Voyage au bout de soi

Complet Dépression

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Voyage au bout de soi

– Peut-on dire que cette période de dépression a été l’occasion de partir en quête ?

– Oui, mais je cherchais surtout à travers des lectures, et je me souviens que ma sœur me disait parfois : « Tu cherches trop dans les livres, ce n’est pas dans les livres qu’on trouve ». Mais je ne savais pas où chercher. Toujours est-il que je suis tombée un jour sur une petite phrase de Marie Balmary dans La divine origine, qui m’a éclairée et même consolée. Elle disait ceci : « La dépression, ce qu’on appelle aujourd’hui "faire une dépression", est une des expériences spirituelles fondamentales en notre temps, une des formes de l’initiation, dirait-on en d’autres cultures. Or, elle est redoutable certes, mais, si je puis dire, elle est à la portée de tout le monde. Ceux qui n’ont plus personne devant eux sur le chemin, même plus une certaine idée d’eux-mêmes et qui peu à peu prennent leur mort, qui ne savent pas chaque jour ce que sera ce jour »(1).

Elle mettait là le doigt sur les deux choses qui m’avaient le plus troublée dans ce moment de ma vie. D’une part, je ne me reconnaissais plus, je n’avais plus aucune idée de moi, et d’autre part je ne savais jamais en me réveillant quel serait le jour que j’allais vivre. Et elle ajoute ceci : « Comme nous le pensons souvent, et ainsi que le formule l’un de mes amis, "on croit qu’ils craquent, et ils naissent" ». Alors que d’habitude on parle des dépressifs avec une certaine condescendance (gens amoindris, pauvres types), elle, elle parlait d’une expérience initiatique. Et c'était consolant de lire que ce que je vivais de si âpre, de si douloureux et de si décapant, ce n'était pas pour rien : c’était un chemin.

– En aviez-vous conscience sur le moment ?

– En me replongeant dans ce journal en vue de notre échange, j’étais étonnée de m’apercevoir à quel point, tout au long de cette errance, j'étais comme un enfant perdu dans un grand bois, qui ne trouve plus son chemin, tout en y découvrant quand même des fleurs ou des champignons ! Ce n’était pas un désert absolu. Mais chaque fois que j’avais l’impression que le sentier allait enfin déboucher sur la lisière, je me retrouvais en pleine forêt. Et ça, c’était terrible !

– Venons-en au traitement médical et thérapeutique. Que pouvez-vous en dire ?

– Quand on cherche de l’aide, on cherche d’abord des médicaments. Au moment de ce brusque effondrement, j’ai senti que ma vie était en danger, et j’ai eu peur d’un geste fou. Je n’ai jamais pensé volontairement à me suicider. Jamais. Et j’ai toujours eu beaucoup de peine à m'imaginer en train d'écrire une lettre pour expliquer les raisons d'un geste désespéré –même si je comprends qu'on puisse le faire. Mais j'avais peur de céder à un mouvement de panique. Si bien que lorsque les symptômes se sont aggravés durant ces six mois, j’ai dit à mon mari : « Je ne sais plus quoi faire de moi ».

– Est-ce que ça veut dire qu’à ce moment-là vous vous êtes livrée aux autres, main tendue, pour qu’ils s’occupent de vous ?

– Oui, et c’est aussi pour ça que je suis allée chez un médecin. Mais en même temps ce n’était pas des médicaments que je réclamais, c’était surtout qu’on m’aide à sortir de cette forêt qui ressemblait fort à un labyrinthe. Je cherchais quelqu’un, une relation d’aide. Malheureusement, très vite mon état est devenu trop grave pour que je puisse envisager un séjour dans un lieu de retraite spirituelle. J’y aurais été quelquefois seule, livrée à moi-même, ce qui n’aurait pas été très prudent.

J’avais besoin d’être prise en charge. Deux pasteurs sont venus prier avec moi, car j’avais d’abord entrepris des démarches auprès de personnes d’église. Et je cherchais avant tout un thérapeute chrétien. J’avais très peur de tomber sur un psychiatre, un psychanalyste ou un psychothérapeute qui m’aurait entraînée dans des directions où je n’avais pas du tout envie d’aller. Me trouvant dans un conflit qui avait créé en moi un fort sentiment de culpabilité, je n’avais pas besoin qu’on m'absolve ou qu'on me justifie : j’avais besoin d’être pardonnée. Et qu'on m'aide à me comprendre. Je ne voulais pas qu’on minimise, au fond, ce que j’avais vécu.

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1.
Grasset, 1993, page 317.

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