- Jean-Louis Richardeau, vous évoquez dans votre ouvrage, Aide psychologique, Aide spirituelle(1), des personnalités bibliques dont certaines ont été atteintes par ce que nous pouvons appeler aujourd'hui la dépression.
JLR – Oui, la Bible a notamment cet intérêt que tous ses personnages sont présentés avec réalisme. Ils auraient pu n'être que des figures typiques illustrant un projet ou une parabole. Or, ils sont décrits avec beaucoup de précisions, leur passé et leurs relations pouvant être passés en revue. Autrement dit, ils sont très humains, et en tant que tels, ils relèvent de notre observation, telle que nous la concevons actuellement.
– Dans quelle mesure le facteur Dieu, ou la foi du patient, sont-ils à prendre en compte ?
JLR – La question de Dieu complique toujours la démarche psychanalytique parce que, chez le patient, elle est souvent mal perçue et mal placée. La névrose ou la dépression sont liées à des expériences de vie, surtout à celles des premières années, à une période où la pathologie a pris forme et s'est esquissée pour plus tard se développer. La foi n'a rien à voir avec cela ; elle est avant tout une relation à Dieu, même si elle tient compte aussi de l'autre comme de la vie de tous les jours. C'est une relation mystérieuse, sans cesse recherchée, analysée, et représentée dans les cultures. La foi n'a pas grand-chose à faire, dans un premier temps, avec la dépression ou avec la névrose.
D'ailleurs, les écrits du Nouveau Testament insistent sur cet aspect un peu hétérogène de la foi et de la vie spirituelle par rapport au psychologique. Paul écrit dans une épître : « Nous portons ce trésor [le glorieux évangile] dans des vases de terre »(2).Il distingue le contenu et le contenant : celui-là est solide, celui-ci est fragile. Et c'est bien le contenant qui est atteint par les vicissitudes de la vie. Par ailleurs, Jésus a dit à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne cesse pas »(3). Or, la foi est comme un plus qui soutient la vie mais, l'expérience le montre, on peut être névrosé et non-croyant, ou croyant et névrosé. La foi n'est donc pas en elle-même un critère de santé psychologique, ou au contraire le signe d'une pathologie psychologique. C'est autre chose. La foi peut être chez certains saine ou a contrario un peu bizarre, parce que le psychologique et le spirituel ont quand même un voisinage inéluctable de telle sorte qu'ils s'influencent mutuellement. Par exemple, de mauvaises expériences du père ont tendance à faire percevoir Dieu à l'image du père que l'on a connu, c'est-à-dire comme un personnage discutable.
– On a bien compris que foi et problèmes d'ordre purement psychologique ne sont pas à mélanger, mais dans quelle mesure cette foi peut-elle être un atout dans la résolution d'une dépression ?
JLR – Une foi quelque peu cohérente et construite ne peut devenir un outil thérapeutique, s'il est possible d'employer cette expression, que dans la mesure où elle favorise un remaniement psychologique. Elle n'est pas en soi un remède ; selon les cas, elle peut apporter beaucoup de satisfactions ou beaucoup de difficultés. Dans la mesure où elle incite à plus de vérité et de réalité dans la vie de la personne, elle favorise une reprise des processus de croissance vers la maturité.
– Elle n'est pas une échappatoire, l'occasion de fuir dans le rêve...
JLR – Non, absolument pas, et elle n'est ni un pansement, ni un substitut. Je pense que la confusion à son propos vient de cette pensée magique qui est en tout le monde, selon laquelle il est possible de trouver enfin le médicament miracle qui nous empêchera de faire un travail sur nous-mêmes et d'affronter la vie pour grandir.
– Dieu est amour, c’est le message et le résumé de l’Évangile, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ce message intervient-il dans votre thérapie, Claude Buchhold ?
CB – Je suis d’abord médecin, et les gens viennent me voir pour un suivi médical. Il n’empêche que je suis convaincu que Dieu est amour, et cela est fondamental pour le traitement du déprimé. Quand on dit : « Dieu est amour », je pense qu’on souligne son amour inconditionnel et manifesté en Jésus-Christ. C’est un amour intelligent et sensible. Intelligent, c’est-à-dire qui ne croit pas n’importe quoi, et sensible, parce que Dieu arrive à se mettre à la place de l’autre, Jésus en est la preuve vivante.
Et cet amour-là est inconditionnel, il accepte l’autre tel qu’il est, sans qu’il ait eu à faire ses preuves. Beaucoup de gens ployant sous le joug d’une dépression chronique souffrent d’un grand mal qui se nomme insécurité affective. Cette souffrance s’extériorise par une angoisse énorme, elle trouve à s’alimenter dans la peur d’être abandonné, ou d’être rejeté. Par conséquent, on passe son temps à vouloir plaire, on cherche désespérément à être accepté. Vous vous imaginez quelle détresse est suscitée quand, passant son temps à plaire, on recueille ici et là une parole ou un regard interprétés en mauvaise part, et vous confortant dans votre sentiment de rejet !