Le 12 février 1554, celle qu'on surnomme "la reine de neuf jours", est exécutée. Jeanne Grey (1537-1554), héritière d'Edouard VI, est proclamée reine, à la mort du jeune souverain qui la choisit car ils ont en commun le fait d'être protestants.
Jane Grey a eu la malchance de naître dans la famille royale d’Angleterre. Elle était la petite-fille de Mary, la sœur d'Henri VIII, ce qui en faisait la petite-nièce du roi et une cousine de son fils le roi Édouard VI. Forts de ce lien, les parents et la belle-famille de Jane ont tenté de faire d’elle la reine d’Angleterre, supplantant les filles du roi Henri VIII (les demi-sœurs d’Edward), Mary et Elizabeth.
Le père de Jane, Henry Grey, duc de Suffolk, se rangea du côté des réformateurs de l’Église anglaise, tout comme John Dudley, duc de Northumberland. En quête de pouvoir, Northumberland s'est arrangé pour marier son fils Guildford à Jane.
Lorsque la santé d’Edward déclina, Northumberland et Suffolk se sentirent mal à l’aise à l’idée d’une succession catholique : Mary. Ils semblent avoir été moins motivés par la Réforme que par leur propre pouvoir et leur influence. Ils ont manipulé les sympathies religieuses d’Edward pour qu’il nomme Jane comme son successeur. Edward était disposé : il aimait Jane, avec qui il avait joué étant enfant, et savait qu'elle était résolument protestante.
Lorsque sa famille ambitieuse a annoncé à Jane qu'elle allait devenir reine, elle a pleuré de manière incontrôlable, rejetant l'idée. Mais ses parents et sa belle-famille ont insisté. Plus tard, elle reprochera à son père que lui, chargé de chercher à prolonger sa vie, avait contribué à sa fin prématurée.
Jane fut proclamée reine le 10 juillet 1553. Northumberland partit capturer Mary mais échoua. Les gens ordinaires d’Angleterre le détestaient tellement qu’ils se rallièrent à l’héritier catholique.
Ainsi, neuf jours seulement après son accession au trône, Jane est devenue prisonnière de la Tour de Londres. Elle a écrit à Mary une lettre de repentance, mais a souligné qu'elle avait été forcée à agir, ce qui n'était pas sa propre volonté. Marie était indulgente.
Cependant, le père de Jane participa bientôt à une autre rébellion contre Mary. Cela a scellé la perte de sa fille. Elle fut condamnée à mort. L'aumônier de Mary, John Feckenham, persuada la reine de retarder l'exécution de Jane afin qu'il ait une chance de la convertir au catholicisme. Mais même si Jane appréciait la gentillesse de Feckenham à son égard, elle s’accrochait à ses opinions religieuses. Elle avait reçu une bonne éducation, savait lire et écrire couramment plusieurs langues et appréciait les positions des réformateurs, dont certains qu'elle avait rencontrés et avec lesquels elle avait correspondu.
L’épreuve et le cachot affermirent sa foi jusqu‘alors chancelante. A l‘une de ses sœurs elle écrivit en lui léguant son Nouveau Testament grec :
„… Je t‘envoie un livre qui, bien qu‘il ne soit pas revêtu d‘or, est plus précieux que toutes les pierres les plus rares et du plus grand prix. C‘est le livre de l‘Évangile du Seigneur Jésus-Christ ; c‘est sa dernière volonté, c‘est son testament qu‘il nous a laissé, à nous, pauvres misérables pécheurs que nous sommes dans notre nature première. Il t‘enseignera le chemin de la joie éternelle. Fais comme le serviteur qui veille, afin que, quand viendra le jour de la mort, tu ne sois pas trouvée sans huile, comme les vierges folles. En ce qui concerne ma mort, réjouis-toi, comme je le fais, ma très chère sœur. Je suis assurée qu‘en perdant cette existence mortelle, j‘en revêtirai une éternelle, incorruptible. Au nom de dieu, je t‘exhorte à ne jamais te relâcher de la vraie foi chrétienne. Si tu renies la vérité pour prolonger ta vie, le Seigneur te reniera aussi. Si, au contraire, tu t‘adresses à lui, s‘il le juge à propos, il prolongera tes jours pour ta consolation et sa gloire“.
Le 12 février 1554, Jane et son mari furent exécutés. Guildford a été décapité publiquement mais, craignant de provoquer une foule en colère, les autorités ont décapité la jolie Jane de dix-sept ans, à l'intérieur de la tour.
Feckenham l'accompagna jusqu'au lieu d'exécution. Là, Jane le remercia pour sa gentillesse, insista une fois de plus sur le fait qu'elle était innocente de tout désir de trône, récita le Psaume 51 en anglais.
Elle pardonna à son bourreau, lui demandant de ne pas porter le coup jusqu'à ce que son cou soit sur le bloc.
Après qu'un bandeau lui ait été enroulé autour des yeux, elle a cherché le bloc à tâtons en criant : « Que dois-je faire ? Où est-il?" Quelqu'un l'a guidée jusqu'à l'endroit.
