Spontanément, ce n’est pas dans l’Ecclésiaste qu’on irait chercher le bonheur. Son goût pour les énigmes affligeantes et son insistance à rappeler que la mort attend l’être humain ne sont pas très engageants. Et pourtant, c’est certainement le livre de la Bible qui évoque le plus le bonheur, dans le sens commun du mot et sans le dénigrer.
La trame déconcertante du livre est le reflet de notre existence. Le bonheur y intervient comme un refrain, ou plutôt un motif en contrepoint. Il est en contraste avec les constats décevants que l’auteur accumule sur le travail, la politique, la sagesse, et jusqu’à la piété elle-même.
Par trois fois, le refrain apparaît, timidement, mais avec une certaine insistance : « Il n’y a rien de mieux pour l’être humain que de manger, de boire et jouir de la vie au milieu de son travail » (1). À la quatrième reprise, l’auteur s’enhardit : « C’est une chose belle et bonne pour l’être humain… » (2). À la reprise suivante, on en revient à la formule modeste : « Il n’y a rien de mieux… » (3), mais c’est pour mieux ménager la surprise de la réapparition du chapitre suivant où le refrain se fait positif, insistant, entraînant : « Va, mange avec joie ton pain et bois d’un cœur content ton vin car depuis longtemps Dieu prend plaisir à tout ce que tu fais » (4) et le refrain s’amplifie évoquant le vêtement, le parfum, la femme aimée (5).
À la septième et dernière reprise, c’est au jeune que s’adresse le sage : « réjouis-toi… livre ton cœur à la joie… marche dans les voies de ton cœur… bannis de ton cœur le chagrin… » (6).
L’énigme du bonheur
Ce refrain si insistant, et qui pourtant débouche inexorablement sur l’évocation poétique de la vieillesse et de la mort (7), n’est pas aisé à situer dans le cadre du livre lui-même et plus largement du message biblique. Ce n’est pas une invitation à poursuivre le bonheur, il est reçu sans être recherché. C’est un bonheur modeste, fait de petites satisfactions quotidiennes et ordinaires. Il est accordé au milieu de la peine, comme un don de Dieu qu’on ne peut ni escompter ni mériter. Il ne permet d’échapper ni aux devoirs des humains, ni aux déceptions de l’existence, ni surtout à la mort. C’est en fait un lot de consolation mystérieux que Dieu accorde aux humains au milieu de leur existence déconcertante.
Ne comptons pas sur l’auteur pour nous dire quel peut être le sens de cette attention divine. Le post-scriptum nous invite à chercher ailleurs : « crains Dieu » (8), et seul le reste de la Bible nous donnera la clef de l’énigme, en nous révélant que Dieu nous aime, nous appelle au salut par la foi en Jésus-Christ. Le bonheur évoqué par l’Ecclésiaste ne serait-il pas un signe discret de sa part pour nous inciter à croire en lui ?