Comment bien débattre ? Voilà une question que, semble-t-il, on se pose de moins en moins. À l’âge des réseaux sociaux, où l’on est moins souvent en face, physiquement, de la personne qui diffère de nous, beaucoup considèrent que l’essentiel est de répéter ce qu’ils pensent déjà et de ne pas se laisser impressionner par les messages de l’autre. Cela donne une série de dialogues de sourds, une mise bout à bout d’opinions hétérogènes qui ne vont nulle part, et où l’invective prend facilement le dessus.
L’autre me permet de m’interroger
Pourtant, quelqu’un qui ne vit pas dans le même milieu que nous possède, souvent, un regard sur les événements, sur les situations sociales, qui peut nous éclairer. Personne n’est en mesure d’occuper toutes les positions dans l’espace social, et cela donne forcément un regard biaisé sur le monde. On n’aperçoit les limites d’un point de vue que lorsqu’un autre point de vue vient compléter le nôtre, ou proposer une autre perspective. Cela ne veut pas dire que toutes les opinions se valent. Mais cela nous invite à nous interroger sur ce qui, dans la vision d’une autre personne, nous semble être valable.
Concéder n’est pas se renier
Je dirais même qu’un dialogue n’est possible que si chacun des interlocuteurs est capable d’entendre et de reconnaître une partie, au moins, des arguments de l’autre. Si l’on a l’impression que la personne en face de nous est fermée à tout ce que nous pouvons dire, cela nous met en colère, car nous ne nous sentons pas reconnus. Et j’ai d’ailleurs remarqué que concéder quelque chose au point de vue opposé n’affaiblit nullement l’argument que l’on défend. Au contraire, cela le renforce si l’on est capable d’incorporer ce qui nous semble tenir, chez l’autre, dans notre point de vue renouvelé.
Écouter demande temps et respect
Dans la rhétorique classique, on préconisait de présenter sa thèse, puis la thèse adverse. Ensuite on retenait ce qui, dans la thèse adverse, tenait la route et on rejetait le reste, pour des raisons qu’il fallait expliciter. À la fin, on revenait à la thèse de départ enrichie des éléments de ce débat. Une telle démarche semble saugrenue et anachronique, aujourd’hui. Pourtant, elle nous ferait le plus grand bien. Certes, cela prend du temps, et réclame autre chose que des réactions d’écorché vif et des réponses du tac au tac.
Quelle société voulons-nous ?
Mais le paradoxe est que nous sommes dans une société de plus en plus diverse : diversité religieuse, culturelle, sociale, politique, etc. ; mais que nous ne tirons pas du tout parti de la manière dont cette diversité pourrait nous enrichir. À l’inverse, on voit émerger de petits cercles qui s’isolent les uns les autres et qui préfèrent s’ignorer mutuellement. Il y a là un appauvrissement dramatique et des risques politiques majeurs. Les politiques marquées par le repli, la méfiance et la protection contre les autres ont de plus en plus de succès. Or, elles ne produisent assurément pas des sociétés heureuses.