Ses dernières paroles furent : « Seigneur, entre tes mains, je remets mon esprit. » Puis le bourreau abattit la hache.
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Paul Delaroche en fera un célèbre tableau (1833).
Le 19 rue Visconti à Paris, est une des adresses parisiennes du peintre Paul Delaroche (1797-1856). Il y vécut et y peignit de 1827 à 1835.
Il y peignit notamment, "La Mort d'Elisabeth" (1827), "Cromwell" (1831), "Le Supplice de Jane Gray" (1833).
Le Supplice de Jane Grey
L’Exécution de Jane Grey, Paul Delaroche, 1833, huile sur toile. 246x297 cm. Collection The National Gallery, Londres.
L’histoire de ce tableau est un vrai roman. "L’exécution de Lady Jane Grey" par Paul Delaroche est devenu le tableau préféré des visiteurs de la National Gallery à Londres. On en a la preuve, car c’est sa reproduction qui est la carte la plus vendue à la boutique du Musée et l’usure du parquet devant le tableau est la plus importante de tout le musée !
Ce grand tableau historique et tragique a connu une vie mouvementée et si on peut le voir aujourd’hui, magnifique, c’est un miracle. L’amour et puis le désamour du public et des critiques à son égard est une belle illustration de l’évolution des goûts en matière d’art. Quand le peintre français Paul Delaroche, passionné par l’Angleterre, le présente pour la première fois au salon de 1834, il fit sensation.
En 1834, Paul Delaroche (1797-1856) est un des maîtres les plus célèbres et les mieux cotés de son temps. Le tableau fut immédiatement acheté par un noble russe, le comte Anatole Demidoff, qui l’installa dans son palais de Florence. A sa mort, en 1870, l’œuvre avait encore une haute cote et passa de mains en mains.
Finalement, "L’exécution de Lady Jane Grey" fut léguée à la National Gallery en 1902. Le musée spécialisé alors dans la Renaissance italienne ne sut où le mettre et le confia à la Tate, qui, spécialisée dans la peinture anglaise, le relégua, toile roulée, dans ses caves. Funeste décision, car lors de la grande crue de la Tamise en 1928, les caves furent inondées et le tableau fortement endommagé au point d’être même radié des inventaires de la Tate !
Et ce n’est qu’en 1973 qu’un chercheur de la Tate préparant une monographie sur le peintre romantique John Martin, découvrit par hasard dans les caves ce tableau roulé. On le restaura et le présenta au public en 1975. Mais alors encore, le conservateur du musée prit des pincettes et parla de Delaroche comme d’un « charlatan qui mérite son obscurité présente ». Mais surprise : le public vint en masse et plébiscita le tableau qui prit place à la National et y devint le grand favori du public.
Aujourd’hui on cherche à situer le tableau de Lady Jane Grey dans son contexte historique et artistique. On découvre d’abord les "peintres troubadours" fort à la mode au début du 19ème, avec l’exploration du passé et la peinture des moments intimes des grands de l’histoire. Paul Delaroche hérite de ce courant et fut à son époque plus reconnu que Delacroix. La France redécouvrait alors son patrimoine ou ce qu’il en restait après la Révolution. Un courant qui aboutira fin du 19ème aux travaux de Viollet-le-Duc. Les artistes étaient passionnés par l’Angleterre et lisaient beaucoup Walter Scott.
Comme à son habitude, Paul Delaroche avait réussi à peindre le moment le plus dramatique, le plus décisif, juste avant l’exécution. Le tableau, sans point central, se lit comme une scène de théâtre. Pas étonnant, car le peintre était passionné de théâtre et la jeune actrice Anaïs Aubert prêta son visage à Jane Grey.
L’effet est saisissant. La jeune Lady Jane est le point d’attraction du tableau, sa robe en satin blanc attire toute la lumière ce qui ajouté à sa chevelure claire donne au personnage quelque chose de très pur et angélique. Son bandeau sur les yeux l’empêche d’avancer librement c’est donc le lieutenant de la Tour de Londres, sir John Brydges qui la guide jusqu’à sa mort en l’aidant à s’agenouiller alors qu’elle tend ses mains dans le vide. Le bourreau sur la droite attendant patiemment la hache au bout des doigts. La mise en scène laisse penser que la tête, bientôt coupée, roulera devant le spectateur. Et la paille vierge disposée devant elle, est illuminée avant d’être ensanglantée. Sur le côté les deux dames d’honneur de Jane Grey sont déjà tordues de douleur, l’une semblant même évanouie.
La dramatisation extrême de la composition ne peut qu’amener les spectateurs que nous sommes à éprouver de l’empathie pour cette jeune fille qui semble en effet bien fragile face à sa mort.
Le peintre avait élaboré et consolidé un type de peinture historique grandiose qui avait abouti à l'émergence d'un genre complètement nouveau : le genre historique. Il fut le maître du peintre protestant Pierre-Antoine Labouchère (1807-1873).