Comment dessiner la grâce de Dieu, comment en rendre compte avec des mots justes, elle qui n’existe pas vraiment dans ce monde? Il vaut pourtant la peine d’essayer même si ce que Dieu fait sera toujours plus grand et plus beau que ce que nous pouvons en dire.
Si vous le voulez bien, commençons par une comparaison et réfléchissons à ce qu’est la grâce présidentielle. Lorsqu’un chef d’État fait grâce, c’est pour commuer, réduire ou annuler une peine, une fois que toutes les voies de recours ont été épuisées. La grâce présidentielle est cependant sans effet sur la décision de condamnation, car celle-ci restera inscrite au casier judiciaire, marqueur social persistant... L’amnistie elle, est différente: c’est une mesure d’apaisement et d’oubli qui a pour effet de supprimer le caractère illicite de l’infraction. Dans l’amnistie, on «passe l’éponge» sans condition ni sanction, au mépris de tout effort de justice… Dans la grâce présidentielle, la culpabilité demeure!
Grâce ou amnistie
Mais alors, comment situer la grâce de Dieu à notre égard? S’approche-t-elle de l’amnistie ou de la grâce présidentielle? Je dirais qu’il y a «un peu ni de l’un ni de l’autre». Dieu n’est qu’Amour et son regard pur ne peut soutenir la vue du mal. Comment pourrait-il alors accueillir l’humanité déchirée, souillée par le mal qui nous habite et nous détruit? Indifférence à notre prochain, intrigues malveillantes, jalousies, mensonges, meurtres… Nous avons été créés à l’image de Dieu, nous dit la Bible, mais il suffit de jeter un œil au journal de 20h00 pour constater que cette ressemblance en a pris un sacré coup! Oui, comment Dieu gère-t-il nos indifférences à son égard? Lui qui nous a créés par amour et pour l’amour, lui qui nous a tout donné, lui qui est le fondement de notre être et la source de notre vie, comment voit-il notre distance et notre mépris à son endroit ?
Justice et pardon
Nous savons que Dieu veut nous pardonner et nous accueillir, malgré nos fautes. Mais comment peut-il le faire? S’agit-il pour lui, bonhomme complaisant, d’ouvrir les bras et de passer outre la faute, amnésie spontanée et sans condition, à la faveur d’une amnistie? Mais alors où serait sa justice? S’agit-il au contraire de nous prémunir des conséquences de nos fautes, de nos errances mais sans pour autant tout à fait nous blanchir comme dans la grâce présidentielle? Dans ce cas, qu’en serait-il du pardon et de la réconciliation sans ombre et sans tâche?…
Il faut ajouter que l’exigence de justice est inscrite dans la nature profonde de Dieu. Dans ses «tripes» même… Dieu est à la fois juste, source de toute justice et garant de l’ordre moral. Passer outre la justice serait déchirure et négation de son être! Et pourtant son amour est là, ardent, constitutif de lui-même. Dieu est comme fiévreux de nous pardonner et de nous accueillir.
On peut résumer ainsi le dilemme: «La justice veut qu'une faute soit réparée alors que le pardon veut qu'elle soit oubliée : comment Dieu peut-il être à la fois le Dieu qui pardonne et le Dieu de justice ?»(1) Reconnaissons qu’il faudrait être un Dieu pour sortir d’une telle impasse et trouver la solution miracle.
Un premier miracle
Dieu a accompli ce miracle. Par pure grâce. Il est venu lui-même à la rencontre de notre humanité en la personne de Jésus-Christ pour mourir sur une croix à notre place. «Le salaire du péché(2), c’est la mort»(3) nous dit l’apôtre Paul. Telle est la loi que Dieu lui-même a établie comme expression de sa nature profonde et de son aversion pour le mal. Nous sommes donc tous des condamnés à mort puisque nous péchons tous. Or cette sanction doit inexorablement être appliquée. Mais Dieu est venu prendre notre place pour satisfaire cette exigence de justice. Parce qu’il était homme, parce qu’il était Dieu… «La croix nous dit que Dieu est juste en payant le prix de la réparation, et elle nous dit que Dieu pardonne en nous offrant sa réconciliation...»(1)
Pouvons-nous réaliser le prix payé? Ce n’est pas une grâce à bon compte, une amnistie bon marché qui n’aurait rien coûté à son auteur ou qui aurait supprimé le caractère scandaleux du mal. Ce n’est pas non plus une «grâce présidentielle» imparfaite en ses conséquences qui laisserait une ombre de soupçon et nous laisserait coupables à ses yeux. Au contraire, Dieu a accompli ce miracle à la croix, il s’est investi lui-même contre le mal en mourant à notre place. Il a subi la sanction que nous méritions par nos fautes et notre indifférence à son égard.
Sur ce fondement, nous pouvons nous approcher de Dieu en toute confiance.
D’autres miracles
Savez-vous ce qui se passe quand nous reconnaissons nos fautes, notre orgueil, notre insuffisance devant Dieu et que nous saisissons la main qu’il nous tend? Non seulement il se plait à nous pardonner sans ombre, mais il nous accueille aussi sans restriction. Une relation d’amitié, de qualité, belle et épanouissante voit le jour.
De plus, son amour nous transforme car il pénètre au plus intime de nous. Selon sa promesse, le Christ vient en effet habiter notre personne et commence en nous un travail en profondeur. Il nous donne une nouvelle sensibilité. Nous ne voyons plus les choses de la même manière, nous ne réagissons plus comme auparavant. Son Esprit présent en nous nous aide à vaincre le mal qui nous minait autrefois sans toujours nous en rendre compte. Il nous guérit aussi, nous restaure. Des chaînes sont ainsi rompues, de mauvaises habitudes disparaissent, une générosité nouvelle voit le jour en nous… Ayant goûté au pardon divin, nous voilà rendus capables de pardonner à notre tour. L’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la fidélité, la douceur, toutes ces caractéristiques de la vie du Christ commencent à mûrir dans notre vie comme autant de fruits de sa présence.
Bien entendu, tout cela ne se fait en un jour ni sans combat, mais Dieu prend son temps avec nous. C’est aussi un des aspects de sa grâce.
Nous n’aurons jamais fini d’en parler.