– Il existe différents types de dépressions mais commençons par définir le mot lui-même. Il évoque un creux, n’est-ce pas ?
Claude Buchhold – Oui, c’est là son sens premier. Lorsqu’il s’agit de caractériser un mouvement du sol en termes géographiques, le spécialiste utilisera un tel vocable. La météorologie, elle, parlera de dépression atmosphérique. Ce mot est employé dans le domaine médical depuis peut-être une centaine d’années, et il recouvre une réalité multiple. Bon nombre de dépressions proviennent, semble-t-il, d’une désorganisation de nos centres cérébraux. Nous sommes des êtres corporels, et l’humeur elle-même est régulée au niveau de notre cerveau, tout comme le sont pour leur part la température, le rythme cardiaque, ou la respiration. Il peut donc arriver qu’il y ait des perturbations de la régulation de l’humeur.
– À ce propos, il est parfois question de l’effet du soleil sur cette humeur décidément changeante !
CB – Oui, il s’agit là d’un type de dépression bien particulier, peu fréquent, ayant un rapport très étroit avec la luminosité ambiante. Je peux vous citer le cas d’un patient qui, avec l’automne, se mettait en dépression chronique, comme un animal se mettrait en hibernation. Ainsi, il ne faisait presque plus rien, passant son temps au lit ou se traînant au travail. Mais tout à coup, quand venait la belle saison, presque du jour au lendemain il se retrouvait en pleine forme. Il devenait actif au point de devoir être hospitalisé pour troubles du comportement. Je me souviens encore de son agenda : en hiver il était vide, mais à la mi-avril il commençait à se remplir, pour être complètement noir de rendez-vous à partir du mois de mai ! Cet exemple nous montre assez qu’il y a bien une régulation physiologique de l’humeur, oscillant entre la dépression ou un état d’excitation qualifiée de maniaque.
– La dépression, le mal du siècle, disait-on au 20ème siècle. Reste-t-elle d’actualité ?
Jean-Louis Richardeau – Oui, car c'est une expérience qui est très précoce et qui accompagne tous les grands changements de la vie. Les premières dépressions que l'on a constatées –et cela a paru quelque peu scandaleux aux premiers psychanalystes– c'est la dépression du sevrage. Quand un enfant est séparé de sa mère par nécessité –par sevrage–, il perd un univers extrêmement agréable où ne se posait aucune difficulté. Puis il fait l'expérience de la séparation : sa mère n'est plus comme avant tout le temps à sa disposition. Elle devient quelqu'un de libre avec lequel il va falloir composer, séduire, et avec lequel on devra établir des espèces de contrats. Nous portons toujours en nous cette illusion qu'on peut maîtriser les choses. Dans notre jargon, on parle de blessures narcissiques, mais c'est plus précisément une prise de conscience de la réalité, de notre finitude humaine.
Le diagnostic de la dépression
– Il peut nous arriver de connaître des hauts et des bas, comme on dit. Ceci étant posé, ne pourrait-on pas dire que le dépressif manifeste un dérèglement de la personnalité qui serait dû à une extrême sensibilité aux « agressions extérieures » ?
CB – Vous posez là une question de base au niveau de ma discipline. Nous sommes partis d’un cas précis, celui d’un trouble de l’humeur d’origine cérébrale, mais il existe tellement d’autres types de dépressions ! Celles qui sont les plus connues sont d’ordre psychologique, mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il peut exister des personnalités fragiles et en état de dépression chronique. La distinction est essentielle car elle influe sur la solution à entrevoir.
– Entre le dépressif qui a besoin d’être hospitalisé, ou qui a vraiment un comportement ne s’adaptant plus à la société, et celui qui est simplement déprimé parce que la veille au soir il a eu une scène de ménage avec sa femme, la marge est importante.
CB – Permettez-moi de mettre en doute la pathologie de ce mari affligé ! Je pense qu’il ne faut pas confondre un état dépressif avec des manifestations psychologiques qui semblent s’en rapprocher, et que nous qualifions généralement de déprime. La tristesse, par exemple, ce n’est pas la dépression, la fatigue non plus, et pas davantage l’anxiété, aussi surprenant que ce soit. Plusieurs symptômes concomitants sont à prendre en considération. L’un des premiers symptômes de la dépression, c’est le trouble du sommeil. L’individu connaît des réveils très précoces, il n’arrive plus à se rendormir, et il broie des idées noires. Cette perturbation du sommeil peut caractériser un état dépressif, mais ce n’est pas toujours le cas, loin de là, je m’empresse de l’ajouter.
Ensuite, surgissent les troubles de l’appétit, puis la tristesse, mais une tristesse dont on ne sort pas, ou bien une humeur massacrante et permanente. Un autre comportement révélateur se traduit par le ralentissement non seulement des faits et gestes –un relâchement psychomoteur–, mais aussi de la pensée. On se traîne à tout point de vue, les tâches quotidiennes s’accomplissent avec difficulté, parfois même on ne sort plus de chez soi, et finalement les heures se passent au lit. Au fond, la dépression c’est la perte du désir : le désir de manger, d’entrer en relation avec les autres, tout ce qui devrait susciter du plaisir ne semble plus intéresser le dépressif. Il a perdu le goût de vivre, et il peut en arriver à ruminer des idées suicidaires, voire à opter pour le suicide lui-même.