixer, autrement que par un croquis, une aquarelle, le lieu de sa nouvelle vie, et l'escalier qui monte vers la chambre qu'il habite, qu'il n'habitera pas toujours...
Ce qui fait penser à Caillebotte tient à quelque détails: le trait de lumière sur l'arrondi de la rampe et sur l'arrête des marches, leur bois, qu'n jour des ouvriers ont raboté, semblables à ceux de Caillebotte.... et peut-être plus encore les boulons ou les ferrures d'une espèce de passerelle qui soutient le couloir du dernier étage, celui des chambres de service, ces boulons, cette poutrelle, rappellent le fer et le treillis métallique du "Pont de l'Europe"....
Paradoxe de cette peinture d'un escalier: ce n'est pas le vide, le creux, le mouvement nécessaire pour gravir et descendre qui sont, sinon "regardés" et considérés, suggérés, mais les surfaces et le compartimentage, des murs et des panneaux.
Dans le coin gauche, en haut, un carré, presque parfait; et qui pourrait être la clef de la partition ;Ainsi la toile, qui a la forme d'une fenêtre, tend-telle à se confondre avec le sujet qu'elle accueille: peindre, qu'on ... le métier de peindre consiste à agencer entre elles, judicieusement, délectablement, des surfaces: et des couleurs".
Baptiste
Nous lisons dans l’ouvrage de Ivo Kranzfelder (Hopper, Taschen, 2002) que Hooper
« s’est rendu à Paris en octobre 1906 et habite au 48, rue de Lille dans une maison de l’Eglise Evangélique Baptiste ».
Nous apprenons dans le même ouvrage que
« sa famille installée depuis plusieurs générations aux Etats-Unis, était d’origine anglaise et hollandaise du côté paternel, anglaise ou plus précisément galloise du côté maternel… » et que « les Hopper, une famille de la classe moyenne, étaient baptistes ».
C’est à la fin de ses études à la New York School of Arts, que Hopper s’était décidé à partir pour l’Europe, afin d’admirer les œuvres des grands maîtres. Et c’est sur la recommandation impérative de sa mère, qu’il s’était décidé à emménager à la mission américaine de l’Eglise baptiste, rue de Lille.
Arrivé le 24 octobre 1906, il logea chez Madame Louise Jammes qui était connue de sa mère. C’était une veuve avec deux enfants. Elle le maternait et envoyait à sa mère des lettres parlant du merveilleux « fils à maman ».
Au 48 rue de Lille, il retrouve
« Henry Bruce qui lui fait connaître les impressionnistes, en particulier Monet… »
Il décide de ne pas s’inscrire dans une académie mais de voir des œuvres -un seul pont le sépare du musée du Louvre…et de peindre en plein-air. Ses années parisiennes qui s’étendent à travers 3 voyages successifs, entre les années 1906 et 1910, sont fondamentales pour les développements ultérieurs de son art.
Des années plus tard il écrit :
« Il suffisait de faire quelques pas et je voyais le Louvre de l’autre côté du fleuve. Du coin entre la rue du Bac et la rue de Lille on pouvait voir le Sacré Cœur. Il flottait dans l’espace comme une vision immense au-dessus de la ville ».
Rue de la montagne à Courbevoie : la maison des diaconesses
Malade, madame Jammes fut soignée dans un "hôpital à Courbevoie". Hopper, fraîchement de retour des Etats-Unis vint l’y voir à plusieurs reprises. il s'agissait de la maison des diaconesses qui venait de s'ouvrir, rue de la Montagne à Courbevoie.
L'œuvre des diaconesses de paroisse, fondé en 1874, boulevard Rochechouart à Paris, a été transférée en 1901 aux n° 12 et 12 bis de la rue de la Montagne à Courbevoie sur un terrain de 5.000 m², où elle a élevé 3 bâtiments.
L'ensemble comprenait une maison de retraite où les dames âgées protestantes trouvaient à leur disposition 7 chambres équipées, une maison de santé contenant 12 lits réservés aux malades atteints d'affections chroniques ou aigües, avec une chambre supplémentaire pour les maladies contagieuses. L'équipe médicale était constituée d'un médecin-chirurgien et de 7 infirmières aidées par les sœurs diaconesses protestantes au nombre de 18. En 1909, elle s’agrandit en achetant un immeuble à Courbevoie, rue Kilford, où furent inaugurées "la Maison de retraite des Tilleuls" et une école ménagère. En octobre 1909, une école Protestante d’infirmières hospitalières est ouverte : « les amies des malades ».
Elle décéda le 28 avril 1909 et Hopper assista à son inhumation dans le cimetière de Courbevoie, le 30 avril. Et les fils de Madame Jammes permirent à Hopper de garder sa chambre de la rue de Lille pendant tout ce second séjour à Paris qui se termina à la fin du mois de juillet.
De retour aux Etats-Unis, il exerça essentiellement son art à New York. Il se consacrera aux paysages américains et de devenir un témoin attentif des mutations sociales aux États-Unis.
Hopper, les grandes villes et la Défense
Hopper est surtout reconnu pour ses paysages urbains où se mélangent l'intime et la solitude. Ses personnages sont isolés, perdus dans des villes ou paysages qui semblent sans âme. Il fait dans un sens un triste constat de notre époque : son individualisme, son mal de vivre, sa solitude. Ses couleurs sont intenses. Il est vraiment peintre et Témoin de la vie moderne…
Hopper affectionnera particulièrement la grande ville de New York. Ses tableaux illustreront toutes les fonctions de la ville moderne : lieu de passage (hôtel, voies ferrées, rues), de loisirs (Restaurant à New York, 1922 ; The Circle Theater, 1936 ; Cinéma à New York, 1939), de travail (Conférence nocturne, 1949), de commerce (Pharmacie, 1927) ou de rencontre (Chop Suey, 1929 ; Noctambules, 1942). Ces œuvres témoignent d’une économie tertiaire : aucun de ses tableaux ne prend les usines comme sujet.
On songe aux œuvres de Hopper lorsque l’on parcourt le plus grand centre d’affaires d’Europe, le quartier de la Défense, composé essentiellement de gratte-ciel, reliés par une immense dalle de 31 hectares, avec ses 300 000 « défensois » qui y vivent ou viennent y travailler.
Source : Gail Levin, Edward Hopper, An intimate biography, University of California, 1998, p 50, 76